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Jean Bruneau: «Aurore Gros-Coissy est un exemple à suivre»

7 décembre 2015, 13:00

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Jean Bruneau: «Aurore Gros-Coissy est un exemple à suivre»

Le commissaire des prisons reprend la plume. Après avoir publié «Lettres de mes casernes» quand il a quitté la force policière, Jean Bruneau lancera bientôt son «Histoire de la prison mauricienne».

 

Cela fait cinq ans déjà que vous êtes à la tête du département des prisons. Vous êtes donc un dur à cuire!

Je suis plutôt soft, un sentimental, même si parfois, ce n’est pas bon d’être trop soft dans les forces de l’ordre. Alors je n’hésite pas à trancher quand il le faut. Certaines situations requièrent d’être ferme. Mais c’est une attitude que je n’utilise qu’en dernier recours car je pense qu’il n’est pas toujours nécessaire de passer par la méthode dure.

 

Être conciliant, n’est-ce pas une faiblesse quand on travaille dans le milieu carcéral ?

Il faut parler à un prisonnier avec un langage «humain» et le traiter avec dignité car c’est avant tout un être humain. Bien sûr, il y a des personnes difficiles à gérer mais elles comprennent.

 

Les gens qui sont emprisonnés ne sont, en effet, pas des enfants de choeur. Mais il y a des raisons. La plupart viennent de familles à problèmes avec un manque d’encadrement intellectuel ou économique. Ils se sont aussi laissés influencer par la drogue ou l’argent facile. La drogue a une influence considérable sur la prison et beaucoup de délits sont commis à cause de la drogue.

 

Difficile de se battre contre la drogue…

Une des choses qui ont stabilisé la situation en prison est le traitement de substitution à la méthadone. Pour un prisonnier, vivre sans drogue, c’est difficile. Certains peuvent même s’entretuer pour de la drogue. Avec la méthadone, ils peuvent vivre normalement et faire des choses productives. Nous avons environ 500 prisonniers sous traitement de substitution à la méthadone.

 

Quarante-deux ans dans la force policière, cinq ans à la prison, ça en fait des souvenirs.

Quarante-deux ans, c’est long et c’est ce qui m’a encouragé à écrire le livre Lettres de mes casernes. La police, c’est beaucoup de bons moments. Vivre dans les casernes, ça a quand même son charme, et il y a des amitiés qui se forment. Beaucoup d’officiers ont des anecdotes et des souvenirs qui valent la peine d’être racontés. Certains sont partis avec leurs secrets. Moi, j’ai essayé de raconter.

 

Pourquoi avoir voulu raconter «L’histoire de la prison mauricienne» ?

Il m’a fallu environ deux ans pour écrire ce livre. J’y parle d’événements précis, comment la prison a évolué. L’univers carcéral a toujours attisé la curiosité du monde extérieur et il y a des grands films, comme Alcatraz, qui se déroulent dans une prison. Résultat : les gens ont une image de la prison qui ne correspond pas forcément à la réalité.

 

Notre rôle est de nous assurer que le prisonnier purge sa peine, qui est d’être privé de liberté. Il ne faut pas en rajouter, comme avec des travaux forcés. À l’époque, les gens étaient enchaînés et ce n’est pas humain.

 

Pour certains, prison équivaut à punition. Pour vous, il s’agit de réinsertion. Expliquez-nous.

Il faut que les prisonniers développent la confiance en soi. Certains commettent des crimes car ils manquent de confiance en eux. Certains sont des artistes et ils n’en prennent conscience que quand ils commencent à pratiquer l’art en prison. Ils doivent prendre conscience de leurs valeurs pour ne pas faire de bêtises.

 

Le système pénitentiaire a évolué. La réhabilitation est un long cheminement et il ne faut pas oublier les droits de l’Homme. Maurice est signataire de la Convention des droits de l’Homme.

 

Quelle est la réalité cachée derrière les barreaux ?

C’est fascinant. Certains disent que la prison a changé leur vie. Prenez l’exemple d’Aurore Gros-Coissy, qui dit que pour rien au monde elle ne changera son histoire. Il y a des bagarres oui, il y a de la violence, mais ce sont des personnes à problèmes et parfois elles règlent des comptes. C’est un long processus pour changer tout ça. Ce n’est pas un travail facile.

 

Quelle place la société accepte-t-elle de donner à ces prisonniers une fois leur peine purgée?

La société doit changer son regard sur les prisonniers. On est révolté contre les crimes mais il ne faut pas être révolté contre la personne elle-même. Il ne faut pas la condamner à jamais. Une personne n’est pas faite pour être en prison pour toujours. Les prisonniers ont une famille aussi, il faut y penser. Et puis, il y a les coûts que cela entraîne.

 

Qu’avez-vous appris au contact des prisonniers ?

On apprend tous les jours et on gagne en maturité. Avec l’expérience, on réagit différemment aux problèmes et on apprend la maîtrise de soi.

 

Avez-vous déjà regretté d’avoir rejoint cet univers ?

Oui. Parfois une série de problèmes fait surface malgré nos efforts et on est découragé. Mais ça passe vite et la motivation revient.

 

Qu’est-ce qui vous a convaincu en 2010 de rejoindre le département des prisons?

C’était un défi que je voulais relever.

 

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez au quotidien?

Si on regarde les difficultés, on met rapidement la clé sous le paillasson. Chaque jour comporte son lot de difficultés mais aussi de positivité. Chaque difficulté est une opportunité pour développer une stratégie afin de régler le problème.

 

Le profil des prisonniers a-t-il changé au fil des années ?

On voit beaucoup de jeunes maintenant. Il y a peut-être un manque d’encadrement et les gens accordent moins de temps à leurs enfants en négligeant certaines choses de la vie et, indirectement, ça a un effet. Les jeunes ne sont pas forcément méchants mais pour les comprendre, il faut se mettre à leur place, les temps ont changé.

 

Que pensez-vous avoir apporté aux prisons ?

Mon objectif principal était de rendre à la prison ses lettres de noblesse. À un certain moment, peut-être à cause d’une mauvaise politique de communication, on pensait que la prison était inefficace. On a essayé de travailler à partir d’un plan, en équipe, avec la collaboration du judiciaire et des ONG, entre autres.

 

Que représente la libération d’Aurore Gros-Coissy ?

Aurore est une référence. C’est une jeune femme qui s’est retrouvée avec trois ans d’attente de procès et une peine de 20 ans. Loin de sa famille, elle a gardé le moral. Elle ne présente pas d’amertume et ça montre qu’il ne faut pas se laisser aller. Elle est un exemple à suivre. Elle dit même être un peu triste de quitter la prison : c’est lourd de sens.

 

Et la prison de Melrose, est-ce si facile de s’en évader ?

Même dans les plus grandes prisons, les gens trouvent toujours un moyen. Mais tout dépend de la vigilance des officiers, avec l’apport de la technologie, qui bouge vite.

 

Quand comptezvous passer le flambeau ?

Point d’interrogation. Mais il faut se dire que nul n’est indispensable, c’est bon qu’il y ait une relève.

 

Que reste-t-il encore à améliorer ?

Il faut miser sur la formation des officiers et des détenus. On veut que notre école de formation devienne une académie. On travaille actuellement à faire de notre école une académie sur le plan régional.