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Corinna Zarek: «Il est grand temps que la Freedom of Information Act entre en vigueur»

13 décembre 2015, 10:02

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Corinna Zarek: «Il est grand temps que la Freedom of Information Act entre en vigueur»

 

Le bureau de l’Attorney General aurait commencé à collecter des données qui aideront à préparer une ébauche de la tant attendue «Freedom of Information Act». C’est du moins ce qu’affirme l’ambassade américaine, qui a demandé à Corinna Zarek, «Senior Advisor» à la Maison-Blanche, d’animer un atelier de travail à ce sujet. Rencontre.

Le «Freedom of Information Act» semble effrayer les dirigeants de plusieurs pays. Pourquoi ?

Même s’il est primordial que le peuple puisse demander des comptes au gouvernement, c’est certainement désagréable pour ceux qui sont au pouvoir de devoir répondre à leurs questions ! Il est tellement plus simple pour les dirigeants de ne pas offrir l’opportunité aux gens de mettre en lumière des informations préjudiciables ou embarrassantes.

Que pourrait apporter une «Freedom of Action Act» à une démocratie telle que la nôtre ?

Grâce à la Freedom of Information Act (FOIA), les Mauriciens seront au courant de tout ce qui se passe dans les coulisses, ils pourront accéder à des informations pertinentes, avoir accès à des données qu’il est difficile d’obtenir aujourd’hui. Ils pourront participer activement aux débats avant que des décisions clés ne soient prises.

La FOIA est en vigueur aux États-Unis depuis 1966. Mais cette loi comporte tout de même des restrictions. Quelles sont-elles ?

Il y a des restrictions par rapport à l’accès à l’information non seulement aux États-Unis mais dans d’autres pays où la FOIA existe. L’on ne divulguera pas, par exemple, des données pouvant mettre en péril la sécurité intérieure ou celles qui relèvent du domaine privé ou du secret médical, entre autres. Mais chaque pays adapte la FOIA selon ses besoins.

Les États-Unis ont opté pour la formule d’«open government». Qu’est-ce donc ?

Il s’agit d’un concept où c’est le gouvernement qui fournit l’information de nature publique sans que quelqu’un ait à le demander. Les informations sont mises en ligne, accessibles au public afin que celui-ci puisse participer à l’étape cruciale qu’est la prise de décision.

Par ailleurs, il existe également une plateforme internationale – Open Government Partnership – à travers laquelle les 70 pays membres s’encouragent mutuellement à être plus «transparents», plus responsables avec une implication plus soutenue de la société civile. Plusieurs pays d’Afrique font partie de ce groupe et en 2016, c’est l’Afrique du Sud qui le présidera pour une période de deux ans.

Le gouvernement mauricien est-il au courant de l’existence d’une telle plateforme ?

Nous avons eu des rencontres fructueuses jusqu’ici et j’espère qu’il y en aura d’autres. Il faut cependant que la société civile prenne place à la table des discussions pour faire avancer les choses.

Quels sont les critères requis pour pouvoir faire partie de la plateforme ? Quelles sont les conditions qui y sont rattachées ?

La transparence budgétaire – qui montre que les citoyens sont au courant de ce que fait le gouvernement avec l’argent public – ou encore la déclaration du patrimoine des membres élus du gouvernement sont quelques-uns des critères requis. (pour plus de détails : opengovpartnership.org).

Quels sont les avantages dont bénéficient ceux qui font partie de l’«Open Government Partnership» ?

Les pays membres bénéficient du soutien des autres pays, d’un réseau déjà établi mais peuvent également tirer profit de l’expérience de ceux qui sont déjà passés par ces étapes-là pour adapter les stratégies déjà mises en place ailleurs. Nous sommes tous du même côté, nous luttons pour la même chose alors autant le faire ensemble.

Vous êtes aussi professeur de droit en communication à Washington. Pourriez-vous nous expliquer la différence entre les lois pour la liberté de la presse et la FOIA ?

