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Rubby Lieutier goûte peu l’humour d’Anil Gayan sur la méthadone

24 octobre 2015, 13:24

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Rubby Lieutier goûte peu l’humour d’Anil Gayan sur la méthadone

Après une entrée auprès de la police contre le ministère de la Santé, Rubby Lieutier a cette fois réussi à porter plainte contre le ministre Anil Gayan auprès de la Human Rights Commission (HRC) et de l’Equal Opportunities Commission (EOC). Celle qui se définit comme la «Miss Renseignements» des patients sous méthadone goûte peu l’humour  du ministre ! 

 

«J’ai eu beau me chatouiller, allez jusqu’à me pincer mais rien n’y fait. La pseudo-boutade d’Anil Gayan ne m’a pas fait rire», déclare cette femme de 47 ans, vêtue d’une longue jupe noire et d’une blouse noire à collerette blanche qui lui donne un petit air d’avocate. À ses yeux, lorsque le ministre de la Santé a publiquement déclaré que le député du Mouvement militant mauricien, Rajesh Bhagwan, a remporté son siège aux dernières élections par 400 voix et que «samem kan monn vinn minis lasanté monn met tou métadonn déor», il n’a fait que révéler le fond de sa pensée. 

 

D’ailleurs, fait ressortir Rubby Lieutier, une semaine après la nomination d’Anil Gayan comme ministre de la Santé, une de ses premières actions a été de décentraliser la distribution de méthadone. «Il a un agenda par rapport aux personnes qui se droguent et qui sont sous traitement de méthadone. Avec cette déclaration, il a révélé sa vraie nature au grand jour. Il me fallait réagir car il a franchi une limite», dit-elle. 

 

Cette Mauricienne qui a suivi sa mère en Belgique alors qu’elle n’avait que dix ans a tout connu, ou presque, dans sa vie. Divorce, drogue, prison et prostitution. «J’ai connu des vertes et des pas mûres», reconnaît-elle. Sa première «erreur», confie-telle, a été d’abandonner ses études de droit pour épouser le premier homme qu’elle a connu et dont elle était tombée amoureuse. Mariage qui a duré dix ans et qui s’est soldé par deux enfants – une fille qui étudie pour être chef et un fils qui se spécialise en soudure sous-marine à l’étranger – et par un divorce. 

 

Fragilisée par cette séparation définitive, elle doit suivre pendant neuf mois une thérapie auprès d’un psychologue. Elle regagne Maurice avec ses enfants. Ces derniers ont du mal à s’adapter et à la première occasion venue d’aller voir leur père, ils regagnent la Belgique. Et lui signifient leur intention de ne pas revenir vivre avec leur mère. 

 

Heureusement qu’elle est enceinte d’un de ses amis d’enfance car c’est cela, raconte-t-elle, qui l’empêche de commettre l’irréparable. Cependant, elle soupçonne que son compagnon se drogue à son insu. Elle a beau l’interroger mais il nie. Lorsque le moral de Rubby Lieutier est au plus bas, il lui avoue la vérité : il fume du  brown sugar.

 

 Dans un de ses jours particulièrement sombres et tristes, elle succombe et fume aussi. À partir de là, ce sont de longues années de fumettes et d’injections de drogue. Elle va jusqu’à dealer. Arrêtée, elle séjourne en prison à plusieurs reprises, l’incarcération la plus longue étant de deux ans.

 

Prostitution de luxe et violence des clients

 À sa libération, elle passe à la prostitution de luxe à Grand-Baie et au Caudan. «Il ne faut pas se leurrer. La drogue touche toutes les couches sociales et la prostitution aussi.» Elle subit la violence de ses clients, d’autant plus qu’elle n’a pas  de souteneur. 

 

Une travailleuse sociale nommée Roselda la harcèle pour qu’elle arrête de se droguer et suive le programme de méthadone. Le courage lui manque. «Je m’étais documentée sur la méthadone et ses effets secondaires me paraissaient lourds», soutient  Rubby Lieutier. 

 

Elle se jette à l’eau le jour où elle réalise que sa dose, qu’elle paie très cher, ne lui procure pas l’effet escompté. C’est ainsi qu’elle se fait mettre sur méthadone. «Dieu merci, j’ai réussi à passer ce cap. Dès que j’ai été mise sur méthadone, c’en était fini de la drogue et de la prostitution. Mais la réhabilitation, c’est une autre guéguerre car pour trouver du travail, on bute sur le fameux certificat de moralité à fournir.» 

