Publicité

Réchauffement climatique: vertueux les Mauriciens?

6 décembre 2015, 17:02

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Réchauffement climatique: vertueux les Mauriciens?

Contribuons-nous au réchauffement du climat ?

Oui. En 2014, les émissions de gaz à effet de serre des Mauriciens s’élevaient à 5,1 millions de tonnes équivalant de dioxyde de carbone (CO2), en hausse de 2 % par rapport à 2013. Le pays rejette essentiellement du CO2 (89 % des émissions) issu de la combustion des ressources fossiles (charbon, pétrole, gaz). Ce gaz est le principal responsable du réchauffement climatique. Maurice produit aussi – en beaucoup plus faible quantité – du méthane (CH4) et du protoxyde d’azote (N2O), qui sont deux autres gaz à effet de serre importants. Le premier provient de l’élevage, le second des engrais azotés et de certains procédés industriels.

 

Que deviennent nos émissions polluantes ?

Elles ont trois destinations.

L’océan absorbe environ le quart du CO2 émis. Les conséquences sont déjà visibles : une acidification de l’eau et une détérioration de l’écosystème marin. Un autre quart est capturé par la végétation et les sols. Le reste, c’est-à-dire la majeure partie, s’accumule dans l’atmosphère, ce qui a pour effet de réchauffer le climat.

 

Qui est responsable ?

Nous tous, via l’électricité et les transports.

Les secteurs les plus générateurs de gaz à effet de serre àMaurice sont en premier lieu les centrales qui produisentde l’électricité ou de la chaleur (61 % des émissions).Viennent ensuite le secteur du transport (avions et voituresqui représentent 25 % des émissions) et les différentesindustries (8 %). Les émissions cumulées du secteur résidentiel et de l’agriculture pèsent moins de 5 %.

 

Le pays fait-il partie des gros pollueurs ?

Loin de là. Maurice produit 0,11 % des émissions mondiales de CO2, ce qui place le pays au 128e rang mondial des «réchauffeurs» (sur 216 États et territoires passés en revue par le Global Carbon Project, un consortium international d’organismes de recherche de référence). Pour se faire une idée précise, nous produisons autant de gaz à effet de serre en une année que l’Inde en 15 heures. La Chine, les États-Unis et ce pays sont responsables de la moitié des émissions mondiales.

 

Sommes-nous pour autant vertueux ?

Non.Rapporté à la population, le tableau est moins flatteur.Un Mauricien émet en moyenne 3,3 tonnes de carbone par an, soit plus qu’un Indien, un Singapourien ou un Brésilien. Pour contenir le réchauffement planétaire à 2 °C, il faudrait limiter les rejets moyens de chaque Terrien à environ 2 tonnes de CO2 d’ici à 2050. Cela implique pour Maurice une baisse de 40 % des émissions. Or, nous n’en prenons pas le chemin. En 15 ans, le pays a doublé ses émissions de gaz à effet de serre.

 

 

Dans la région, où se situe-t-on ?

Parmi les cancres.

Maurice a le triste privilèged’être l’un des deux plusgros pollueurs des îlesde l’océan Indien, justederrière la Réunion. Àl’échelle du continent,le bilan n’est guère plusreluisant. Le pays pointe àla 7e place (sur 54) des plusgros émetteurs de CO2 enAfrique, par habitant. Et au 3e rangpour les émissions dues au charbon.

 

Qu’est-ce qui plombe notre bilan carbone ?

La dépendance croissante du charbon. Maurice part en houille : le pays a de plus en plus recours au charbon, source d’énergie la plus sale. En valeur absolue, le pétrole reste le premier responsable des rejets mauriciens de CO2. Mais la consommation stagne. À l’inverse, le pays ne cesse de déclarer son amour au charbon. En 2014, près de 800 000 tonnes ont été importées d’Afrique du Sud, un record. Bilan sur 10 ans : les émissions dues à la combustion de pétrole ont progressé timidement (+ 8 %), alors que celles liées au charbon ont explosé (+ 200 %). Aujourd’hui, un Mauricien produit 1,3 tonne de CO2 par an, rien qu’avec sa consommation de charbon. C’est 13 fois plus qu’un Namibien, quatre fois plus qu’un Brésilien, deux fois plus qu’un Français.

Qu’est-ce que le pays compte faire ?

Réduire de 30 % les émissions polluantes.

Les études sont nombreuses, mais les préconisations rarement suivies d’effets. La part des énergies renouvelables dans la production d’électricité était de 25 % il y a dix ans. Elle est tombée à 20 %. Le 28 septembre dernier cependant, le pays a fait connaître ses ambitions en matière de gaz à effet de serre. Comme 195 États, Maurice a remis son

INDC – pour Intended Nationally Determined Contributions – au secrétariat de laConvention climat de l’ONU.Objectif annoncé : une baissede 30 % des émissions d’icià 2030 par rapport auniveau où nous conduiraitla tendance actuelle.

