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Emmanuel André, CEO de Sotravic: «Notre projet Deep Ocean Water Applications est de niveau mondial»

14 janvier 2016, 08:35

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Emmanuel André, CEO de Sotravic: «Notre projet Deep Ocean Water Applications est de niveau mondial»

Le refroidissement, à l’eau de mer, des bâtiments de Port-Louis n’est plus au stade de vague concept. Après quatre années de recherches et de préparations, le groupe de génie civil Sotravic annonce la mise en chantier, en décembre, du premier projet de Deep Ocean Water Applications au coût de Rs 3 milliards. «Ce sera l’oeuvre d’une vie pour tous ceux qui ont travaillé sur ce projet», estime Emmanuel André, le CEO de Sotravic.

En décembre dernier, Sotravic a obtenu le droit de concession en vue de puiser l’eau des fonds marins à proximité du port et cela, dans le cadre du projet Deep Ocean Water Application (DOWA). À quand l’ouverture du chantier ?

Nous espérons démarrer le projet en décembre prochain. En ce moment, nous mettons tout en oeuvre pour remplir trois conditions majeures. À savoir, obtenir notre permis Environment impact assessment, signer des contrats avec les clients et assurer la levée des fonds nécessaires.

Une fois ces éléments réunis, nous démarrerons les tranchées dans Port-Louis pour conduire l’eau refroidissante vers les bâtiments. Pour ce qui est des travaux en mer, le coulage d’un tuyau à 1 100 mètres de profondeur, nous ferons appel à un opérateur international. Il y a peu d’entreprise dans le monde qui savent faire ce genre de travaux. Il y aura 6 kilomètres de pipeline en mer et un réseau 4 kilomètres dans Port-Louis. Nous prévoyons la livraison fin 2017.

Ce sont des travaux hautement spécialisés et les compétences sont relativement rares. Où irez-vous les chercher ?

Nous avons fait appel à la société américaine Makai Ocean Engineering pour le design en mer, la pose d’un pipeline en mer et le design de l’energy transfer station. Le consultant Makai a une maîtrise du sea water conditionning system. Nous avons aussi sollicité l’expertise des Suisses SGI, CGC Energie et SIG de la ville de Genève qui opère un réseau d’eau froide depuis quatre ans. Nous avons aussi rencontré les clients, par exemple la direction technique du bâtiment des Nations unies à Genève, qui est refroidi par l’eau puisée du lac Léman à Genève.

Vous proposez de votre côté de climatiser à l’eau de mer des bâtiments de la capitale. Mais qui seront vos clients ?

Nous avons une étude technique sur 65 bâtiments à Port-Louis. Nous ciblons pour l’heure les bâtiments à climatisation centralisée, par exemple le Caudan, l’hôtel Labourdonnais, la Mauritius Commercial Bank, la State Bank of Mauritius, Mauritius Union, l’Hôtel du gouvernement, le bâtiment du Trésor, le Registrar, la municipalité, et même le théâtre de Port-Louis.

Nous leur proposons de remplacer la climatisation traditionnelle qui fonctionne à l’électricité par une énergie froide disponible dans l’océan juste à côté.

Nous avons fait du chemin depuis 2012 quand Sotravic a démarré le projet sur la base d’une conviction environnementale avant tout et en sachant que le retour sur investissement serait long.

Nous parlons d’un investissement de quel ordre et comment comptez-vous réaliser votre montage financier ?

L’investissement sera de Rs 3 milliards pour la première phase. Sotravic a déjà investi Rs 60 millions. Maintenant, il nous reste encore des études à faire ; cela devrait nous coûter entre Rs 100 millions et Rs 140 millions.

Il faut savoir que nous avons fédéré tous nos ingénieurs, une quarantaine, autour de ce projet. Nous avons une plateforme d’innovation en interne qui nous permet de remettre en permanence nos idées sur la brèche et de faire de la recherche.

Nous sommes sûrs des technologies qui seront adoptées. Maintenant, une des questions clé est de savoir comment améliorer le modèle économique.

Dans le projet Deep Ocean Water Applications, il y a deux grandes familles d’utilisation. D’un côté l’upstream, donc la climatisation des bâtiments. Et le downstream, c’est-à-dire le côté intrinsèque de l’eau. Le potentiel est immense mais le savoir-faire encore rare. C’est le downstream qui générera plus d’emplois, d’investissement et de valeur ajoutée.

Avez-vous évalué le risque écologique? Quels sont les engagements que vous prenez pour ne pas dégrader l’environnement marin ?

