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Shirin Aumeeruddy-Cziffra: «Il faut davantage de prévention pour protéger les enfants»

27 décembre 2015, 16:00

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Shirin Aumeeruddy-Cziffra: «Il faut davantage de prévention pour protéger les enfants»

 

Le décès de la petite Anna, 8 mois, victime de maltraitance parentale, le 22 décembre, rappelle douloureusement combien les enfants sont vulnérables. Pour les protéger, il y a la loi, dont le Children’s Bill, en préparation. Mais le problème de la maltraitance est complexe. Il doit être pris à la racine, estime Shirin Aumeeruddy-Cziffra, présidente du Public Bodies Appeal Tribunal et ancienne Ombudsperson pour enfants.

 

Un enfant de 8 mois qu’on brûle à la cigarette et qu’on envoie contre un mur, où se situe le problème ?

Le problème est complexe et il n’existe pas de réponse simple pour éviter la maltraitance. Comme cette affaire fait l’objet d’une enquête et d’un éventuel procès, je vais plutôt vous parler des cas similaires que j’ai moi-même traités en tant qu’Ombudsperson. Dans le monde entier, la famille est considérée aussi bien comme un lieu sûr que comme un endroit à risque. Il faut donc tirer les enseignements de l’expérience acquise et prendre des mesures pour prévenir de nouvelles tragédies. Par exemple, dans deux cas connus, des enfants ont été secoués et battus par leur beau-père, qui ne pouvait pas dormir parce qu’ils pleuraient tout le temps. On se souvient aussi de la petite qu’on avait mise sur le toit de la maison avec une chaussette dans la bouche. Son bourreau s’est suicidé par la suite. Il y avait donc un dysfonctionnement de la famille.

Un «Children’s Bill» pourrait-il éviter de tels drames ?

Une loi ne peut que poser les principes et cadrer le comportement de tous ceux qui sont responsables d’un enfant et/ou sont en contact avec lui. Le projet de loi définira les droits et responsabilités conformément à la Convention relative aux droits de l’enfant. La loi fixe les limites de l’intervention de l’État dans la vie familiale et définit les mesures de prévention et de protection. Il faut mettre en place un système viable dans le pays pour détecter les foyers à risque. Le ministère a tenté de le faire, mais il faut probablement tout revoir car beaucoup de familles vivent isolées. L’amendement du Code pénal pour introduire le délit de non-assistance à personne en danger, que j’avais appelé de mes voeux, n’a pas l’air de donner de résultat, faute de campagne de sensibilisation à ce sujet.

Cet énième cas de maltraitance pourrait-il accélérer la présentation de ce projet de loi au Parlement ?

Le projet de loi sera vraisemblablement présenté à la rentrée parlementaire. On a déjà attendu dix ans et rien ne sert de courir maintenant si le temps qui passe permet d’obtenir un texte bien pensé, qui permettra de changer efficacement les stratégies et les politiques.

Les lois peuvent-elles changer les mentalités, les états psychologiques ?

Indirectement, on peut faire évoluer les mentalités. C’est ce qui est arrivé pour les droits des femmes. En revanche, la loi n’a aucun effet sur les problèmes psychologiques. Il faut des thérapies appropriées. Mais surtout, il faut investir davantage dans la prévention avec des politiques globales qui traitent les problèmes à la racine. Comment mieux soutenir les jeunes parents au niveau du système de santé maternelle et infantile, lors des visites prénatales et même après ? Qui apprend aux jeunes mères à s’occuper convenablement de leur nourrisson ? Qui arrive à prévenir vraiment les grossesses à répétition ? Qui prend les jeunes filles en charge pour leur expliquer leurs droits et leurs responsabilités ? Quelle éducation sexuelle peut leur faire comprendre que tomber enceinte dans l’espoir de garder près d’elles le père de l’enfant reste absurde ? Il y a des organisations spécialisées dans ces domaines qui oeuvrent aux côtés de l’État pour ce vaste programme. Ces éléments-là doivent faire partie de la lutte contre la pauvreté.

On parle souvent de perte de valeurs pour expliquer ces violences, mais les enfants, souvent enfants-rois, sont mieux traités qu’avant, à l’époque où ils étaient une flopée et un moyen de rapporter de l’argent aux familles. A-t-on la mémoire courte ?

Personnellement je ne connais pas beaucoup d’enfants-rois c’est-à-dire ceux qui sont «gâtés-pourris» et viennent souvent de familles riches. Par contre, j’en connais beaucoup qui n’ont pas de repères alors qu’à l’époque il y avait les familles étendues. Il y a aussi ceux qui traînent les rues, qui travaillent au noir, qui sont vendus par leurs parents ou tombent dans la prostitution.

Il semble qu’avec la Convention des Nations unies, on ait, justement aujourd’hui davantage conscience des droits des enfants. Comment la transmettre aux parents ?

Nous avons le devoir de faire connaître cette Convention et l’Ombudsperson est chargé par la loi de le faire. Je sais que Rita Venkatasamy s’y consacre depuis toujours et là, elle est très réactive. En ce qui concerne la maltraitance, elle a bien fait de reparler de l’école des parents qui a brièvement existé à Maurice. Je suis sûre qu’elle apportera une bonne contribution pour aider à repenser ce projet. À qui s’adresse cette école ? Qui peut transmettre son savoir aux autres et avec quelles méthodes ? Chacun de nous peut occasionnellement apporter sa contribution citoyenne. À la rentrée, l’express va lancer une rubrique qui nous permettra de revenir en détail sur la Convention et les lois concernant les enfants. Cela devrait permettre d’enrichir le débat sur le Children’s Bill.