Les deux vont de pair. La liberté de la presse est primordiale partout dans le monde, c’est un droit garanti aux États- Unis. La liberté de la presse permet aux journalistes de pouvoir s’exprimer sur des sujets sans que le gouvernement n’interfère dans leur travail. Par contre, la FOIA confère à n’importe quel citoyen le droit de poser des questions au gouvernement.

Maurice est cité en exemple au niveau africain pour ce qui est du respect de la démocratie. Le fait que nous n’ayons pas de loi permettant le libre accès à l’information n’est-il pas paradoxal ?

Il faut le prendre comme une opportunité, il est grand temps que la FIOA entre en vigueur. Et c’est encourageant de voir qu’il y a tellement de voix au sein du gouvernement et de la société civile qui militent pour cela. Une vraie démocratie doit permettre aux gens d’avoir accès aux informations nécessaires pour qu’ils puissent prendre de bonnes décisions et Maurice étant une vraie démocratie, il est grand temps de franchir cette étape.

Qu’en est-il des coûts liés à l’entrée en vigueur d’une telle loi ? Ils doivent être exorbitants…

Absolument ! Les États-Unis dépensent environ un demi-milliard de dollars par an en termes de charges administratives liées à la FIOA. Mais les États-Unis, de par leur taille, ne peuvent être comparés à Maurice, où les frais seraient bien moindres. Et puis, c’est une loi qui existe depuis 50 ans chez nous, elle est entrée dans les mœurs et les citoyens n’hésitent pas à y avoir recours s’ils veulent obtenir quelque information. À Maurice, il faudra une évolution culturelle, il faudra que les gens apprennent à «utiliser » cette loi avant qu’on n’en arrive à des coûts conséquents.

Sinon, en quoi consiste le travail d’une «Senior Advisor for Open Government» auprès de la Maison-Blanche ?

Je travaille avec plus de 100 institutions pour l’avancement du concept de gouvernement transparent, ouvert. Mon job consiste à voir comment l’inclure dans les politiques gouvernementales et les projets. L’on peut constamment introduire de nouvelles idées et de nouvelles façons de gouverner. Nous avons une réunion mensuelle à Washington, avec des collègues de toutes les institutions en question et nous discutons, nous partageons des informations, des expériences et les défis rencontrés.

À l’ère de la technologie avancée, où les «hackers» et les «leaks» sont légion, comment le gouvernement gère-t-il tout cela ?

Hormis les moyens et les dispositifs classiques, nous utilisons l’arsenal légal mis à notre disposition. Les dénonciateurs, par exemple, permettent de démasquer des fraudeurs, de voir là où il y a maldonne tout en étant protégés.

Les politiciens sont ceux qui décident de promulguer des lois mais ils peuvent aussi en abuser. Comment faire pour qu’ils évitent d’y intégrer des «portes de sortie» ?

C’est la raison pour laquelle des personnes autres que les membres du gouvernement doivent aussi être à la table lors des discussions. Je parle là des médias, de la société civile, des intellectuels. C’est une pratique qu’un vrai gouvernement transparent encouragerait et que la population doit demander de vive voix.

Que pensez-vous d’un gouvernement qui détient des parts, voire dirige carrément un organe de presse ?

C’est un vrai défi pour des journalistes qui ne peuvent s’appuyer sur la liberté de la presse. C’est aussi un défi pour les citoyens car ils n’ont pas le même accès, la même ouverture aux informations ou aux idées comme dans les pays ayant une presse vraiment libre. Mais souvent, il y a ceux qui, malgré lesdits défis, feront tout pour faire entendre leur voix, il y a toujours des moyens de faire parvenir l’information.

Quel a été l’impact de la guerre contre le terrorisme sur le concept d’«open government»?

C’est certainement très difficile de balancer l’information que les gens veulent voir et entendre sans mettre en danger la sécurité intérieure. Mais certaines de nos institutions prennent néanmoins l’initiative de divulguer le maximum d’informations avant même que les citoyens ne fassent la demande pour y avoir accès. Ainsi, une institution américaine a mis en ligne la liste de livres se trouvant au domicile d’Osama Ben Laden, car cela intéresse les gens.