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Edgar Grospiron, ancien champion olympique de ski: «À Maurice, vous avez une vie intense…»

1 novembre 2015, 12:04

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Edgar Grospiron, ancien champion olympique de ski: «À Maurice, vous avez une vie intense…»

Il y a vingt ans, il jouait les acrobates des neiges. Edgar Grospiron, champion de ski acrobatique qui «volait» sur les bosses, était un sportif décapant : sûr de lui, excentrique et très talentueux. Champion olympique et champion du monde, le Français totalise pas moins de 38 victoires en Coupe du monde. Désormais conférencier en entreprise, il était à Maurice la semaine dernière pour distiller la bonne parole en management et motivation de ressources humaines.

 

Lorsque nous l’avons sollicité, il est spontanément venu à notre rencontre, à La Sentinelle, pour un riche entretien sur des thèmes aussi variés que Maurice et ses cadres supérieurs, le dopage et la supercherie Lance Armstrong, la débâcle française au Mondial de rugby, le transfert record d’Anthony Martial à Manchester United ou encore la candidature de Paris aux JO 2024. Entretien avec un pro du consulting sportif …

 

 

Edgar Grospiron, quel bon vent vous amène à l’île Maurice ?

C’est toujours un bon vent qui nous amène à l’île Maurice. J’étais venu faire du kite surf il y a quelques années... Là, c’est grâce à Thierry Boullé, qui tient un cabinet de conseil (Simera), qui m’a demandé si j’étais intéressé à faire un cycle de conférence pour des entreprises mauriciennes. J’ai trouvé le projet tout à fait sympathique puisque je pouvais mêler l’utile, faire mon métier que j’adore, à l’agréable, dans un cadre magnifique. 50% de travail et 50% de vacances.

 

Pouvez-vous nous définir votre job ?

Aujourd’hui, je travaille pour des entreprises qui ont besoin de motiver leurs équipes. Pour faire des performances durables, pas juste pour faire UN exploit mais «performer» avec des gens heureux dans leur travail.

 

Comment transmettez-vous les valeurs acquises au cours de votre riche carrière sportive ?

Déjà, je ne suis pas né champion, j’ai mis vingt ans à le devenir. Depuis vingt ans, j’ai arrêté le ski et je ne cesse de travailler sur des modèles et des théories sur la motivation. Pour comprendre quels sont les ressorts qui animent les individus mais aussi les équipes et donc être capable de transposer mon expérience au monde des entreprises en racontant, à travers mon expérience, des anecdotes, des métaphores sur la vie des gens qui m’écoutent et pour lesquels j’ai la chance d’intervenir.

 

La transition entre le sport de haut niveau et votre métier dans le consulting n’a pas été brutale ?

Pour moi, elle a été choisie et ne s’est pas fait du jour au lendemain. J’ai arrêté à 25 ans sur un titre de champion du monde, chez moi à Laclusaz, ce qui était important parce que je voulais sortir par la grande porte. Je ne savais pas du tout quel métier j’allais faire mais je voulais que mon expérience me serve. Contrairement aux études, le sport ce n’est pas un métier. J’avais un peu le radar ouvert pour pouvoir trouver un métier. L’adage «quand l’élève est prêt, le maître apparaît» s’est ensuite vérifié dans mon cas avec quelqu’un qui m’a formé pour mon métier actuel.

 

À vous écouter parler, vous semblez plus posé que lorsque vous étiez un chouchou du public français, tout en décontraction. Votre gestion du stress était déjà naturelle à l’époque ?

J’avais une gestion du stress un peu particulière : je ne cherchais pas trop à gérer le stress (rires) ! C’était dans mon tempérament et je détestais être stressé. C’est quelque chose que je ne supportais pas. Et je détestais ce que je ne contrôlais pas, ce que je ne maîtrisais pas, comme la météo, les adversaires, les éléments… Mais tout ça n’était pas grave, l’important c’était que je puisse me maîtriser moi par rapport aux événements. Quand je disais «je vais gagner», comme lorsque j’ai été champion olympique, c’était une façon de me maîtriser face à des événements importants que je ne pouvais pas maîtriser…

 

Est-ce qu’on peut dire que votre mental était un peu supérieur aux autres sportifs français en général, qui sont souvent critiqués pour ça ?

