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Leela Devi Dookun-Luchoomun: «En finir avec un système qui tue l’envie d’apprendre»
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Leela Devi Dookun-Luchoomun: «En finir avec un système qui tue l’envie d’apprendre»
C’est reparti pour une nouvelle année scolaire. Avec quels changements et quelles ambitions? La ministre de l’Éducation fait son oral de prérentrée.
C’est angoissant, une rentrée ?
Au contraire ! Que ce soit comme élève ou comme enseignante, j’ai toujours attendu ce moment avec impatience. Une rentrée des classes, c’est le début d’une aventure, c’est palpitant. Le mois de janvier a toujours été pour moi une période de réflexion, de bouillonnement. C’est vivant, intense.
Mais vous n’êtes plus ni élève ni prof…
Le travail n’est pas si différent. Je dois m’assurer que tout fonctionne selon mes plans, il y a des objectifs à atteindre. J’ai ma check-list, je fais un suivi régulier avec mes officiers : ‘Ça, vous avez vérifié? Et ça ?’ Un peu comme une chef d’orchestre. Tant que la partition est respectée, il n’y a pas lieu de s’inquiéter.
Une partition en mode majeur, un an avant la grande réforme ?
Oui, c’est une année charnière, l’année zéro de la grande réforme du primaire. Pour autant, je n’ai pas d’inquiétudes particulières. Je fais ce que j’ai toujours voulu faire. J’ai passé dix ans dans l’opposition à dire ‘ça devrait être comme ceci’, ‘il faudrait faire comme ça’ ; aujourd’hui, j’ai la possibilité de faire et je fais avec joie.
Avec quelques ratés aussi : des manuels ne sont toujours pas disponibles.
Cette situation est temporaire et ne concerne que quelques livres qui sont encore sous presse. J’ai mis la pression, tous les manuels devraient être disponibles la semaine prochaine. En attendant, et c’est une nouveauté, ceux du cycle primaire sont consultables sur le site web du Mauritius Institute of Education.
Vos collègues du gouvernement cherchent un manuel pour créer de l’emploi, vous n’auriez pas ça en stock?
Possible, dites-leur de venir frapper à ma porte ! (éclat de rire).
Quels sont les principaux changements cette année ?
Parmi les choses importantes, il y a la phase d’évaluation. On a constaté de gros écarts de niveau chez les élèves qui entrent en Std I. Désormais, avant d’entamer le programme à proprement parler, il y aura une phase d’évaluation pour jauger les acquis et repérer les difficultés. De nouvelles matières seront également intégrées sur une base pilote : informatique, droits de l’homme, natation, théâtre… En toile de fond, il y a cette idée que les pratiques artistiques et sportives doivent occuper une place importante dans le développement de l’enfant. Trop souvent, on considère que l’imagination est moins importante que le savoir. C’est un vieux schéma, on ne développera pas une école innovante sans laisser plus de place à la créativité. Cela vaut aussi au collège où l’entrepreneuriat sera intégré aux Social Studies. Là encore, sur une base pilote.
Vous évoquez plusieurs projets pilotes mais au fond quelle est la vision d’ensemble ?
Le développement, l’épanouissement de l’enfant et de l’adolescent. Parce qu’un enfant heureux à l’école est un enfant qui apprend mieux. Elle est là, au fond, la principale réforme à faire : qu’un maximum d’élèves soient heureux d’aller en classe. L’éducation ne peut plus se limiter à apprendre à lire et à compter. Bien sûr, il faut le faire. Mais le socle de connaissances indispensables pour préparer une vie d’adulte va bien au-delà du literacy and numeracy. L’objectif ultime, c’est d’apprendre à penser, à réfléchir et à solutionner des problèmes.
Et vous, quand vous analysez votre première année à la tête de l’Éducation, quel en est le bilan ?
