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Réforme électorale: une mission impossible?

23 décembre 2015, 18:00

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Réforme électorale: une mission impossible?

Si la volonté du gouvernement de réformer le système électoral est à saluer, en revanche, la manière dont le projet de réforme serait mené fait déjà sourciller plus d’un. Ainsi, les partis de l’opposition parlementaire sont plus ou moins sur la même longueur d’onde par rapport aux attributions jugées «trop vastes» du comité ministériel mis sur pied pour revoir la réforme électorale. Ils rejoignent ainsi la position adoptée par l’expert en systèmes électoraux, Rama Sithanen, dans les colonnes de l’express le mardi 22 décembre.

Selon Alan Ganoo, du Mouvement patriotique, instituer un tel comité avec «autant d’attributions» équivaut à renvoyer aux calendes grecques une vraie réforme électorale. Il est d’avis que la solution idéale aurait dû être la mise sur pied d’une commission constitutionnelle avec des juristes et des experts dans le domaine électoral, un peu à la manière du comité Sachs. «Cela coûtera plus cher au pays mais l’approfondissement de la démocratie n’a pas de prix.»

«Péna simé», nous a déclaré, en substance, le député du MMM Veda Baloomoody. «J’ai siégé au sein du Select Committtee, présidé par Ivan Collendavelloo en 2002. Je peux vous dire qu’avec autant d’attributions, le comité faillira dans sa tâche. C’est comme-ci on mélangeait torchons et serviettes.» Selon Veda Baloomoody, les priorités auraient dû être une dose de proportionnelle, la révision des pouvoirs de l’Electoral Supervisory Commission et le financement des partis politiques. Ses propos sont rejoints par ceux d’autres politiciens qui estiment que le système électoral à Rodrigues et le transfugisme auraient dû être traités séparément et ultérieurement.

«Tout est interconnecté, c’est un ensemble.» 

Du côté des rouges, on affiche la prudence. Le parti n’ayant pas encore dégagé de position officielle sur les différents aspects de la réforme. «Tous les points qui seront pris en compte par ce comité sont importants mais là c’est un overloaded agenda. Il faut une approche différente avec plusieurs comités parallèles pour traiter chaque thème avec une attention particulière», fait ressortir un membre du PTr. Selon lui, ce comité ministériel ne pourra pas faire de propositions sérieuses. «Ils veulent simplement gagner du temps.»

Dans les rangs du gouvernement, on balaie toute accusation de «delaying tactics». La mise sur pied de ce comité ministériel illustre notre sérieux, dit-on. «Dès l’an prochain, on commencera à déblayer le terrain en accordant nos positions sur les différents terms of reference de notre mandat», souligne un ministre qui siégera au comité. Il ajoute qu’il est important d’aller vite avec cette réforme. «Il y a eu le mini-amendement l’année dernière qui était applicable aux élections de 2014 uniquement. Il faut revoir le système car nous courons le risque qu’une personne intente une affaire en cour pour contester le calcul du Best Loser System qui n’est plus en phase avec le changement démographique de l’électorat.» Xavier-Luc Duval, qui sera appelé à présider le comité ministériel, n’a pu être joint pour un commentaire, malgré nos appels.

Contrairement à l’opposition parlementaire, Jack Bizlall, syndicaliste, est d’avis qu’il faut voir la réforme électorale dans son ensemble et traiter chaque thème en même temps. «On ne peut pas voir les éléments séparément. Tout est interconnecté, c’est un ensemble et c’est bien de tout traiter en même temps afin d’éviter qu’il y ait des propositions débalancées.» S’il dit être d’accord avec les attributions du comité ministériel, c’est le choix du président du comité qui pose problème, selon lui.

