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Enquête: pesticides, ça nous empoisonne
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Enquête: pesticides, ça nous empoisonne
Las d’un manque de données fiables sur les pesticides et leur impact, «l’express» a initié sa propre enquête. Il y va de la santé et la salubrité publiques. À partir du lundi 18 janvier, vous retrouverez, sur plusieurs semaines, une série d’articles issus de ce travail de terrain et de recherche. Les premiers constats sont inquiétants…
Qu’est-ce qui se retrouve dans les assiettes de nos enfants ? Cette question, très peu de gens se la posent dans notre pays. Or, ce sera notre souci premier dans cette série d’articles qui va suivre à partir de la semaine prochaine.
Devrait-on dire «bon appétit» ou «bonne chance» à nos enfants ?
Il faut une prise de conscience ! Dans un monde où la natalité explose (nous étions un milliard d’humains en 1900, cinq milliards en 1990 et sommes plus de sept milliards actuellement), la terre nourricière est de plus en plus soumise à des pressions. Notre pays est, à 657 habitants/km2, déjà surpeuplé pour une île qui a encore, apparemment, quelques ambitions agricoles, notamment d’autosuffisance alimentaire ! Les chaînes de production alimentaire sont encore plus fortement sujettes à des impératifs de rendement et de réduction des cycles de production, qui peuvent menacer la qualité de ce que nous consommons.
Cette enquête ne parlera pas de «malbouffe» comme sujet central. Elle sera, par contre, à la recherche d’une meilleure qualité d’alimentation ou, du moins, d’une alimentation plus saine.
Loin de nous l’idée de faire paniquer s’il n’y en a pas lieu ou d’arriver à des conclusions trop hâtives. Mais des faits indéniables doivent nous inquiéter, parce qu’il y va de notre santé à tous, la nôtre et celle de nos enfants.
Si nous faisons des efforts pour tester la qualité des produits alimentaires que nous exportons, surtout vers l’Europe (letchis, ananas, poisson, sucre, etc.), nous ne nous assurons presque pas de la qualité de ce que nous importons et de ce que nous produisons. En gros, de ce que nous consommons tous les jours.
L’apparence «clean» des fruits et légumes est-elle une garantie
qu’ils ont été produits selon les paramètres imposés ?
Le gouvernement a aussi une politique déclarée de produire «bio» qui laisse franchement sceptique. Ce qu’il faut d’abord, c’est une utilisation raisonnée et disciplinée de pesticides et de fertilisants (avec une politique d’éducation, d’encadrement et des contrôles plus sérieux, dans un cadre légal mieux défini). En l’absence de ces produits, ce sont surtout les insectes, le mildiou et les moisissures qui vont bien manger, pas les citoyens… De plus, le «bio» (pas de fertilisants, pas de pesticides) va réduire les volumes produits. Cela coûtera donc inévitablement plus cher aux consommateurs.
Dans les champs, une conjonction d’habitudes conservatrices («kumsa mem mo papa ti pe fer !») ou une politique de regard détourné mène à ce que la fiente de poule, des fertilisants ou pesticides pas homologués ou employés abusivement, les cendres ou la vinasse d’usine utilisés en excès finissent parfois par empoisonner les terres avec certains métaux lourds (arsenic, plomb, mercure) ou de la dioxine qui tuent les plantations à petit feu. Parfois jusqu’à la stérilité totale, dit-on…
L’utilisation de colorants divers, de mûrisseurs, de pesticides, de fertilisants, sans respecter les modes d’emploi peut avoir de graves conséquences. Par exemple, les colorants sont réglementés en Europe, mais pas en Inde, en Chine ou à Madagascar, où on les utilise de manière plutôt libérale. Des productions rejetées aux frontières européennes ne sont pas détruites, mais redirigées ailleurs, où les contrôles manquent . Comme à Maurice!
Autre exemple, un pesticide doit impérativement être utilisé un certain nombre de jours avant la commercialisation. Ce délai n’est pas toujours respecté. On dit que chaque pesticide a sa période de rémanence. Ainsi, un «p’tit coup» de pesticide, après de grosses pluies, mais deux jours avant la récolte, peut rassurer certains producteurs. Hélas, au prix d’empoisonner le client qui ne lavera pas fortement ses légumes ! Ceux qui volent des légumes dans les champs (phénomène qui gagne du terrain) ne vérifient évidemment pas la période minimale de dangerosité des pesticides. Résultat ? Quand ils les écoulent «à la sauvette», le lendemain, sur le trottoir, ce sont des produits nocifs qu’ils vendent aux citoyens ! Conclusion? Il faut absolument que les autorités établissent un système de traçabilité rigoureux : quiconque vend quelque chose à manger doit pouvoir démontrer d’où ça sort et assumer sa responsabilité de producteur et/ou de vendeur, si ce qu’il vend est impropre à la consommation… Un inspectorat tant productif qu’incorruptible est une nécessité. Possible ? Nécessaire ! Au vu des résultats des tests de laboratoire que nous avons effectués, on ne peut pas fermer les yeux…
Le ministère de l’Agro-industrie a une attitude un peu trop «zen» sur toute la question. Selon ses propres chiffres (produits par le Food Tech Laboratory de Réduit), sur 500 fruits et légumes annuellement, le pourcentage de fruits et légumes présentant un taux de pesticide plus élevé que le taux «autorisé» (autorisé par QUI, d’ailleurs ? Codex ? norme CEE ?) est passé de 2,3 % à 10 % en seulement quatre ans. C’est donc quatre fois plus ! Le ministère déclare pourtant que le constat n’est pas «alarmant». Qu’est-ce qui le serait, alors, peut-on se demander ? (voir l’express du 10 novembre 2015.)
