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Marek Ahnee et Kavinien Karupudayyan, traducteurs du Kurunthogai: une complicité tissée autour de l’amour du tamoul
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Marek Ahnee et Kavinien Karupudayyan, traducteurs du Kurunthogai: une complicité tissée autour de l’amour du tamoul
Ils ont évolué dans des univers différents. Et a priori, Marek Ahnee et Kavinien Karupudayyan n’étaient pas faits pour se rencontrer. Pourtant, de leur rencontre est né un livre : un recueil de 93 poèmes traduits du tamoul au français par leurs soins, publié par l’Atelier d’écriture et lancé le jeudi 19 novembre à l’Institut français de Maurice.
Marek, 24 ans, est d’origine mauricienne et française puisque sa mère, Christine, est une Française qui a travaillé dans l’édition et le journalisme avant d’être référent culturel dans un établissement scolaire d’enseignement français. Son père, Gilbert, est Mauricien, journaliste et ancien rédacteur en chef de plusieurs titres de presse.
Après ses études secondaires, Marek s’envole pour le Canada où il a été étudiant en anthropologie et histoire des religions à la prestigieuse université McGill, à Montréal. Il y a, d’ailleurs, complété sa maîtrise. S’il s’intéresse autant aux religions, c’est par rapport à son enfance à Rose-Hill.
«J’ai été élevé dans une ville où les mosquées sont proches des églises et des temples, où l’on entend les chansons bollywoodiennes au marché. Et puis, j’ai la chance d’avoir un père et une mère qui m’ont ouvert les yeux et les oreilles aux différentes cultures existant à Maurice et qui m’ont fait comprendre qu’elles faisaient partie de ma vie. À l’université, lorsque j’ai dû choisir mes langues par rapport à un espace géographique, l’hindi et le tamoul se sont imposés à moi comme une vocation. Cela m’a poussé à vouloir apprendre ces deux langues, tout en me concentrant sur le Sud de l’Inde.»
Un poème doit s’offrir en partage au plus grand nombre comme une offrande
Comme le tamoul est nettement plus compliqué que l’hindi et figure parmi les 15 langues les plus dures à maîtriser et du fait qu’à Maurice, Marek a été plus exposé à l’hindi qu’au tamoul, en 2013, il se rend au Tamil Nadu, en Inde, et passe un mois à Pondichéry, dans une école de langues. Il se familiarise alors au tamil élémentaire. Mais après en avoir terminé avec sa maîtrise auprès de l’université McGill, il décide d’aller apprendre le tamoul à l’Institut national des langues et civilisations orientales, à Paris.
De son côté, bien qu’étant né à Rose-Hill, Kavinien Karupuddayan,22 ans, a grandi à Surinam où vivent ses grands-parents paternels. Il n’a pas négligé ses grands-parents maternels qui habitent Vacoas et surtout sa grand-mère qui a enseigné le tamoul au primaire. Celui-ci lui a conté de nombreuses histoires en tamoul et lui a offert des livres dans cette langue. Si à l’école primaire il étudie le tamoul, cette matière n’est pas à l’étude au collège secondaire qu’il fréquente, à savoir le Moothoocoomaren Sungeelee College de Surinam, alors que cette matière l’est au collège de St-Aubin.
Agacés par cette situation, son père, qui est Head Cashier aux Casinos de Maurice, et une quinzaine de parents décident d’adresser une pétition au ministère de l’Éducation. Après considération de la requête, le ministère leur donne gain de cause. C’est ainsi que Kavinien peut étudier le tamoul jusqu’en Form V. Pour parfaire son tamoul, il achète des DVD de films en cette langue sans sous-titrages et, au final, il comprend les échanges des acteurs à 95%. Après avoir agi comme Supply Teacher de tamoul à l’école St Jean Bosco RCA, il réalise qu’il veut enseigner la langue de ses ancêtres et intègre le Mauritius Institute of Education où il décroche son diplôme d’enseignant.
Depuis le début de l’année, il enseigne le tamoul à l’école primaire Appalsamy Sok Appadu de Chemin-Grenier. Il a 56 élèves de Std I à VI dans ses classes. Il trouve dommage que de nombreux enfants qui apprennent le tamoul au primaire le fassent uniquement pour plaire à leurs parents et ne continuent pas au secondaire. Kavinien reconnaît qu’il y a des différences entre le tamoul écrit et le tamoul parlé. «À l’oral, le tamoul est simplifié alors qu’à l’écrit, la forme et la prononciation de certains mots changent.» Marek parle, lui, de complexités entre les deux. «Il y a certainement un effort à faire mais lorsque l’on aime, on persévère.»
