Publicité

Catherine Bréchignac: «Nous sommes tous des insulaires»

1 décembre 2015, 00:30

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Catherine Bréchignac: «Nous sommes  tous des insulaires»

Vous êtes Secrétaire «perpétuel» de l’Académie des sciences de France. Cela veut-il dire que vous êtes boulonnée à votre siège ?

(Rires) C’est un titre très ancien,  car l’Académie des sciences a été créée en 1666 sous le règne de Louis XIV.  À l’époque, il n’y avait pas de président, et donc, le Secrétaire perpétuel était celui qui gardait les secrets. C’était le numéro un de l’Académie et nous avons gardé ce titre depuis. Mais je ne suis ni secrétaire, ni perpétuelle !

 

 Mais vous détenez toujours quelques secrets ?

Peut-être…

 

Sur quoi allez-vous insister lors  de votre conférence inaugurale ?

Ce qui est important, selon moi, c’est le positionnement de Maurice dans l’océan Indien. Vous avez une compagnie aérienne tout à fait remarquable, Air Mauritius, qui s’étend un peu dans tous les coins du monde avec les deux pôles en Europe : la France et l’Angleterre. Et puis vous allez aussi vers l’Afrique, vers l’Inde, et la Chine. Vous êtes le nœud d’un vaste réseau. Et cela fait votre force. En outre, votre bilinguisme constitue un atout extraordinaire pour dialoguer et échanger avec l’ensemble de l’Afrique. De ce fait, vous constituez une plateforme pour les sciences et les technologies et la formation.

 

On dit que la science est le domaine des hommes. Est-ce toujours le cas ?

Oui c’est vrai. Il s’agit d un monde où il y a beaucoup de femmes, mais elles ont des difficultés à accéder aux niveaux de responsabilités les plus élevés. Pour des raisons sociales principalement, parce que quand elles ont des enfants, c’est plus lourd pour une femme que pour un homme..… Cela peut ralentir leur carrière. En ce qui me concerne, partout où je suis passée, j’ai été directrice générale du CNRS (NdlR, Centre national de la recherche scientifique en France) et ensuite présidente. Je n’ai jamais voulu de quota pour les femmes parce que je crois que ces dernières doivent être reconnues – tout comme les  hommes – grâce à leurs aptitudes à travailler, à manager, à diriger.

 

Pas de discrimination, donc ?

Non.

 

L’économie peut-elle être considérée comme une science ? Les avis divergent…

Il convient de revenir à cette distinction entre savoir et science. On classe beaucoup de disciplines sous ce vocable. Les sciences exactes sont celles où vous pouvez faire une expérience et comparer celle-ci à la théorie que vous élaborez. Vous émettez une théorie que vous comparez à l’expérience, et vous l’affinez ensuite. La théorie consiste à prévoir. Bergson écrit d ailleurs que «savoir, c’est prévoir pour agir». C’est une très jolie phrase qui dit bien les choses. En économie, vous  pouvez construire des théories mais les expériences que vous faites, elles, sont toujours soumises aux aléas de l’histoire des hommes et des sociétés. À mes yeux, l’économie est un savoir mais pas une science exacte.

 

Parce que les hommes ne sont pas rationnels ?

Justement, l’homme marche sur deux pieds et il a aussi deux hémisphères dans son cerveau. Il y a la partie rationnelle et la partie sentimentale, émotionnelle,  c’est ce qui fait toute son humanité. Il faut savoir jouer avec les deux. Vous pouvez élaborer une théorie du rationnel mais vous ne pouvez pas en faire de même avec les émotions.

 

On a pourtant essayé plusieurs fois ces dernières décennies. Et plus d’un économiste s’est planté… Comment la science peut-elle faire évoluer l’économie mondialisée ou vice-versa ?

Il faut un mélange très subtil entre  les deux. Je dirais même que la science, l’économie et la société sont trois  enjeux cruciaux.

 

Et quels sont les principaux liens entre ces trois enjeux ? Le lien principal c’est l’homme, car c’est lui qui a créé l’économie et la science. L’homme essaie de comprendre, il essaie de savoir, il essaie de s’adapter au monde dans lequel il vit. L’homme est grégaire donc il a besoin d’une société. On ne peut pas être tout seul sur une île déserte, c’est la raison pour laquelle l’île Maurice est aujourd’hui peuplée. C’est en étant ensemble que l’on construit une société et une économie.

 

À l’approche de la conférence de Paris sur le changement climatique, pensezvous que la voix des scientifiques sera suffisamment entendue ?

J’évite le concours de pronostics. Nous avons, à l’Académie des sciences, eu deux débats. L’un sur les données environnementales, c’est-à-dire la température, le CO2, le niveau de la mer. L’autre sur les modèles, poursavoir si les nôtres étaient bons parce que les modèles fournissent des données qui prévoient l’avenir. L’Académie est un lieu de débats et l’on sait que la compréhension du climat est indissociable d’une recherche soutenue et globale.