Ce n’est pas à moi de le dire. En plus, moi je considère que le mental c’est quelque chose qui n’existe pas, je ne comprends pas pourquoi on parle toujours de mental dans le sport alors que c’est complètement intangible. Par contre, un athlète est fait pour être concentré sur des gestes clés qui vont le faire réussir, sur sa capacité à centrer son attention, son énergie, sur des gestes et pas sur le résultat. En fait, je ne sais pas ce que c’est que le mental mais je sais centrer mon énergie, mon attention, faire la part des choses, relativiser les enjeux.

 

À 14 ans,  vous commencez à faire de la compétition avec l’ambition de devenir le meilleur skieur du monde. 11 ans plus tard, vous aviez tout gagné. Qu’est-ce que ça procure comme sensation ?

C’est une satisfaction immense quand on est champion. Mais le lendemain, les adversaires repointent le bout de leur nez et il faut tout recommencer. Et on y retourne. Ce n’est pas une frustration mais on est fier d’avoir fait ça. La difficulté après, c’est de retrouver une nouvelle ambition, un nouveau rêve. L’important c’est de se remettre de la perspective. De savoir où on va.

 

Y a-t-il des sensations que vous avez connues en tant qu’athlète que vous retrouvez dans votre vie professionnelle, dans le consulting ?

Non, je ne peux pas dire ça. Ce n’est pas la même chose. Ce n’est pas ce que je recherche. Maintenant, c’est vrai que tout à l’heure j’étais dans un amphithéâtre avec 500 personnes et avant de prendre la parole c’est quand même un peu grisant. Je monte un peu en tension avant et après je redescends. Il y a une forme d’adrénaline aussi c’est vrai…

 

Comment faire pour former des dirigeants qui n’ont pas de culture sportive ?

Ce n’est pas le sujet. Je ne parle pas de sport dans mes conférences, le sport est juste un prétexte pour parler de performance. Et tous les dirigeants sont dans des logiques de performance car leur métier, c’est d’accompagner une équipe, c’est une aventure humaine qui doit tendre vers la performance. C’est ça l’enjeu et le parallèle important c’est que le sport va les décaler de leur domaine. Ils prennent alors du recul par rapport à leur propre univers. Ça change un peu la donne pour eux.

 

Est-ce que ces rencontres avec des professionnels de chez nous ont changé votre regard sur les Mauriciens ou sur ce que vous saviez d’eux ?

Je connaissais l’île Maurice parce que j’étais venu jouer au golf, faire du kite surf, profiter des beaux hôtels. J’ai découvert une autre facette de Maurice à travers les gens et l’histoire que je ne connaissais pas. Comme la manière dont elle a eu son indépendance, dont elle s’est construite, dont elle a enrichi son jeu de cartes économique en étant présente dans tout un tas de domaines,  de territoires économiques pour pouvoir exister et se développer. Je trouve ça assez fantastique.

 

Quand on est Français et qu’on regarde les îles qui appartiennent à la France (Martinique, Guadeloupe ou Réunion), on voit des îles sous perfusion de la subvention publique. Malgré les richesses ou les potentiels qu’elles peuvent avoir, elles se laissent un petit peu porter. Mais ce que j’aime bien à Maurice c’est que je découvre un vrai dynamisme économique avec des gens ambitieux, qui veulent réussir, parce qu’ils prennent leur destin en main. Parce qu’ils n’ont pas d’autre choix et n’ont pas de subventions. Finalement, ça fait des gens plus dynamiques, plus heureux, qui ont une vie plus intense. C’est tout ce que j’ai découvert pendant ma semaine à Maurice. Je trouve que je suis en phase avec eux, car je n’ai pas fait des courses que pour gagner mais pour prendre mon destin en main.

 

Vous êtes au sein du comité de candidature de Paris pour accueillir les Jeux olympiques de 2024. Y a-t-il un véritable espoir cette fois ?

Je siège en tant que président de l’association française des olympiens et je siège au sein du comité de candidature. Nous travaillons actuellement sur toute la vision et la communication de l’héritage qu’on veut laisser pour Paris 2024. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne va pas dire en France qu’on va reconstruire le pays grâce aux Jeux olympiques, car les infrastructures on les a et on va organiser avec des moyens financiers assez réduits.

