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Traité fiscal Inde-Maurice: SAJ joue sur le registre émotionnel
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Traité fiscal Inde-Maurice: SAJ joue sur le registre émotionnel
On attendait un dénouement heureux. Il n’y en a pas eu. Tout au moins, pas dans les déclarations des deux Premiers ministres à l’issue du tête-à-tête Jugnauth-Modi. Les opérateurs du Global Business misaient sur cette rencontre de la dernière chance pour que l’Inde assouplisse sa position sur certaines clauses du traité fiscal. Notamment celle de l’article 13 concernant la Capital Gains Tax.
En demandant au «grand frère» indien son aide, le Premier ministre a joué sur la corde sensible de son homologue indien. Il a aussi réclamé une solution politique à la problématique du traité fiscal entre deux pays unis par les liens du sang.
Pour le moment, Narendra Modi n’a pris aucun engagement, écoutant le plaidoyer de SAJ sans piper mot. «Modi ne va rien faire pour déplaire aux bureaucrates indiens qui prônent la ligne dure par rapport à certaines clauses de ce traité», explique Anil Gujadhur, consultant et l’un des participants aux négociations sur ce traité dans le passé.
Incertitude
L’ex-directeur de la Banque de Maurice estime qu’il ne voit pas la situation évoluer grandement dans le Global Business. Pas plus que les opérateurs, face à l’incertitude qui règne dans ce secteur depuis des mois. «Autant que je sache, la rencontre Modi-SAJ n’a en aucun cas enlevé l’inquiétude des opérateurs par rapport à la pérennité de ce traité fiscal», insiste Anil Gujadhur.
Une analyse que récuse le directeur d’International Financial Services (IFS), Couldip Lala, dont la société dépend, dans une grande mesure, de ce traité fiscal pour sa survie. «Il est évident que ce tête-à-tête a rassuré dans une certaine mesure les opérateurs de ce secteur. Il a donné un sentiment d’espoir à des jeunes qui veulent se lancer dans ce secteur», affirme-t-il.
Concrètement, le Premier ministre a plaidé, auprès de Narendra Modi, en faveur d’une «win win situation» qui serait bénéfique aux deux pays. Il a assuré que Maurice collaborerait pleinement avec les autorités indiennes pour éviter toute utilisation abusive du traité. Et de rappeler qu’un excellent mécanisme d’échange d’informations a été établi dans cette optique.
Mais le Premier ministre est allé plus loin en insistant auprès de Narendra Modi pour veiller à ce que les intérêts de Maurice ne soient pas mis en danger par une éventuelle révision du traité. Il est ici surtout question de la clause relative à la Capital Gains Tax. D’ailleurs, lors de sa visite à Maurice le 12 mars dernier, Modi avait promis que l’Inde «will do nothing to harm the vibrant offshore sector of one of our closest strategic partners».
Dev Erriah, fiscaliste et expert en offshore, apporte un autre éclairage sur ce sujet. Il pense que Narendra Modi n’est pas en mesure de lever le petit doigt pour défendre Maurice. Cela tient au fait que l’Inde sera appelée tôt ou tard à souscrire à l’article 6 de l’Action Plan de Base Erosion Profit Shifting. Celui-ci a trait à la mise en œuvre des mesures pour combattre l’utilisation abusive du traité fiscal et à l’application du Limitation of Benefits (LoB).
Ainsi, l’Inde sera contrainte d’amender la clause 13 du Double Taxation Avoidance Convention (DTAA) en taxant les plus-values à Maurice. Ce qui enlèverait l’attraction principale de la juridiction mauricienne. Ce qui amène Dev Erriah à souligner qu’il est préférable que «Maurice révoque et mette fin aux clauses de ce traité dans la dignité».
Dépenses de Rs 1,5 M par an
Couldip Lala n’est pas de cet avis. Il pousse sa réflexion plus loin. Il soutient que l’Inde apportera des amendements à certaines clauses de ce traité, qui seront d’ailleurs intégrés au CEPCA (Comprehensive Economic Partnership Cooperation Agreement). Surtout la partie liée au secteur des services financiers.