 

Comme elle s’exprime bien en français, elle cherche du travail auprès des call centres et ailleurs mais s’entend toujours demander de produire un certificat de moralité. «À chaque fois, les bras m’en tombent. C’est d’ailleurs ce qui met en colère les drogués qui veulent s’en sortir. Heureusement que j’ai un toit et une famille, dont une maman qui me soutient financièrement. Croyez-moi, après avoir été financièrement indépendante pendant des années, ce n’est pas facile d’avoir à demander pour pouvoir, par exemple, s’acheter  des cigarettes.» 

 

Rubby Lieutier pose des questions, veut comprendre, se documente sur la méthadone et parle aux techniciens du ministère de la Santé car après avoir pris sa dose au centre de désintoxication, qui était jusqu’à l’an dernier à l’hôpital Brown Séquard, elle traîne dans les parages et prête l’oreille. «J’ai réalisé que bon nombre de drogués qui venaient prendre leur dose de méthadone n’étaient pas bien informés sur le traitement. Parfois, c’était leurs parents qui étaient perdus», indique-t-elle. 

 

Elle décide alors de faire de l’accompagnement des patients et de leurs familles à titre bénévole. «J’étais en quelque sorte la Miss 115 ou la Miss Renseignements pour eux. Je faisais le lien entre eux et les médecins et  le personnel infirmier». 

La méthadone une réussite à 70 %

En janvier, la situation des personnes sous traitement de méthadone change drastiquement avec la nomination d’Anil Gayan comme ministre de la Santé. «Sa première décision a été de décentraliser la distribution de méthadone en changeant non seulement le lieu mais aussi les horaires», fait ressortir  la quadragénaire. 

 

Elle concède que certains drogués étaient tapageurs et bagarreurs. «Oui, c’est vrai. Il faut savoir qu’aucun traitement ne fonctionne jamais à 100 %. La méthadone a été une réussite pour 70 % des personnes qui se droguent. Celles-ci travaillent sans que leurs patrons ne sachent qu’elles sont sous méthadone. Les 30 % restantes font du désordre parce qu’elles expriment un ras-le-bol d’avoir cherché du travail et de s’entendre toujours demander un certificat de moralité et de ne pas pouvoir s’en sortir.» 

 

Selon Rubby Lieutier, la décentralisation de la distribution de la méthadone et les horaires de distribution ont eu pour conséquence de faire décrocher bon nombre de patients sous méthadone car ils doivent être au travail de bonne heure tandis que d’autres qui ne travaillent pas n’ont pas les moyens de se payer le transport jusqu’à leur point de distribution. «Ils ont été tout  bonnement débranchés.»

 

 Autre décision du ministre Gayan qui a été mal appliquée, c’est l’obligation de présenter chaque matin la Méthadone Dispensing Card pour obtenir sa dose. Or, si celle-ci fait état de l’identité du patient, elle ne comporte aucune photo. «Cela a encouragé deux ou trois personnes qui se droguent à faire un trafic. Mais fallait-il généraliser pour tout le monde  pour autant ?» 

 

«Je ne suis pas contre le Suboxone ou la Naltrexone. Je dis qu’il faut établir un contrat avec le patient et toutes les parties prenantes doivent jouer leur rôle, avance Rubby Lieutier. Aujourd’hui, il est clair que le ministre a un problème avec les personnes qui se droguent et qui sont sous méthadone. Un ministre, ça doit tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler.» 

 

Dans sa plainte à l’EOC, Rubby Lieutier se dit victime de discrimination, estimant que la décentralisation a fait décrocher environ  1 200 patients sous méthadone. Elle demande une enquête approfondie totalement transparente, l’extension de la distribution de la méthadone jusqu’à midi, l’extension de cette distribution de méthadone aux quelque 200 drogués qui veulent arrêter de se droguer. 

 

Finalement, elle estime qu’il faut pourvoir des facilités d’emplois pour les personnes qui sont sous traitement de méthadone. «Je demande le respect pour les personnes sous traitement. Je sais que cela prendra du temps avant que la HRC et l’EOC tranchent mais je suis patiente. J’ai foi en les institutions. Je ne lâcherai pas prise. S’il faut aller jusqu’à Genève (NdlR : siège du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies), j’irai…»