Des constats divers indiquent, même si de manière plutôt feutrée, des dégâts causés par les pesticides sur le taux de «cancers, les maladies respiratoires, l’infertilité, les maladies de la peau». Dixit le Dr Mohammad I. Jowahir, vice-président de la Medical Practitioners' Association. On pourrait ne pas trop s’en soucier au vu de l’espérance de vie de la population, passée de 67 ans en 1980 à 75,4 ans en 2015. Mais il faut aussi comprendre l’équation globale: nous sommes dans une course «santé», avec une meilleure hygiène de vie, moins de mortalité à la naissance ou dans la petite enfance, moins de malnutrition, un service santé amélioré, des médicaments augmentant la durée moyenne de nos vies.
Par contre, la nourriture infestée de pesticides ou autres la diminue… voire l’empoisonne. Il s’agit d’en parler et de régler ce problème de qualité de la nourriture, pour se donner les meilleures chances d’une vie moins menacée, moins douloureuse, plus équilibrée et plus saine.
Il existe même des doutes sur la qualité de certains pesticides importés. Les planteurs déclarent ainsi à nos enquêteurs que «kan medsin la li feb, ler la bizn met plis». Bonjour les dégâts ! Si on en certifiait les composantes actives (qui pourrait le faire ?), on éviterait au moins cette réaction plutôt impressionniste…
Autre phénomène à signaler: les «cocktails» de pesticides, dont les conséquences, même dans les économies dites développées, ne sont pas connues… Dans les résultats que nous publierons, on note un certain nombre d’échantillons pour lesquels les normes sont respectées sur un pesticide pris individuellement, mais où les cocktails, aux conséquences inconnues, sont impressionnants !
Au cours des semaines à venir, l’express publiera donc le résultat de ses enquêtes. Nous avons bénéficié du service du laboratoire Quanti-LAB, partenaire de Mérieux NutriSciences, qui assure les services les plus courants et/ou pointus d’un laboratoire d’analyses (agroalimentaire, environnementale et toxicologique), y compris le service d’analyse de pesticides de niveau international. Accrédités selon les normes ISO 17025 et utilisant des techniques de pointe et des protocoles agréés, les tests de QuantiLAB que nous publierons pourraient être encore plus extensifs, si nous avions accès à des moyens financiers plus importants ! Le plan d’échantillonnage a été préparé avec les moyens disponibles et nous permet d’avoir un premier aperçu.
Nous avons aussi bénéficié des précieux conseils de Jean Cyril Monty, qui connaît bien la production locale.
Mais ces tests coûtent cher, très cher même. Notre rôle ne peut donc que se limiter à alerter l’opinion publique et les autorités afin de prendre mieux soin de notre alimentation et les inviter à réagir vigoureusement. Rapidement aussi, s’entend, car entre-temps, il faudra bien continuer à manger…
Nous avons fait des tests sur des légumes et des fruits principalement produits localement. Mais nous nous sommes aussi intéressés à notre alimentation importée, notamment de pays dont les normes ne sont pas au niveau européen, australien ou même américain : riz, grains secs, épices, tomates en boîte, etc. Nous parlerons peut-être de l’eau, de la mauvaise utilisation des fertilisants, des métaux lourds présents dans le «gros poisson» et dans nos terres de culture.
Reste qu’il y a aussi une question de moyens : garantir que des normes alimentaires sont respectées coûte de l’argent. Seul l’État est en mesure d’assurer cet exercice de vigilance pour protéger ses citoyens, surtout si ces contrôles sont effectués avec sérieux à l’intérieur d’un encadrement entièrement revu et proprement discipliné. Une estimation préliminaire situe le coût opérationnel d’une batterie de tests compréhensifs à quelque Rs 40 millions par an. Ces tests peuvent être sous-traités ou, si l’on peut faire confiance à des services gouvernementaux «libres» de toute influence politique, être menés dans un laboratoire neuf accrédité qui devrait coûter au bas mot Rs 70 millions.
Ce n’est évidemment pas une question de politique partisane. Tous les gouvernements ont regardé ailleurs. Ce gouvernement, puisqu’il est en selle au moment où l’on écrit, doit évidemment assumer ses responsabilités. Car, en l’état actuel des choses, l’amateurisme, l’approximation et le bon marché peuvent coûter très cher…
À nos enfants, à la santé du public et à la santé publique…
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