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Laurent Garnier: «Parler de choc de civilisations c’est reconnaître que l’ennemi est civilisé»

20 novembre 2015, 09:35

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 Laurent Garnier: «Parler de choc de civilisations c’est reconnaître que l’ennemi est civilisé»

La France est blessée, mais elle peut trouver du réconfort dans le soutien massif qu’elle reçoit depuis les attentats meurtriers du vendredi 13 novembre.

C’est vrai que la France a reçu d’innombrables soutiens de la part de pays du monde entier. Les témoignages de solidarité et d’amitié continuent à affluer. Les gens sont choqués, stupéfaits parce que ce sont des innocents qui ont été fauchés. Cette tuerie aveugle qui frappe au hasard dans la foule est bouleversante. L’absurdité du terrorisme, c’est précisément le fait qu’il touche les gens au hasard.

C’est un attentat qui a particulièrement ému le monde. Pourquoi ?

Je crois que c’est d’abord le bilan humain très lourd qui a choqué. Ensuite, il y a la méthode. Elle relève d’une violence inouïe. C’est incompréhensible. L’émotion est immense parce que, là, on s’attaque à des symboles. La France est la patrie des Droits de l’Homme. Paris est une ville à part, un symbole de liberté, une ville lumière. L’on se dit que si Paris est touchée, il n’y a aucun endroit au monde où on est en sécurité. À Maurice, les témoignages émouvants sont venus de la classe politique mais aussi des citoyens d’horizons divers.

L’État islamique a revendiqué les attentats de Paris. Le monde doit-il avoir peur de l’expansion de l’islamisme radical ?

Nous sommes en guerre, mais ce n’est pas une guerre contre l’islam, fût-il l’islam radical. Ce qui pose problème, comme l’a dit le président de la République, c’est le passage du radicalisme au terrorisme. Ce n’est pas un ennemi insaisissable, sans nom que nous combattons. L’ennemi s’appelle Daech. Il a des capacités militaires et financières. C’est son passage à l’acte terroriste qui pose problème. D’ailleurs, il a fait ses premières victimes au Moyen-Orient, dans les pays arabes. La Syrie et l’Irak sont touchés, mais aussi la Tunisie, le Koweït, l’Arabie saoudite, etc. Je dois ajouter que le radicalisme peut engendrer le terrorisme.

Peut engendrer ? Mais il y a un lien naturel entre les deux...

C’est une question d’appréciation. Je pense que le radicalisme est une étape qui mène à la violence.

Ce radicalisme a évolué avec le temps ?

Absolument. Le radicalisme n’est pas un phénomène nouveau mais le nombre de théâtres où il opère s’est accru. Aujourd’hui, Daech intervient dans un grand nombre de pays et ses méthodes sont d’un genre nouveau.

Pourquoi la France est-elle devenue la cible de Daech ?

C’est lié à la présence de la France sur le terrain à travers ses bombardements en Syrie et en Irak. Ces frappes aériennes visent à stopper l’expansion de Daech. On n’est pas dans une guerre classique. La France en a bien conscience.

L’ampleur des attentats a-t-elle surpris les Français ?

Les services de renseignements sont à pied d’oeuvre. On savait qu’on était une cible, que le danger était présent. Pour autant, l’attentat nous a surpris. Tout cela est tellement contraire à nos valeurs qu’on a du mal à l’imaginer.

Que savez-vous du financement de Daech ?

Pas grand-chose sauf que c’est lié à l’industrie pétrolière et aux trafics de drogue. C’est extrêmement important de lutter contre le financement du mouvement. C’est même la clé dans la lutte contre Daech.

Quels sont ses arguments pour recruter ?

Les réseaux sociaux sont utilisés abondamment par les jihadistes. Ils maîtrisent les moyens de communication modernes. Ils recrutent dans les quartiers où des problèmes d’éducation et d’intégration débouchent sur la délinquance et des condamnations. La radicalisation s’opère souvent en prison.

Bien entendu, la religion n’a rien à voir avec la crise actuelle.

Évidemment. D’ailleurs, les attentats de vendredi ont été condamnés unanimement par la communauté musulmane à Maurice et en France. Aucune religion ne justifie le terrorisme. Le monde musulman prend ses distances avec le terrorisme. Aucun musulman raisonnable ne considère que le Coran ou l’application de la sharia peut aller jusqu’à la violence. C’est bien la raison pourquoi la France insiste pour bien désigner l’ennemi. Nous voulons à tout prix éviter l’amalgame. Le musulman modéré et tolérant croit aux valeurs de la France. Ceux qui se réclament de l’islam pour commettre ces crimes constituent, en fait, un groupe précis que nous avons identifié pour éviter l’amalgame. Ses premières victimes sont des musulmans. Il y a là une contradiction fondamentale.

Je m’excuse si cela peut paraître comme une question déplacée en ce moment de deuil. Mais dans quelle mesure peut-on imputer à la politique extérieure française les événements de vendredi ?

La France est une cible parce qu’elle est engagée non seulement en Syrie et en Irak mais aussi au Sahel. C’est par principe qu’on agit sur la scène internationale. La Syrie est un nid de terrorisme. Il faut à la fois lutter contre cela et restaurer un État en Syrie. La solution ne peut pas venir de Bachar el-Assad qui a martyrisé son peuple. L’objectif des frappes aériennes est double : restituer aux peuples irakien et syrien l’intégralité territoriale de leur pays et détruire Daech.

La France considère que cela fait partie de sa responsabilité. Mais elle n’est pas isolée. Elle en parle avec les États-Unis, la Russie, mais elle discute également avec des pays de la région. S’il peut y avoir un seul aspect positif aux événements de vendredi, c’est bien la mobilisation sur le terrain de plusieurs pays contre Daech.

