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François Woo Directeur de la Compagnie mauricienne de textile: «La CMT n’est pas obligée de rester à Maurice»

5 décembre 2015, 09:53

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François Woo Directeur de la Compagnie mauricienne de textile: «La CMT n’est pas obligée  de rester à Maurice»

 

Le nom de sa société a fait la une des journaux depuis que Showkutally Soodhun a, d’un ton alarmant, affirmé qu’une grosse pointure du textile menaçait de quitter le pays pour s’implanter ailleurs. Ce, alors que la Compagnie mauricienne de textile est en pleine expansion localement. Son directeur François Woo avoue qu’il a évoqué le besoin de partir. C’est la mesure du gouvernement de limiter le séjour des travailleurs  étrangers à quatre années qui a tout déclenché.

 

Il semblerait que vous avez dit que vous vouliez délocaliser la CMT. Est-ce vrai ?

 Il faut avouer que le pays passe par un moment bien difficile. Nous n’arrivons pas à créer de l’emploi. C’est vrai que le gouvernement est sous pression. Il ne comprend pas pourquoi le secteur privé n’arrive pas à décoller malgré toutes les facilités. Je suis parfaitement d’accord que c’est le cas. Mais il faut savoir que si nous en avions eu l’occasion, nous l’aurions fait depuis longtemps. Mais nous ne pouvons pas nous passer de la main-d’œuvre étrangère. Je suis dans une industrie et je vais vous dire pourquoi on a besoin des étrangers. Parce qu’on n’a pas ces compétences ici. Nous prenons beaucoup de temps à former les étrangers qui travaillent avec nous et nous ne pouvons pas accepter de les perdre au bout de quatre ans, au moment même où ils ont acquis de l’expérience. Sans eux on ne fonctionne pas !

Avez-vous évoqué le besoin de délocaliser vos opérations  à Madagascar ?

 Bien sûr que oui ! Jamais cette compagnie n’a licencié quelqu’un et nous n’avions jamais parlé de délocalisation jusqu’à maintenant. Nous avons toujours parlé d’extension pour des raisons évidentes. Mais nous avons une clientèle à satisfaire. On ne peut pas ramener le coût de production à Maurice au même niveau qu’à Madagascar ou au Bangladesh. Il faut aller là-bas.

Le ministre Soodhun a annoncé des pertes d’emplois à cause de la délocalisation et il a dit que le gouvernement comptait donner toutes les facilités aux entreprises du textile pour qu’elles restent ici. Ça s’apparente à du chantage…

Il ne faut pas être simpliste et dire que la CMT menace le gouvernement de partir. Que l’on fait de la surenchère. On n’a pas l’intention de partir mais, par la force des choses, ça peut arriver. Je parle des faits et ce n’est pas du bluff. Bientôt, nous aurons notre quatrième site de production au Bangladesh. Ce n’est pas qu’une usine que nous faisons mais un parc industriel qui va créer 6 000 emplois. Maurice n’est plus compétitif pour certains produits. Au total 95 % de la gamme basique de nos produits, c’est-à-dire tout ce qui est très simple, est produit au Bangladesh. À la place, ici, nous faisons des vêtements à haute valeur ajoutée. Et pour cela, il faut du personnel avec de l’expérience. La formation prend du temps. Ces gens qui viennent d’ailleurs et qui ont acquis de l’expérience, est-ce qu’on peut leur dire de partir ? On ne les remplace pas comme ça ! Une paire de bras ne fait pas rouler l’usine. Il faut de l’expérience.

Finalement, le gouvernement s’est ravisé et a annoncé la création d’emplois… qu’estce qui s’est passé entre-temps ?

Vous savez, si vous demandez aux étrangers de partir, pour moi, ça ne change rien. Je vais continuer à vivre à Moka, je ne vais pas quitter le pays. Mais ce n’est pas le cas pour la CMT. Si les conditions ne sont pas réunies, la CMT n’est pas obligée de rester ici. Si on dit aux étrangers de partir, c’est le commencement de la fin. Ça va aller très vite ! Tout le monde va y passer. C’est comme avoir une voiture avec une belle carrosserie sans avoir les quatre roues.