 

Mais si, Madame le Secrétaire perpétuel, vous aviez à donner la conférence inaugurale lors de la COP 21, quel aurait été votre message essentiel aux participants et aux dirigeants du monde?

(Sec) Gérez vos poubelles !

 

Mais encore ?

(Rires) La population mondiale  croît – et l’on atteindra bientôt les 9 milliards d’habitants. Par conséquent, on a de plus en plus de déchets, il faut donc que l’on pense au recyclage. Autrefois, c’était la terre qui recyclait nos déchets, ou alors on les balançait à la mer. Mais on est aujourd’hui trop nombreux pour faire cela. Le plastique est créé en quelques minutes, vous l’utilisez pendant un court laps de temps et cela prend 400 ans à la terre pour le recycler.

 

Il est fondamental, donc, de penser au recyclage des déchets. Il s’agit d’un point important si l’on veut disposer d’un environnement propre.

 

La région du sud-ouest de l’océan Indien serait la dernière au monde en matière de recherche. Comment développer une identité scientifique propre à nous ?

Partout dans le monde, la recherche s’est diversifiée. Elle est la première activité humaine à avoir été mondialisée. La science est universelle, le savoir aussi. Chacun doit, en fonction du lieu où il habite, faire de la recherche adaptée à son environnement. Ici, vous avez déjà des scientifiques de très haut niveau. Parmi eux Dhanjay Jhurry, qui travaille sur les polymères, et qui est d’un niveau mondial. Il a choisi un sujet particulier, il a mené sa recherche de manière impressionnante et il est reconnu internationalement. C’est ce type de démarche qu’il faut stimuler.

 

En tant que petits États insulaires, cela vaut-il le coût, pour nous, les îles de la région, d’investir dans la recherche ?

Oui, tout le monde doit le faire. Ce qui est important, ce n’est pas tellement le fait d’être un pays, c’est son attractivité. La France, vis-à-vis, de la Chine, est un petit pays,  il n’en reste pas moins qu’elle est attractive. Vous avez tout à fait les moyens de  l’être également.

 

Nanotechnologie, sélection génétique, jusqu’où peut-on aller dans l’altération de la nature ?

C’est un sujet extrêmement compliqué parce qu’il ne faut pas séparer l’homme de la nature. Si vous le faites, c’est que vous n’avez rien compris. L’homme fait partie de la nature. En changeant la nature, il se change aussi lui-même. C’est ce que nous sommes en train de démontrer avec l’épigénésique (NdlR, discipline de la biologie qui étudie les mécanismes moléculaires qui modulent l’expression du patrimoine génétique en fonction du contexte). L’homme change constamment son environnement et, en retour, l’environnement change aussi  cet homme.

 

On a certes évolué, tout en restant quelque peu similaire…

Les choses ont évolué avec l’homme, pas nécessairement de manière antagonique (NdlR, opposée). Nous sommes sur une planète, avec l’immensité de l’univers autour de nous.  Vous êtes une île au milieu de l’océan Indien mais tous ensemble, nous sommes une île au milieu de l’univers. Il faut quand même penser que d’une certaine manière, nous sommes tous insulaires.

 

Est-ce vraiment un point commun ?

À Maurice, cela est beaucoup plus visible, la mer est partout. On voit tous le ciel. Le ciel, c’est notre mer à tous.

 

 L’étude de la matière inerte comme la chimie a-t-elle cédé la place au profit de la génétique ?

Il y a eu des compréhensions successives. D’abord, la rupture en physique, quand on a commencé à comprendre les lois de la nature. Ensuite, la structure de la chimie avec Lavoisier, qui a compris que rien ne se perd, rien ne se créer, tout se transforme. Puis avec Mendeleïev, qui a trouvé l’alphabet de la chimie avec la classification périodique. Et aujourd’hui, nous avons la rupture génétique, c’està-dire qu’on comprend l’alphabet de l’être vivant.

 

On va toujours chercher l’alphabet des choses, celui de la physique qui est celui des particules élémentaires, l’alphabet en chimie ce sont les éléments et l’alphabet des êtres vivants, c’est  la génétique. Le comment de la chose est une question très importante  en science et le pourquoi est une question philosophique.

 

Finissons sur une question vieille comme le monde : peut-on être scientifique et croire en Dieu ? Comme je vous l’ai dit, l’homme a la raison, la science d’un côté, et de l’autre côté il y a la spiritualité, l’émotionnel. Chacun gère sa spiritualité comme il en a envie. Il est impossible de montrer ce qui n’existe pas. Il y a des choses qui viennent de l’émotion. L’émotion,  ce n’est pas une science exacte, la spiritualité non plus. Il faut laisser à chacun la liberté de gérer sa spiritualité.