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Fred Swaniker, fondateur de l’African Leadership University: «L’Afrique est le plus excitant des continents»

20 décembre 2015, 09:52

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Fred Swaniker, fondateur de l’African Leadership University: «L’Afrique est le plus excitant des continents»

Ce serial-entrepreneur ghanéen a fait un rêve : créer un réseau d’universités qui formera 3 millions de leaders africains et les retiendra sur le continent. Un premier campus vient d’ouvrir à Beau-Plan. Brin de causette à la cafét’.

C’est donc vous le Steve Jobs africain ?
(Sourire) Oh non, je n’ai pas cette prétention…

Forbes vous classe pourtant parmi les hommes les plus influents d’Afrique…
Je regarde très peu les classements, surtout s’ils sont flatteurs.

Seriez-vous surcoté ?
La comparaison avec Steve Jobs l’est. Cet homme est à part, c’est un modèle qui m’a toujours influencé.

En quoi ?
Son courage, sa capacité à think outside the box, son perfectionnisme. Je n’ai pas accompli le centième de ce qu’il a fait. Par contre, je veux faire émerger le Steve Jobs africain, le Bill Gates, le Mark Zuckerberg, etc. C’est ce qui m’anime au quotidien depuis vingt ans.

Est-ce pour cela que vous semez des écoles et des universités dans le monde entier ?
Oui. Parce que je suis convaincu que l’éducation est la clé de la transformation de l’Afrique. Mon dernier projet, c’est de construire l’université du futur, avec un réseau de 25 campus répartis sur tout le continent, qui peuvent accueillir chacun 10 000 étudiants. C’est un gros pari : former, en 50 ans et par promotions successives, plus de 3 millions de jeunes entrepreneurs, managers et leaders africains. Et combler ainsi le déficit de compétences sur le continent.

Et le premier de ces campus vient d’ouvrir ici, à Beau-Plan.
C’est cela. Nous accueillons 180 étudiants provenant de 22 pays d’Afrique – l’institution tertiaire la plus cosmopolite de l’île. À terme, nous aurons un tiers de Mauriciens, un tiers d’Africains et un tiers d’internationaux, États-Unis, Inde, Chine, etc. Avec Maurice, nous sommes au tout début de l’aventure, nous ouvrirons bientôt d’autres campus au Rwanda et au Nigeria.

Cela prendra combien de temps pour créer les 25 universités ?
Quinze ans, peut-être plus. Il faut du temps pour transformer l’Afrique en profondeur. Je suis originaire du Ghana mais j’ai vécu et travaillé dans une dizaine de pays africains. Je porte l’Afrique en moi, je sais bien que son potentiel est immense, mais je sais aussi que ce qui nous tire vers le bas depuis trop longtemps, c’est la mauvaise qualité du leadership africain. Notre deuxième génération de dirigeants a ruiné l’Afrique.

La deuxième génération, c’est qui ?
Idi Amin Dada en Ouganda, Abacha au Nigeria, Mobutu au Congo… Leur temps a été marqué par les guerres, les coups d’état, la corruption. C’est ce que j’appelle «la génération perdue». La bonne nouvelle, c’est que la plupart de ces dirigeants ne sont plus là. Avant eux, la première génération fut celle des leaders post-indépendance qui ont libéré nos peuples du colonialisme. La troisième génération, celle qui est aux commandes aujourd’hui, a mis fin à la plupart des conflits. Il y a à peine trois décennies, une bonne trentaine de pays d’Afrique était en conflit, ils ne sont plus que cinq actuellement. Nous avons donc remporté deux batailles : celle contre le colonialisme et celle de la stabilité politique du continent. La prochaine lutte à gagner, c’est la pauvreté. Sans créer notre propre richesse, nous ne pourrons jamais construire nos routes, ni éduquer et nourrir nos peuples. Nous ne pourrons pas leur donner un logement décent, ni des services de soins acceptables. L’éradication de la pauvreté, c’est ce qui attend la quatrième génération. Celle qui va tout changer.

De quoi a-t-elle besoin, très concrètement ?
Le modèle éducatif africain est dépassé, inopérant. Il n’apprend pas à nos jeunes les métiers de demain.