À la CMT, on n’est pas les plus intelligents. Il y a eu d’autres opérateurs avant nous qui sont partis. Je peux vous dire qu’une entreprise qui part, elle ne revient pas ! Des bâtiments de la CMT sont en construction ailleurs. Nous avons un bâtiment déjà existant à Madagascar. Nous l’avons fermé à cause de la crise politique malgache mais il sera bientôt de nouveau opérationnel.

 (Il nous montre les produits…)

Comment un ministre va comprendre tout ça ? C’est du haut de gamme ! On lui a dit de venir voir. Tout ça est fait à Maurice. Notre particularité à la CMT, c’est de faire du Fast Fashion. Nos confrères nous appellent : Cousin Manz Tout ! Car à la CMT, rien n’est impossible !

Pourquoi avoir rencontré Soodhun au lieu du ministre  du Travail ?

 Ce n’est pas vrai ! C’est une décision du gouvernement et nous avons rencontré plusieurs ministres. Nous faisons face à de gros problèmes. On me demande ce que je fais encore à Maurice. Pour gagner des sous ? C’est une compagnie qui fait Rs 6 milliards de chiffres d’affaires par année. Dans quelque temps, nous passerons à  Rs 8 milliards. La situation est critique. Ce n’est pas un sujet à polémiquer. La réponse, c’est que j’ai 10 000 personnes, 10 000 familles derrière moi. On a pris 50 ans pour faire une industrie, c’est chagrinant de la tuer comme ça ! C’est un sujet trop sensible pour polémiquer dessus. Je dirai qu’en politique et en économie, on ne peut pas rester tranquille. Des fois, il faut faire bouger les choses. Il y a des movers and shakers. Disons que le ministre Soodhun est un shaker !

Combien de travailleurs étrangers employez-vous et combien de Mauriciens ?

Nous avons 4 500 travailleurs étrangers et 5 500 Mauriciens. Je peux vous dire que sans ces  4 500 étrangers, les 5 500 n’ont pas de travail ! Ils sont plus qu’essentiels. Dans leur pays, il n’y a pas de demandes pour leurs compétences.

Comment se passe le processus de recrutement ?

Je vais personnellement dans ces pays pour superviser le recrutement des gens. On recherche des personnes qui sont qualifiées techniquement et qui sont en bonne santé.

Qu’en est-il des conditions de vie de vos travailleurs  étrangers ?

On achète du poulet par tonne à la CMT. On leur donne des repas équilibrés. Si ce n’est pas du poulet, c’est du bœuf ou du poisson. Ils mangent du poisson plus souvent que moi !

Vous reconnaissez être un gros client du cargo d’Air Mauritius. Avez-vous remarqué une différence dans le traitement qui vous est accordé depuis le changement du board?

 Avoir un ancien ou un nouveau board ne change rien à Air Mauritius. Ce n’est pas évident de naviguer dans un environnement aussi compétitif. Air Mauritius est notre compagnie nationale et d’autres lignes viennent s’ajouter à celles qui desservent déjà Maurice. Turkish Airlines en est une. Et je souhaite bonne chance à Air Mauritius.

Si c’est un ancien membre du board qui le dit, c’est que la situation est grave…

 Vous savez, je n’ai jamais voulu être sur des boards. Mon emploi de temps ne me le permet pas. L’université de Maurice m’a demandé d’être sur le sénat mais j’ai refusé. C’est pourtant cette université qui m’a formé. J’ai dû dire non à contrecœur. J’ai beaucoup à donner à ce pays parce que le pays m’a beaucoup donné. Et parfois, je ne peux pas refuser de siéger sur des boards. Ils ont des tâches ingrates et ont des décisions difficiles à prendre. Si je peux aider la compagnie nationale d’aviation de quelque manière, je suis satisfait.