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Bashir Jahangeer, député du Mouvement socialiste militant: «Prêt pour la discipline pas pour une dictature»

14 novembre 2015, 09:00

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Bashir Jahangeer, député du Mouvement socialiste militant: «Prêt pour la discipline pas pour une dictature»

Le député de la circonscription no13 (Rivière-des-Anguilles–Souillac) fait partie de ceux du gouvernement à avoir exprimé des réserves sur le Good Governance and Integrity Reporting Bill.

 

Après Danielle Selvon, vous n’avez, vous non plus, assisté ni au dernier bureau politique (BP) du MSM ni à la réunion parlementaire de lundi…

C’est vrai. J’étais en Malaisie et à Guangzhou pendant une semaine.

 

Vous avez donc choisi d’être à l’étranger plutôt qu’au BP ?

Ce n’était pas un choix. Je devais partir car c’était programmé depuis longtemps. Je m’y suis rendu pour des raisons professionnelles. Je devais rencontrer des fournisseurs pour découvrir de nouveaux projets et produits sur le marché.

 

Un député, élu par l’électorat, qui se rend à l’étranger pour d’autres raisons professionnelles. N’y a-t-il pas une anomalie ?

Je l’ai déjà dit. Je n’ai ni compagnie ni action. À l’Assemblée nationale, j’ai déclaré mes intérêts. Je représentais, jusqu’à décembre 2014, un des fabricants de moteurs pour l’appel d’offres lié à la centrale de St-Louis, qui d’ailleurs n’est pas allé jusqu’au bout.

 

Mon dernier voyage, je l’ai fait en raison de mon intérêt personnel pour l’ingénierie. À Guangzhou, j’ai été à une foire dédiée aux smart homes où il y avait des produits d’énergie efficaces pour la maison et que l’on peut contrôler automatiquement. Cela n’avait rien à voir avec la date du BP.

 

Allez-vous emboîter le pas à votre ex-collègue du parti Danielle Selvon ?

Je n’en vois pas la nécessité, étant donné que le Top Management a tenu compte de nos suggestions.

 

Donc, vous y avez songé à un moment ?

(Il balbutie) Pas de démissionner… mais il était prévu qu’on campe sur nos positions. En d’autres termes, il faut amender le projet de loi concernant les richesses illicites dans l’intérêt de la classe moyenne, c’est-à-dire les planteurs et les chauffeurs de taxi.

 

Quand vous dites «on», vous faites référence à qui d’autre ?

(Rires) Il y a des collègues qui étaient sur la même longueur d’onde que moi… à l’instar de Sudesh Rughoobur, qui est un bon ami. Cette loi peut être un boomerang. Si demain  il y a de nouvelles élections générales et que l’alliance Lepep perd, cette loi peut se retourner contre nous. Il faut bien qu’elle soit équitable.

 

Avez-vous lu le projet de loi ?

Oui, je l’ai lu.

 

Avez-vous tout compris ?

Oui, en général (rires). Mes collègues et moi en avons discuté à l’heure du déjeuner et chacun a donné son opinion.

 

Avez-vous pensé à vos mandants à ce moment-là ?

Oui, bien sûr. Il y a eu un manque de communication. Les chauffeurs de taxi, les planteurs et le peuple, en général, n’ont pas bien compris les implications de cette loi. Mais je dois dire que les mandants du no13 sont, avant tout, contre la corruption. Beaucoup sont venus me voir, surtout après le recrutement de 60 médecins, pour me dire : «Nou ti met ou la pou kontré koripsion. La, gouvernman pé fer mem zafer

 

Y a-t-il toujours des réserves au sein du gouvernement en dépit des trois amendements proposés cette semaine ?

Dans une loi qui est, rappelons-le, man-made, il y a toujours des lacunes. Comme la déclaration des impôts, il y a toujours des gens qui la contournent en raison des lacunes. C’est pareil pour cette loi. Il faut chercher les loopholes et les combler.

 

Avez-vous trouvé d’autres lacunes ?

Le but de cette loi est d’en finir avec la corruption et l’affaire de commissions. Mais il existe toujours une porte de sortie. Prenons un exemple. Demain je suis agent pour le compte d’une société qui a décroché un contrat de Rs 6 milliards et la compagnie me paie des commissions à l’étranger. Pour faire entrer cet argent à Maurice, j’informe la Mauritius Revenue Authority que je pars travailler à l’étranger, en Italie ou au Portugal par exemple, pour un an. Là-bas, je peux investir dans un restaurant où j’aurai des recettes. Ensuite, c’est avec cet argent que j’ai blanchi que je rentre au pays. C’est seulement si je n’arrive pas à expliquer  la provenance de l’argent que l’on me coincera ici. Ce beaucoup de Mauriciens font aussi, c’est investir dans des homes en Angleterre. Quand ils les revendent deux ou trois ans plus tard, ils rentrent à Maurice avec le certificat de vente. Là, c’est de l’argent propre.