Faut-il se réjouir de cette annonce ?

Bien au contraire.

L’ambition mauricienne est nettement plus faible qu’elle n’y paraît. Le pays annonce une réduction de 30 %... «par rapport au scénario business as usual». Le problème, c’est que ce scénario est inconnu. Dans son INDC, Maurice propose une estimation soigneusement élevée : 7 millions de tonnes de CO2 en 2030. Le résultat de cette rhétorique un peu acrobatique revient à diminuer nos émissions actuelles… de 4 %.

Pourquoi cet objectif est-il décevant ?

 

Pour quatre raisons. D’abord, le compte n’y est pas : avec une baisse de 4 % des gaz à effet de serre, le total obtenu reste largement supérieur à ce qui pourrait permettre de rester sous la barre des 2 °C. Ensuite, le pays semble vouloir s’entêter à exploiter le charbon, énergie la plus polluante. De plus, l’objectif mauricien n’est pas attaché à un plan concret permettant d’y parvenir. En revanche, il est «impérativement» conditionné à «un soutien technique et financier international» de 5,5 milliards de dollars (Rs 200 milliards). Un projet peu crédible,donc, qui résonne surtout comme un appel à une opération de levée de fonds. Raj Dayal, le ministre de l’Environnement, l’a d’ailleurs dit ouvertement : s’il s’est rendu à Paris samedi, c’est pour «obtenir réparation en bonne et due forme de cette injustice [le fait que Maurice contribue peu au réchauffement climatique mais en paie le prix fort] auprès des nations les plus riches, afin de remédier à notre grave manque de financement et de technologies pour limiter les dégâts liés aux catastrophes naturelles».

 

Au final, Maurice s’est engagée à quoi ?

À rien de contraignant. Les INDC sont des promesses, pas des engagements. Ils seront annexés à l’accord de Paris mais ne feront pas partie du texte juridiquement contraignant. Ce dernier devrait tout de même mettre par écrit un mécanisme de contrôle et de révision de ces ambitions. Mais il n’existe pas d’instance (une Organisation mondiale de l’environnement, par exemple) qui pourrait sanctionner des manquements aux engagements.

Est-ce que le climat se réchauffe déjà chez nous ?

Oui. Dans l’imaginaire collectif, le changement climatique, c’est un ours blanc dérivant sur sa banquise ou des atolls du Pacifique inondés. Pourtant, les impacts à Maurice sont déjà là. La température moyenne de l’île a augmenté de 0,74 °C au cours du demi-siècle écoulé. Moins d’un degré, ça n’a l’air de rien. Pourtant, des conséquences ont été observées sur les précipitations (en baisse de 8 % entre 1950 et 2008), l’écosystème marin (blanchissement des coraux imputable au réchauffement de l’océan), les zones côtières (accélération de l’érosion), l’agriculture (irrégularité de la pluviométrie), la pêche (chute de la production) ou encore les événements climatiques extrêmes (sécheresses, cyclones, inondations) plus fréquents et  plus intenses.

 

Quelles sont les projections ?

De +1,6 °C à + 4,4 °Cd’ici à 2100. C’est ce que prévoient, selon trois scénarios plus ou moins pessimistes, les modèles climatiques du plan national de lutte contre le réchauffement publié en 2013. L’élévation du niveau de la mer serait, elle, de 5 cm à 48 cm. Une autre projection, plus récente, est celle de la contribution mauricienne à la COP21. Si la tendance se poursuit, la hausse du thermomètre dans l’île sera de 3,8 °C, avance le document. «Un tel scénario aurait des conséquences catastrophiques», estimait en septembre le climatologue français Edouard Bard, de passage dans l’île. C’est la grande injustice du réchauffement climatique : ceux qui en sont le moins responsables en sont les premières victimes. Maurice est le 14e pays au monde le plus exposé à ces dérèglements, selon l’indice mondial de l’université des Nations unies.

Quelles conséquences pour les générations à venir ?

Elles pourraient être désastreuses. Le panorama dressé par leNational Climate ChangeAdaptation Policy Frameworkn’est guère réjouissant.Selon cette étude – la pluscomplète réalisée à ce jour surMaurice – le réchauffementclimatique est une bombe àretardement qui pourrait nouscoûter très cher. La faune etla flore, mais aussi la sécuritéalimentaire, la santé, l’économieet l’emploi risquent d’êtredurablement affectés. Sansréel effort d’adaptation, despénuries d’eau sont annoncéesdès 2030, accompagnéesd’une chute des rendementsagricoles. Le secteur de lapêche sera impacté, avec deforts taux d’extinction desespèces. Celui du tourismeaussi, avec la disparition dela moitié des plages à l’horizon2070. Reste, évidemment, unelarge part d’incertitude. Elleréside principalement dansles quantités de gaz à effet deserre qui seront émises dansl’atmosphère ces prochainesdécennies, à l’échelle planétaire.