Ces métiers ont-ils seulement été inventés ?
Non, mais rien n’interdit de s’y préparer. L’université doit pourvoir former des citoyens capables de s’adapter, en permanence. Or, dans leur immense majorité, les universités africaines n’enseignent que de la théorie. Notre projet, c’est de développer de vraies compétences professionnelles et non pas juste de la connaissance. Nous apprenons à nos étudiants à prendre des décisions, à résoudre des problèmes pour avoir un impact positif sur la vie des autres. Le critical thinking et le self leadership sont également enseignés. Chaque année, nos étudiants passeront quatre mois dans une entreprise opérant sur le territoire africain. Ces entreprises vont sponsoriser les frais de scolarité des étudiants. Elles seront donc certaines de recruter les talents qu’elles ont tellement de mal à trouver, à cause de la fuite des cerveaux. L’idée, c’est de créer un réservoir de talents.

A Maurice, le réservoir fuit. Comment y remédier ?
Les meilleurs talents vont là où se trouvent les meilleures opportunités, c’est aussi simple que cela. Donc, il n’y a pas de solution miracle, il faut créer des opportunités qui donnent envie aux jeunes de rester.

Difficile ?
Non. L’Afrique est aujourd’hui le plus excitant, le plus prometteur des continents. Nous sommes là où la Chine était il y a 20 ans. Le reste du monde ralentit mais l’Afrique, elle, décolle. C’est le nouvel Eldorado des entrepreneurs. Beaucoup d’Africains entreprennent déjà, à chaque instant, sans le savoir, pour survivre. Mais cela ne va pas changer la donne. Nous avons besoin de leaders qui créeront des entreprises puissantes et en forte croissance, capable d’offrir des emplois à des dizaines de milliers de personnes. L’Afrique aura la plus grosse main-d’oeuvre du monde en 2050, plus importante que celle de la Chine ou de l’Inde. Dans trente ans, il y aura un milliard de personnes sur le marché du travail. Nous devons donc nous focaliser sur l’éducation, la formation et la création d’emplois.

Il y a 10 ans, vous lanciez à Johannesbourg l’African Leadership Academy, une école destinée aux adolescents africains. Le leadership, déjà…
L’African Leadership Academy fut la première étape. Ces adolescents, une centaine chaque année, deviennent entrepreneurs, ingénieurs, scientifiques, hommes politiques, journalistes...  Il s’agit de la prochaine génération de leaders africains, au service de l’Afrique. Nous offrons à ces jeunes tous les frais de scolarité, l’équivalent de 80 000 dollars, mais à une condition : il faut qu’ils s’engagent à rester sur le continent pendant une durée minimum de dix ans.

Vous vivez à Maurice depuis quelques mois. Quel regard portez-vous sur le pays ?
Je suis impressionné. En termes de gouvernance, Maurice est un exemple. Stabilité politique, bon management macroéconomique, peu d’insécurité, tout cela est nouveau pour moi, je savoure ! (rires) Votre démocratie est robuste, le climat des affaires business friendly. Le hic, c’est la taille du marché domestique. Cela ne laisse pas le choix, Maurice doit se penser comme un hub. L’autre problème, c’est le manque d’accessibilité vers l’Afrique. Pour venir régulièrement, il n’y a que la liaison avec Johannesbourg.

Seules nos TPE et PME créent de l’emploi. Qu’en conclure ?
Que votre marché du travail ressemble à beaucoup d’autres. Aux États-Unis, 70 % des emplois nouveaux sont créés par des PME. Ce qui est important, c’est qu’elles puissent grandir, se développer, voir plus loin que le marché mauricien.

Un bon entrepreneur, c’est quelqu’un qui voit loin ?
Pour entreprendre, il faut quatre ingrédients. Tout d’abord des idées, ou plutôt des problèmes à résoudre, ce qui ne manque pas en Afrique. Si vous soulevez un caillou, vous trouverez un problème africain, et donc potentiellement une idée d’entreprise. Deuxième ingrédient, l’équipe. C’est là où les Africains doivent progresser : choisir les bonnes équipes pour exécuter les bonnes idées. Troisième ingrédient, le financement. Et le quatrième, peut-être le plus important, c’est le rêve. Si vous mixez tout ça, vous avez une entreprise prospère entre les mains.

Un entrepreneur est donc un rêveur ?
Oui, quelqu’un qui rêve en grand. Qui ne lâche jamais son rêve des yeux, même s’il sait qu’il peut échouer. Le plus puissant levier pour entreprendre n’est pas l’argent; c’est la capacité à rêver.


Ses dates

  • 1976. Naissance au Ghana.
  • 1999-2001. Consultant chez McKinsey.
  • 2004. Diplômé de Stanford.
  • 2005. Fonde l’African Leadership Academy.
  • 2010. Reçu par Barack Obama à la Maison-Blanche.
  • 2012. Désigné Young Global Leader par le World Economic Forum.
  • 2015. Ouvre à Beau-Plan le premier campus de l’African Leadership University.