(Rire gêné) Je n’ai pas envie d’être méchante… (elle s’interrompt). Disons que j’ai eu à bousculer les gens, je me suis heurtée à pas mal d’incompréhensions, du moins au début. Le premier challenge a été de faire comprendre la philosophie de la réforme. Pour beaucoup de gens, elle se limite au Nine-Year Schooling et à la disparition du CPE, or, ce n’est qu’un aspect. En soi, je n’ai rien contre le CPE. Ce qui me gêne, c’est que tout tourne autour de l’examen, c’est le fait de transformer des enfants en «bêtes à concours». Je vois la réforme de l’éducation comme un tout. Il n’y a pas que le CPE, la filière pré-professionnelle est un autre chantier majeur. Nos Vocational Schools ont été délaissées, le niveau baisse. Cette année, on commencera à s’y atteler. Le fil conducteur de tout cela, c’est de fournir à nos jeunes des outils, peu importe la filière choisie. C’est qu’ils développent un esprit critique, une capacité à innover, à s’adapter. Cet enjeu est primordial dans un monde changeant.
Tout attendre de l’école, n’est-ce pas le plus sûr moyen de ne rien en obtenir ?
Bien sûr, le rôle des parents est déterminant. Et il ne s’agit pas de tout attendre de l’école, mais de lui fournir un environnement qui n’aille pas à rebours de ses missions. L’école ne peut pas continuer à tuer la curiosité innée des enfants. Pour cela, il faut recentrer la mission de l’enseignement.
C’est-à-dire ?
Donner envie d’apprendre aux élèves, c’est essentiel. Non pas leur «donner des leçons» en attendant qu’ils les recrachent comme des robots. Faire des citoyens à même de se forger des opinions, des citoyens qui auront demain le pays entre leurs mains. Voilà quelle est notre mission. Moi, j’ai beaucoup reçu de l’école. Mes souvenirs des salles de classe sont des souvenirs heureux, or je ne suis pas sûre que les enfants d’aujourd’hui le vivent comme ça. La journée d’un élève mauricien, c’est quoi ? L’école le matin, travailler toute une journée, prendre des leçons l’après-midi, rentrer à la maison pour les devoirs et recommencer le lendemain. Avec un système pareil, on tue chez l’enfant le goût d’apprendre. C’est à cette dérive qu’il faut s’attaquer, ce modèle a fait son temps.
Pourquoi réussiriez-vous là où tant d’autres ont échoué ?
J’ai 25 ans d’enseignement (NdlR : comme professeure de biologie), je connais l’école de l’intérieur. Je suis déterminée, je vais foncer. Et j’ai le soutien du Premier ministre et de mes collègues du cabinet.
La barre est haute. Cinq ans, ça suffira ?
Évidemment pas. Je commence un travail, d’autres le poursuivront.
L’enseignement vous manque ?
J’ai l’impression de continuer à enseigner tous les jours ! (rires) Répéter, encore et toujours... Quand je fais le bilan de ma journée, il m’arrive de me dire que je n’ai pas changé de métier.
Serez-vous en cour la semaine prochaine pour soutenir Pravind Jugnauth ?
J’ignore si mon emploi du temps me le permettra mais je suis solidaire. Pravind est mon colistier et mon leader. Si je ne suis pas physiquement à ses côtés, j’y serai en pensée. Ce procès est un moment très important pour lui et pour le parti.
Si ça tourne mal (elle coupe en pointant l’index)…
Ça ne tournera pas mal.
Si ça tourne mal pour lui, serez-vous candidate à la succession de SAJ ?
Ça ne tournera pas mal. Et non, je ne serai pas candidate.
Ambition est-il pour vous un mot tabou ?
(Sec) Détrompez-vous, je suis très ambitieuse pour mon ministère.
Pourquoi ne pas voir plus grand ?
Chaque chose en son temps. Je suis une personne posée, je ne cours pas. Là, pour le moment, la réforme de l’éducation est ma priorité. J’ai du pain sur la planche, donc la question ne se pose pas. Nous n’avons même pas abordé la réforme du tertiaire, l’autre gros chantier qui m’attend cette année.
Kobita Jugnauth dit de vous que vous avez un bon sens de l’humour. Vous le prenez comment?
Cela vous surprend ? Kobita me connaît bien. Sans humour, la vie est moche, non ? (large sourire)
Complètement d’accord. Une bonne blague sur l’affaire MedPoint ?
(Son visage se ferme) J’ai le sens de l’humour mais pas en toutes circonstances.
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