Parité hommes-femmes

«La proportionnalité partisane ne règle pas le problème. Une proportionnalité mal établie sur le système de base ethnique est tout aussi dangereuse que le Best Loser System», explique Jack Bizlall. L’idéal, pour le syndicaliste, est l’introduction d’une «triple proportionnalité». À commencer par l’introduction de la parité hommes-femmes sur la liste des candidats aux prochaines élections. «Je pense que les femmes apporteront quelque chose de neuf à notre démocratie si on veut combattre l’ethnicité. Historiquement parlant, les femmes sont élues sur d’autres critères que l’ethnicité.» En deuxième lieu, le syndicaliste milite pour l’introduction d’une proportionnalité pour tous les partis politiques ayant récolté plus de 5% de soutien électoral. «Cela permettrait à beaucoup plus de partis politiques d’être présents au Parlement. Il y aura des partis avec des hommes et des femmes de gauche qui apporteront de nouvelles perspectives que celles des partis basés sur l’ethnicité», fait-il valoir.

Pour finir, Jack Bizlall soutient qu’il faut rétablir le nombre de circonscriptions à 40, comme c’était le cas autrefois, avec une représentation de deux personnes, soit un homme et une femme par circonscription. Et ajouter à cela, un minimum de 20 autres représentants sur la base de la proportionnalité. «Le Parlement devrait être composé d’au moins 100 députés. Pour ce faire, il faudrait diminuer les salaires des députés et des ministres qui sont surpayés pour ce qu’ils font. Une réorganisation de ce financement permettra de payer le nombre de députés additionnels», indique-t-il.

La vaste hypocrisie autour du financement politique…

Quatorze ans après la caisse noire d’Air Mauritius et plusieurs mois après la saisie des coffres-forts de l’ancien Premier ministre Navin Ramgoolam, la question du financement des partis politiques revient sur ledevant de la scène. Elle figure, en effet, parmi les attributions du comité ministériel chargé de revoir le système électoral. Quels sont les contours de l’épineux problème de financement politique à Maurice?

«L’argent est le nerf de la guerre politique à Maurice comme ailleurs. Il est grand temps que la lumière soit faite sur le financement politique chez nous», lâche un capitaine d’industrie. Aux dernières élections, «le gros du secteur privé avait misé surtout sur le tandem Ramgoolam-Bérenger, mais ils ont aussi pris la précaution d’arroser tous les partis, dont ceux de l’alliance Lepep. Sinon, la situation aurait été plus tendue entre le privé et le gouvernement».

En démocratie, il y a deux principales méthodes de financement politique. Si ce n’est pas l’État qui subventionne les besoins des partis, c’est le secteur privé qui assure ce financement. «On ne peut pas compter sur la cotisation des adhérents. La somme recueillie auprès des membres du parti est dérisoire. Elle peut, à la rigueur, financer la sono et la location du camion servant d’estrade aux orateurs d’un meeting», explique un ancien dirigeant du MMM, habitué aux dépenses politiques. Dans sa déposition en 2003, dans le cadre de l’affaire de la caisse noire d’Air Mauritius (qui a éclaté en septembre 2001), le repenti Gérard Tyack, directeur financier, raconte qu’en 1981, sir Harry Tirvengadum, alors P-d.g. d’Air Mauritius, l’appelle dans son bureau au premier étage du bâtiment Rogers. Ce dernier l’informe que sir Seewoosagur Ramgoolam, alors Premier ministre, lui a demandé des fonds pour le journal Advance, qui connaît des difficultés financières. Des responsables d’Air Mauritius (et de Rogers) décident donc d’opérer une caisse noire pour financer les politiques. Une enquête approfondie devait plus tard révéler que quelque Rs 85 millions avaient été utilisées comme «commissions spéciales».

«Ces fonds devaient ensuite être conservés dans une caisse noire, pour être utilisés à travers un mécanisme de paiement de commissions spéciales à la compagnie Rogers. Tout le monde était au courant que tous les partis politiques s’en nourrissaient. Ce que l’on retient du scandale de la caisse noire d’Air Mauritius, c’est que Gérard Tyack a été le seul accusé à avoir honnêtement avoué sa faute et restitué les 27 millions mal acquis. Pour cela, il a écopé de plusieurs mois à la prison de Petit-Verger», fait ressortir un ancien collègue de Gérard Tyack à MK.