«Pas de barrières entre les mondes littéraires et culturels à Maurice.»
Depuis 2012, Kavinien porte en lui un rêve, celui de traduire le Kurunthogai en français, soit 401 poèmes d’amour écrits entre le 2e siècle avant J.-C. et le 3e siècle de notre ère par 205 poètes et poétesses. Ce n’est pourtant pas dans son entourage familial qu’il en a entendu parler mais dans une pièce en tamoul dans laquelle il a joué et qui s’intitulait Anbu Ullavan Manithan (NdlR : Celui qui a de l’affection) et qui lui a valu de décrocher le titre de Meilleur acteur dans un concours théâtral organisé par le Mahatma Gandhi Institute Drama Club.
«Dans cette pièce, je devais réciter le poème n° 40 du Kurunthogai et cela m’a poussé à aller faire des recherches sur le Net.» Là, il découvre notamment la traduction anglaise de cette oeuvre faite par la pédagogue Vaidehi Herbert. «Elle l’a déconstruite et ce faisant, l’a simplifiée, permettant de comprendre les messages et les codes littéraires des différents poètes qui sont en parfaite cohésion.»
Cette lecture lui fait l’effet d’une révélation, d’où l’idée de la traduction française, d’autant plus que dans la culture tamoule, il est dit qu’un poème doit s’offrir en partage au plus grand nombre comme une offrande. Les routes de Marek et de Kavinien auraient pu ne jamais se croiser s’ils ne fréquentaient tous deux l’Atelier d’écriture de l’éditeur-écrivain Barlen Pyamootoo. En juin 2014, alors que Marek est en vacances à Maurice, il s’y rend tous les samedis pour prendre connaissance des nouvelles oeuvres littéraires. Kavinien aussi. Ils se rencontrent, sympathisent et se découvrent un amour commun pour le tamoul. À un moment, ils évoquent le Kurunthogai, dont Marek connaît déjà quelques poèmes, et une possible collaboration.
Si, au départ, Marek estime que le créole ou l’anglais se prêtent mieux à cette traduction, Kavinien, qui relève que toutes les traductions de poèmes indiens à Maurice ont été faites en anglais mais pas en français, préfère cette dernière langue. «En tombant d’accord pour le français, nous avons voulu montrer qu’il n’y a pas de barrières entre les mondes littéraires et culturels à Maurice.»
Bien que Marek soit reparti à l’étranger quelques mois plus tard, Kavinien et lui communiquent par Skype et courriels. Lorsqu’ils entament la traduction, ils sont assaillis de doutes. Doivent-ils publier l’intégralité du Kurunthogai ou pas ? Ils découvrent l’amour traité sous toutes ses formes par ces poètes antiques. Finalement, des 401 poèmes, ils en sélectionnent 93 qu’ils traduisent. «Nous avons rarement été en désaccord. C’était vraiment fusionnel entre nous et nous nous faisons pleinement confiance.»
Approuvant le projet, Barlen Pyamootoo a cherché et trouvé les parrains qui ont permis l’édition de ce recueil qui a été visé au final par un ami de Kavinien qui a non seulement vérifié la graphie mais aussi la fidélité aux textes originaux. Si les auteurs ont opté pour le titre Le paysage intérieur, c’est parce que «l’amour est métamorphosé par un pays et chaque mood est une région. L’amour est le voyage à travers plusieurs régions d’un même pays. À Maurice, il y a beaucoup de clichés à propos du mysticisme et de l’hermétisme de la culture hindoue. Ce n’est pas vrai car l’amour est universel», avance Marek. Il estime qu’il est temps d’arrêter d’approcher l’amour comme quelque chose de fermé et de propre à un milieu spécifique et «que l’on apprenne à découvrir une tradition littéraire autre que la poésie européenne». Pour Kavinien, ce recueil constitue une façon de partager son héritage littéraire. Tous deux espèrent qu’il y aura une adaptation théâtrale de leur recueil vu que des comédiens ont déjà manifesté un certain intérêt pour le sujet.
Maintenant qu’ils se sont découvert une complicité, ils réalisent qu’il y a un patrimoine culturel indien de Maurice, à savoir la littérature orale constituée de vieilles légendes et d’histoires, qui est en train de disparaître avec la mort de ceux et celles chargés de les transmettre. Les compères ont déjà commencé à enregistrer des personnes âgées à Surinam, Stanley, Vacoas, à des fins de recueil. «C’est une richesse littéraire orale à conserver…»
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