Les circonstances ont favorisé une collusion Russie-France alors que Vladimir Poutine est l’allié du dictateur Bachar el-Assad…

Il ne faut pas mélanger les discussions sur le plan militaire et l’aspect politique. La Russie, elle-même victime de terrorisme, et la France ont une analyse commune de l’objectif à atteindre sur le plan militaire. Mais il n’y a pas eu de discussions entre le président Hollande et Poutine pour trouver ensemble une solution politique au problème syrien. Il n’y a pas de convergence à ce stade à propos d’Assad. Les discussions se poursuivront au G20 sur l’aspect politique. Pour l’instant, la France appelle à une coalition pour combattre Daech. L’enjeu est tel que la coalition est indispensable. Quel sera le monde de demain si on n’arrive pas à bout de Daech ? Plus de crimes, d’agressions et de violence.

Le départ d’Assad reste néanmoins une de vos priorités. Pourquoi ?

En Syrie, la population fuit massivement et émigre. C’est un facteur de déstabilisation pour la région donc pour le monde. Sur le plan politique, la France souhaite qu’une solution soit trouvée dans un cadre international normal. Une résolution des Nations unies ouvrirait la voie à une issue, mais le Conseil de sécurité n’est pas unanime à trouver une solution.

Allez-vous ajuster votre politique extérieure dans le sillage des attentats de Paris ?

Nous poursuivons notre politique au Moyen-Orient telle qu’elle a été définie. Si la question est de savoir s i la France va se désengager pour qu’elle ne soit plus une cible, la réponse est non. Nous ne pouvons pas reculer. Ce serait donner raison aux terroristes. S’agissant du processus politique en Syrie et en Irak, la France doit assumer ses responsabilités internationales. Elle commande le respect pour incarner le gendarme du monde aux côtés de ses partenaires.

La France a une politique d’immigration et d’accueil des réfugiés qui est conforme à ses valeurs humanitaires certes. Mais la volonté d’assimiler les immigrés va à l’encontre de la diversité culturelle ?

Les mots que vous employez sont sans doute forts. Vous parlez d’assimilation. Je dirais plutôt qu’il y a une politique d’intégration. Notre politique traditionnelle s’appuie sur l’idée qu’il faut qu’il y ait adhésion à un minimum de valeurs et au mode de vie des Français pour une installation définitive dans la République française. La France, de son côté, respecte à la fois la liberté de culte et la diversité culturelle.

Si quelques jeunes se sont radicalisés parce que l’intégration a échoué tant sur le plan économique que culturel, il ne faut pas oublier qu’il y a cinq millions de musulmans qui vivent paisiblement en France. Il ne faut pas rejeter totalement le modèle d’intégration de la France parce que quelques milliers d’immigrés ne s’y retrouvent pas. D’ailleurs, il n’y a pas que le milieu des immigrés qui constitue le terreau fertile des terroristes. Il y a aussi des convertis et pas seulement des musulmans immigrés qui sont tentés d’aller vers l’extrémisme.

À la suite du 9/11, George W. Bush avait qualifié la guerre contre le terrorisme de «combat pour la civilisation» et avait formulé sa théorie sur le choc des civilisations. Paris, c’est aussi le choc des civilisations ?

Parler de choc de civilisations c’est d’abord reconnaître que l’ennemi est lui-même civilisé. Or, c’est faire injure aux populations qui se trouvent dans les zones sur lesquelles Daech est présent que de penser cela. De quelle civilisation parle-t-on ? Non, on n’est certainement pas dans une logique de confrontation entre l’Occident et le monde arabe. L’ennemi, c’est un ensemble d’individus qui est sorti des valeurs humaines universelles. Il ne faut pas confondre ce petit groupe avec une civilisation.

Craignez-vous des crispations en France après le traumatisme du week-end dernier ?

Non, la maturité du peuple français fait qu’il rejette l’amalgame entre la religion et le terrorisme. Les gens savent faire la part des choses.

Dans l’Histoire, les mouvements jihadistes se sont montrés tenaces. Les talibans, Al-Qaida ou encore les chebabs et Boko Haram. Est-il raisonnable de penser que l’État islamique s’écroulera rapidement ?

Ce n’est pas facile. La lutte est dure parce que le nombre de fronts qui sont ouverts est grand. Pour avancer, il ne faut pas tergiverser. Pas d’ambiguïté sur l’objectif. L’ensemble des États doit adhérer à cet objectif. Si on baisse les bras, le pire est à venir. On n’a pas le choix que de livrer cette guerre.

Pour vaincre le terrorisme, le gouvernement français a imposé l’État d’urgence. Est-ce justifié ?

La France est bien contrainte d’adapter ses instruments juridiques et ses exigences d’État de droit. Mais ces pouvoirs de police sont exceptionnels et non permanents. On ne va surtout pas renoncer à nos valeurs. On ne peut pas s’aligner sur les valeurs du terrorisme pour combattre le terrorisme.

Devons-nous craindre le terrorisme international à Maurice ?

Il n’y a pas un seul pays qui peut se sentir protégé et non concerné. Partout, il faut être vigilant. C’est le sens de la réaction des autorités mauriciennes. Il ne s’agit pas d’affoler la population mais le pays doit rester attentif aux mouvements d’entrée et de sortie. La Réunion n’est pas épargnée. D’une façon générale, dans la région océan Indien, il y a potentiellement beaucoup de jeunes qui sont intéressés à rejoindre les jihadistes. C’est notre responsabilité d’échanger des informations.