Pour beaucoup d’autres, les révélations de Jack Bizlall sur la caisse noire d’Air Mauritius auraient pu être une occasion pour débattre de la question du financement politique – puisqu’il était évident qu’Air Mauritius n’était pas la seule compagnie qui s’adonnait à de telles pratiques. «C’est une énorme hypocrisie dont font preuve les politiciens et leurs partisans.» En effet, alors que le Parlement légifère pour plus de transparence et contre l’enrichissement illicite, les partis dont sont issus nos législateurs n’ont aucune obligation de publier des comptes transparents.

Quatorze ans plus tard, soit en février dernier, la saisie de deux coffres-forts, contenant plus de Rs 220 millions, chez le leader du Parti travailliste relançait la question du financement politique. Navin Ramgoolam devait expliquer que cet argent était en partie constitué de donations pour le parti et de ses per diem. Ce qui n’a pas manqué de choquer l’opinion, d’autant que le siège du PTr au Square Guy Rozemont, complètement délabré, donnait l’impression que le parti n’avait pas un rond.

En revanche, les plus farouches défenseurs de Ramgoolam sortent souvent la comparaison avec le Sun Trust des Jugnauth – dont la construction a été financée par le financement politique. «Jugnauth inn mont gratte-ciel dan Port-Louis, kifer Ramgoolam pa an drwa ramas kas li ?»

Nécessité de transparence

L’affaire des coffres-forts de Navin Ramgoolam a révélé au moins une chose. Il n’y a pas de transparence par rapport à l’argent au sein des partis. Le trésorier du PTr, interrogé par la police, devait d’ailleurs déclarer qu’il n’était au courant de rien. Si les billets tombaient des coffres, le parti, lui, n’avait pas su trouver de quoi tenir un congrès cette année. Quelque temps après cette affaire, Arvin Boolell a déclaré : «Faute d’argent, le PTr ne pourra tenir un congrès…»

Mais en réalité, comment font nos partis politiques ? En l’absence d’une politique relative au mode de financement public, «c’est le secteur privé qui remplit ce vide», explique un haut cadre d’un des principaux groupes du privé. Selon lui, «les plus importantes contributions proviennent d’une douzaine d’importants groupes».

Un autre dirigeant abonde dans le même sens en affirmant que «notre groupe donne à tout le monde. On mise davantage sur ceux qui, selon nous, ont les meilleures chances de former le prochain gouvernement. Parfois on se trompe. D’où l’importance d’arroser tout le monde». Ses propos s’alignent sur ceux de Dawood Rawat qui maintenait de bonnes relations avec tous les partis, «même si Navin Ramgoolam était son pote et son meilleur coursier dans la course au pouvoir».

Selon des chiffres publiés dans le bilan financier de certains groupes, des estimations des politiciens et autres observateurs, les financements politiques s’élèvent à plusieurs centaines de millions de roupies depuis les années 2000.

Tous les politiciens que nous avons interrogés nous disent aujourd’hui que Maurice doit encourager un système de financement politique transparent. Il faudrait, au-delà d’un volet de financement prévu au budget national, une loi qui exigerait que chaque donateur se fasse connaître avec le montant de sa contribution – bien évidemment, il faut fixer une limite raisonnable et raisonnée pour toute contribution. L’ESC doit alors disposer d’outils pour vérifier les dépenses de chaque candidat et de chaque parti. En cas de non-respect, des sanctions doivent être prévues. On pourrait disqualifier un candidat ou un parti s’ils ne peuvent pas justifier leurs dépenses...Ce n’est, a priori, pas très compliqué, mais est-ce que les politiciens sont enfin prêts à créer une loi contre leurs propres pratiques occultes ?