Ce projet-là, nous avons eu envie de le réaliser sur la base de nos convictions. Il y a une volonté politique et une volonté des entreprises. Nous sommes sur un projet de classe mondiale et qui sera pour beaucoup d’entre nous l’occasion d’une vie.

Donc, nous ne prendrons pas de risques sur le plan écologique. Nous déciderons de la meilleure solution et ce sont des scientifiques chevronnés qui vont travailler sur cet aspect.

Quand la Banque africaine de développement vous accorde une aide d’un million de dollars pour un tel projet en vue de superviser les études marines détaillées, je pense que c’est qu’elle croit dans la viabilité de ce projet.

Les Français l’ont fait à Tahiti. L’hôpital de Tahiti est déjà connecté à un système de refroidissement à l’eau de mer. Les Suisses ont fait des études techniques pour voir quel a été l’impact de ce prélèvement du lac Léman et du rejet d’eau.

Il n’y a donc que des bénéfices pour l’environnement ?

Déjà, cela vous permet d’utiliser moins d’énergie fossile. Donc moins de pollution. Ensuite, les clients qui ont opté pour cette méthode de climatisation font des bénéfices économiques.

À Maurice, nous aurons besoin dans un premier temps de 44 mégawatts de froid pour climatiser tous ces bâtiments que nous ciblons dans la capitale. En ce moment, ces bâtiments sont de grands consommateurs d’énergie électrique et accessoirement ils produisent de la chaleur dans Port-Louis. Un système de refroidissement à l’eau de mer va aussi changer les conditions de vie dans Port-Louis. Ce projet offre aussi un potentiel de régénération de Port Louis. Quand nous allons entreprendre les travaux d’infrastructure, nous ferons réapparaître des routes pavées de l’époque et qui seront propices aux activités piétonnes.

Nous sommes très ambitieux par rapport à ce projet, mais il faut que tout le monde s’aligne.

Les 44 mégawatts d’énergie refroidissante seront-ils suffisants pour Port-Louis?

Dans un premier temps, oui. On ne produit pas d’énergie. On transporte de l’énergie froide. Ces 44 mégawatts de froid seront principalement puisés d’une énergie qui est disponible. C’est la grande économie du système.

Avec l’application de ce système de refroidissement, l’apport électrique baissera considérablement. Demain, on aura besoin de 4 au lieu de 30 mégawatts pour refroidir ses bâtiments. On libère 26 mégawatts électriques sur le réseau.

Nous sommes techniquement, administrativement et financièrement sur la bonne voie. Maurice dispose déjà d’un cadre législatif. C’est le Maritime Zone Act.

Si vous réussissez dans vos ambitions, ce projet sera un modèle. Sur quel plan souhaiteriez-vous qu’il devienne une référence ? Celui de l’écologie ou de l’innovation ?

Les deux forcément. Mais Sotravic espère qu’elle apportera le déclic à la capacité d’innovation des Mauriciens. Dans l’innovation, il y deux grands pôles, l’innovation incrémentale et l’innovation radicale.

On est pas mal à Maurice dans l’innovation incrémentale. Mais on ne dépose pas de brevet. La production de biogaz au centre d’enfouissement de Mare Chicose n’est pas une innovation radicale, mais nous avons su adapter ce modèle au contexte local. Nous produisons du méthane qui génère 8600 heures d’électricité par an. Nous avons copié-collé des technologies en les adaptant à Maurice. C’est de l’innovation incrémentale.

Un savoir-faire que vous pouvez exporter ?

Bien sûr. Après trois ans, nous sommes en négociation finale avec le Rwanda pour exporter notre savoir-faire de gestion de centre d’enfouissement.

En matière d’innovation radicale, que faut-il faire à Maurice ?

Là nous avons du chemin à parcourir pour pouvoir inventer quelque chose qui n’existe pas ailleurs et déposer un brevet. Le cadre législatif est là, même pour protéger le brevet. Il y a un peu de travail au niveau législatif. Il existe aussi le cadre et les stimuli financiers, mais il faut des grandes orientations.

L’économie océanique pourrait apporter cette impulsion. C’est le plus gros gisement d’innovations radicales pour Maurice.

Si Maurice doit investir, elle devra mettre le paquet sur l’économie océanique, mais les entreprises et les autorités doivent se mettre d’accord sur un point : soit qu’il ne faut pas attendre de résultat immédiat. On y met les moyens immédiatement et on les fait converger. Il faut des centaines de chercheurs à temps plein pour déposer des brevets demain, et probablement plus de moyens financiers, à l’image des États-Unis, de la Chine, de la France, de l’Inde, de la Corée du Sud ou encore de l’Allemagne.