«L’Inde devrait accepter que seuls les investissements passant par les Management Companies qui ne respectent pas la clause de LoB seront taxés en Inde.» Cette clause de LoB exige qu’une compagnie de gestion démontre sa «substance économique» dans ses opérations, par exemple des dépenses administratives de Rs 1,5 million annuellement après deux ans d’incorporation dans l’île.
Pour l’heure, on est loin de cette situation. Ce qui fait dire à Anil Gujadhur que l’on verra le bout du tunnel uniquement si les deux pays acceptent de leur plein gré de céder sur certains points. Objectif : obtenir enfin cette «win win situation» que souhaite le Premier ministre.
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L’historique des négociations
Depuis juin, le traité de non double imposition Inde-Maurice a fait l’objet de plusieurs rounds de négociations. Tour d’horizon.
Juin 2015: le ministre de la Bonne gouvernance et le ministre des Finances se rendent en Inde
Après avoir signé un accord de non double imposition avec l’Afrique du Sud, Roshi Bhadain se rend en Inde avec pour objectif, de revoir le traité de non double imposition Inde-Maurice. À la mi-juin, c’était le ministre des Finances qui s’y était rendu afin d’engager des pourparlers avec des officiels du ministère des Affaires étrangères indien. La raison : plusieurs clauses de ce traité ont pendant des années affecté les relations économiques et politiques entre les deux pays. Le principal point de l’accord : un changement au niveau de la clause 13 du traité. Dev Manraj, le secrétaire financier finit par signer le protocole d’accord avec l’Inde. Port-Louis parle même d’un «dénouement heureux».
L’amendement à la clause 13 divise
À son retour du pays, Roshi Bhadain se retrouve face à une levée de boucliers des opérateurs du secteur offshore. Pour ces derniers, la clause 13, qui concerne la taxe sur les plus-values (Capital Gains Tax) reste la principale attraction de la juridiction mauricienne. Selon cette clause, cette taxe n’est pas imposable à Maurice. Cet élément a fait le succès de l’offshore mauricien ces 20 dernières années. D’ailleurs, des compagnies de gestion (management companies) ou encore l’International Financial Services (dont le chairman est l’ancien ministre des Finances Rama Sithanen) se sont appuyés sur la clause 13 pendant de longues années pour inciter les sociétés offshore à faire transiter leurs investissements par Maurice pour bénéficier de cet avantage fiscal avant qu’ils n’atterrissent en Inde. Mais les autorités indiennes ne l’entendent pas de cette oreille. Selon eux, trop de sociétés utiliseraient la plateforme mauricienne comme «boîte aux lettres» uniquement pour profiter de cette exemption fiscale sans qu’il y ait de réelle substance au niveau de leurs opérations à Maurice.
Août 2015 : Vishnu Lutchmeenaraidoo renégocie avec l’Inde
L’accord n’ayant toujours pas été finalisé et les opérateurs étant toujours divisés, le ministre des Finances Vishnu Lutchmeenaraidoo se rend en Inde en août avec pour objectif de revoir le traité fiscal avec le gouvernement indien. Au bout du compte, aucun consensus n’est dégagé. Cependant, son argument est simple : les opérateurs mauriciens doivent comprendre que l’essence même du traité de non double imposition est appelée à disparaître, pour faire place à un système plus transparent et équitable. Du côté du ministère de la Bonne gouvernance, on abonde dans le même sens. Selon le gouvernement mauricien, le business model traditionnel basé uniquement sur le marché indien est obsolète. Il faudra, selon lui, se réinventer en se tournant vers l’Afrique.
Octobre 2015 : SAJ discute l’accord avec Modi
En visite dans la Grande péninsule dans le cadre du sommet Inde-Afrique, sir Anerood Jugnauth et le Premier ministre indien Narendra Modi se rencontrent pour discuter du traité de non double imposition. Pour l’heure, rien n’a encore été finalisé.
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