 

Que préconisez-vous ?

Je suis d’avis que tous les membres qui siègent aux trois comités – Design, Évaluation et Supervision des travaux – pour l’allocation de gros contrats publics doivent déclarer leurs avoirs avant et après l’exercice d’appel d’offres. C’est une fois le contrat alloué que de grosses commissions sont versées.

 

Vous visez des personnes en particulier…

J’ai vécu ces moments-là à l’époque où j’étais entrepreneur. Il ne faut pas se voiler la face. C’est la réalité mauricienne. On vous coince et mett lamé dan ou lagorz. Quand des gens au sein de ces comités vous disent : «J’ai vu ton offre. Si tu ne me donnes pas ça, voilà ça reste comme ça.»

 

Pensez-vous que cette pratique se poursuit sous le gouvernement de sir Anerood Jugnauth ?

On peut arrêter tout ça, surtout avec la loi Bhadain.

 

Danielle Selvon n’a-t-elle pas été trop vite en besogne ?

Danielle est une bonne amie. Nous déjeunons ensemble au Parlement. Peut-être qu’elle s’est précipitée mais elle a ses convictions. Et puis, elle était aussi dégoûtée parce qu’on ne l’écoute pas.

 

Que cache vraiment la démission de Danielle Selvon ?

Je sais qu’elle était absente du Parlement pendant un bon moment. Mais elle est partie pour une bonne cause, à une conférence africaine. En fonction de ce que j’ai entendu, une permission de deux semaines lui a été accordée. Elle est restée cinq semaines. Elle m’a expliqué qu’elle devait participer à des conférences dans deux ou trois pays et que c’était important pour elle pour une exposition internationale. Elle m’a dit qu’elle s’est rendue dans ces pays-là à ses propres frais.

 

Auriez-vous fait la même chose ?

Non (rires) Je ne suis pas comme ça. Il y a certaines limites que je ne vais pas franchir.

 

Avez-vous eu l’occasion de vous entretenir avec votre leader depuis votre coup de gueule contre le Good Governance and Integrity Reporting Bill ?

Non. C’est hier soir (NdlR : le jeudi 12 novembre), à mon retour, lorsquej’ai appelé, que j’ai appris que PravindJugnauth n’était pas à Maurice. Je vais le rencontrer quand il rentrera.

 

Vous avez sûrement eu des retombées du dernier BP où on a parlé de vous ?

Je sais qu’on a parlé de moi au BP. On a dit qu’il était préférable que je sois là pour parler de moi.

 

En avez-vous discuté avec le Premier ministre ?

Pas encore. Mais justement, je l’ai rencontré à 15 heures aujourd’hui (NdlR : hier).

 

C’est sir Anerood Jugnauth qui vous a convoqué ?

Je lui ai demandé une réunion. J’aime bien le Premier ministre. Il écoute. S’il est contre, il vous insultera en face. Ce que j’apprécie avec lui, c’est qu’il est très disponible, comparé à certains ministres avec qui vous n’arrivez même pas à avoir de rendez-vous.

 

Êtes-vous satisfait des amendements qui ont été suggérés en votre absence ?

Oui, pleinement. Surtout l’introduction du seuil de Rs 10 millions. C’est plus raisonnable.

 

Vous allez donc voter pour les amendements le 4 décembre ?

Certainement. Je suis pour le concept général. S’il y a des lacunes, on peaufinera au fur et à mesure. Enough is enough. Cette loi freinera ces hors-laloi comme les marchands de drogue.

 

N’avez-vous pas, comme les autres parlementaires du gouvernement, reçu de mot d’ordre pour ne plus parler à la presse sur la loi Bhadain ?

Ce que j’ai cru comprendre, c’est que quand on parle, il faut être juste dans ses propos.

 

Comment avez-vous accueilli la réplique du Premier ministre qui a parlé de «party discipline» à respecter ?

Certes, il y a une party discipline. Mais quand party discipline goes to extreme, cela devient une dictature. Je suis prêt à être discipliné mais pas à laisser qui que ce soit devenir mon dictateur.

 

Vous a-t-on demandé de ne plus embarrasser les ministres à l’heure des questions ?

On nous demande parfois de retirer des questions. Pour moi, il y a seulement deux raisons qui me poussent à enlever une question. Soit le ministre n’est pas prêt à répondre et on est en train de le pousser à prendre une décision. Soit, il y a maldonne, corruption. Dans le premier cas, je suis disposé à le faire. Pas dans le deuxième. Si on me force, je le fais oui… mais cela ne s’arrêtera pas là.

 

Avez-vous déjà été contraint d’enlever des questions ?

Oui, plusieurs fois. Maintenant, on discute avec le leader et le ministre concerné avant de retirer une question.