 

Je pense que l’héritage ne sera pas nécessairement infrastructurel mais humain. En France, on a besoin de diriger la puissance olympique, son universalité, pour faire tomber les barrières entre les gens. Dans un pays en véritable crise sociale, humaine, inter-générationnelle, il y a des ruptures. Dans un pays qui se revendique le pays des droits de l’homme, il faut utiliser la puissance des Jeux pour unifier les gens quelles que soient leur race, leur culture, leur religion. Il faut recréer des liens entre les générations. Pour moi, on aura réussi notre pari olympique si on arrive à ça à Paris 2024.

 

Avez-vous vu le dernier film de Lance  Armstrong ?

Ah non ! J’attends de le voir. Pour moi, Lance Armstrong c’est l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire dans la vie. Tu ne peux pas passer la moitié de ta vie à tricher et l’autre moitié à te faire pardonner par ceux que tu as trahis. Pour moi, ce n’est pas une vie. Tant qu’il n’était pas reconnu coupable, je regardais ça et je me disais «le mec, il les fait les tours de pédales, il cadence plus vite que les autres mais c’est quand même balèze». Ensuite, la pression a fait qu’il a avoué, avec la supercherie qu’il y avait derrière ça n’enlève pas tout à sa performance, mais je retiens surtout l’injustice vis-à-vis de tous les autres, surtout ceux qui sont restés clean, alignés sur leurs valeurs, leurs convictions, qui sont restés dans son ombre que je trouve dégueulasse.

 

Que vous inspire le dopage ?

Le vrai problème du dopage c’est un problème d’éducation. Si les gens se dopent, c’est qu’ils n’ont pas ancré de valeurs suffisamment fortes pour pouvoir faire face à la pression, donc ils vont choisir des solutions de facilité. Ce que je veux qu’ils comprennent c’est que les solutions de facilité ne t’amènent jamais vers la réussite. Ils peuvent t’amener vers une victoire, ou deux, ou 7  Tours de France, mais jamais à réussir sa vie. Le dopage c’est finalement une manière détournée de se jeter de la poudre aux yeux en croyant qu’on peut y arriver comme ça.

 

Y a-t-il un sportif qui vous fait rêver ?

Oui, en ce moment il y a vraiment un mec qui me fait rêver, c’est Roger Federer. Par rapport à sa carrière, son âge, sa réflexion, son intelligence de jeu, l’intelligence pure qu’il a, le talent brut. Je trouve que c’est quelqu’un qui mérite énormément de respect. Que ce soit dans ses choix, personnels ou professionnels, c’est un bel exemple.

 

All Blacks – France 62-13. Comment avez-vous vécu ce résultat choc de la Coupe du monde de rugby ?

On était dans l’avion qui venait à Maurice pendant le match. Mais quand on a atterri, on a tous atterri ! Crash en plein vol pour les Français hein. (rires) Ça m’inspire quoi ? (il réfléchit) Ce résultat n’est que ce qu’on voit à un instant ‘T’ et là c’est face aux All Blacks, qui sont les meilleurs du monde… Ça ne veut pas tout dire, mais ça ne veut pas rien dire. Ça peut être le reflet de pas mal de mauvaises décisions qui ont été prises par le rugby français dans son intégralité. Peut-être aussi le problème d’un sélectionneur qui n’a pas pu s’imposer. Ce n’est pas seulement l’échec qui compte mais la manière dont chacun, à son niveau, va rebondir sur cet échec pour construire l’avenir. Parce qu’on n’est pas là par hasard non plus.

 

Il y a de plus en plus d’argent dans le football, notamment avec le jeune talent Anthony Martial recruté pour 80 millions d’euros par Manchester United. Qu’en pensez-vous ?

Beaucoup de gens disent que c’est indécent que des gens gagnent autant d’argent. Mais ce qui me paraîtrait indécent c’est qu’un footballeur de ce calibre-là soit payé comme «Monsieur Tout-le-monde». La question, ce n’est pas ce qu’il gagne mais ce qu’il génère derrière. Le foot business c’est un sport particulier. Ce n’est pas vraiment ma tasse de thé, mais ça génère tellement de revenus télés, marketing qui fait que le système tient à peu près debout. Il faut aussi se mettre à la place des joueurs. Si un club propose 80 millions pour un joueur, il ne va pas dire «mais moi je n’en veux que deux !» Ce que j’ai bien aimé avec ce joueur c’est qu’il a dit qu’il ne venait pas à Manchester pour cette somme mais parce qu’il aimait ce club. Ce qui est important, c’est que l’argent ne vienne pas tuer sa passion pour son métier.