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Pesticides: que donnons-nous à manger à nos enfants ?
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Pesticides: que donnons-nous à manger à nos enfants ?
Les herbicides et les insecticides sont devenus des alliés de circonstance pour la survie des petits planteurs. Mais à quel prix ? N’est-il pas temps de repenser totalement notre système de production agricole ?
20 % DE NOS ÉCHANTILLONS AU-DELÀ DES NORMES CEE !
Le chiffre est brutal : un échantillon sur cinq de ce que nous avons acheté à travers l’île affiche des taux de pesticides à un niveau qui est «au-delà des Limites Maximales de Résidus (LMR)» établies par la CEE. Les tests conduits selon les méthodes éprouvées de QuantiLAB, partenaire de Mérieux NutriSciences, utilise la méthode standard BS EN 15662 : 2008 pour quantifier 250 ingrédients actifs de pesticides volatils et environ 200 de pesticides non volatils.
Le tableau ci-dessous résume les premiers résultats sur 45 items collectés à travers le pays de manière aléatoire. Il faut bien comprendre que cet exercice a délibérément brassé large et de manière non subjective et que ces 45 items constituent donc un échantillon adéquatement (même si pas totalement) représentatif de ce que nous consommons tous les jours.
ÉCHANTILLONS RÉCOLTÉS PENDANT 3 SEMAINES
La théorie statistique suggère, à cet effet, qu’avec un échantillon de 45 items, la marge d’erreur est, à 95 % de certitude, de (-+) 11,7 %. Pour être transparents, nous avons simplement, chaque semaine, pendant 3 semaines depuis le 23 novembre dernier, récolté environ une quinzaine d’échantillons de produits divers dans des sites multiples de vente à travers l’île : supermarchés, boutiques, les marchés publics de Port-Louis, de Beau-Bassin et de Rose-Hill, des sites de vente plus informels dans divers villages ou villes.
En tout, 10 sites de vente ont été visités. Par contre, nos deux prochains lots d’échantillons seront définitivement moins représentatifs, puisque sélectionnés de manière moins aléatoire et plus délibérée; dans le premier cas pour couvrir des produits importés de divers pays non CEE et dans le second cas, pour cerner une zone fortement assaisonnée de DDT, à l’époque, pour protéger l’île contre l’importation de moustiques.
Que Donnons-nous à Manger à Nos Enfants by L'express Maurice
LES CONCLUSIONS PRINCIPALES À DEDUIRE DE CE PREMIER TABLEAU CI-DESSUS SONT LES SUIVANTES :
Quand une norme n’est pas respectée, c’est grave, mais les TAUX par lesquels ces normes sont dépassées sont aussi, bien évidemment, une considération importante. Si on se réfère à l’échantillon 42, par exemple, qui concerne du riz basmati acheté d’un goni ouvert dans les environs du bazar central à Port-Louis, on est évidemment plutôt étonné de voir deux pesticides au-delà des normes, l’Hexaconazole et le Permethrin, mais le premier est «seulement» au double du taux prescrit et le second a seulement 26 % de plus.
Par contre, on retrouve du Profenodos à plus de 4 fois le taux permis dans les carottes (item 6), le Diuron à 4 fois et demie le taux permis dans l’ananas (item 15), du Flonicamid à 4 fois la dose prescrite dans des lalo (item 20), du Cypermethrin à 6 fois le taux souhaité dans de la pipengaille, du Chlorfenapyr à 6 fois le taux permis dans le chou-fleur (item 31) et du Carbaryl à 15 fois le taux voulu (sans compter du Cypermethrin à 3,8 fois plus que le règlement CEE ) dans des haricots rouges ! (item 34).
Les petits piments (item 7) représentent un cas plutôt effrayant, puisque pas moins de 4 pesticides dépassent les doses prescrites en même temps, le Formetanate atteignant même 92 fois la dose prescrite de 0,01mg/kg ! Eh oui ! Quatre-vingt-douze fois la dose prescrite ! Qu’est-ce qui peut bien expliquer cela ? Un excès de zèle ? Une réaction violente du planteur dont la récolte préalable a été décimée ? Un employé frustré qui a exagéré la dose pour ruiner son patron ? On ne sait pas ! Nous ne savons pas non plus si des consommateurs de piments ont été malades dans cette région, ces jours-là, mais ce qui est sûr, c’est que, à ce tarif-là, les insectes ont dû bien mourir et que les oiseaux et même les humains y couraient quelques risques sérieux…
Dépasser une Limite Maximale de Résidus dans un produit une fois n’est pas forcément mortel, sauf si le taux de dépassement est très important. Par contre, une accumulation de résidus de pesticides au-delà des limites, régulièrement, toute une vie, ne pourra sûrement pas faire du bien ! C’est un de nos soucis premiers et seuls des spécialistes (médecins, endocrinologues, neurologues…) peuvent nous répondre quant aux effets cumulés de résidus de pesticides. D’autant plus quand c’est au-delà des «normes».
L’effet «cocktail» devrait aussi nous inquiéter. C’est une des autres surprises de cette enquête, car même dans les pays avancés, il n’y a pas de législation ou de réglementation spécifique contre les «cocktails» de pesticides, comme le confirme par exemple Urvashi Rangan, PhD, un toxicologue et directeur exécutif du Food Safety and Sustainability Centre aux États-Unis. «The effects of those mixtures are untested and unknown», précise-t-il.
OR, LA LECTURE DU TABLEAU SUGGÈRE QUE LES PRODUCTEURS ONT LA MAIN PLUTÔT LESTE !
Item 1 : six pesticides dans de la laitue ? Est-ce bien nécessaire ? (un seul s’affichant au-delà des limites)
Item 7 : six pesticides dans des piments ? Est-ce vraiment utile ? (quatre étant au-delà des limites)
Items 16 et 17 : huit pesticides dans des oranges et des mandarines ? Pourquoi ? (chacun étant, individuellement, sous les limites prescrites)
Item 42 : cinq pesticides dans du riz basmati ? Inquiétant ? (dont deux sont au-delà des limites)
Le consommateur moyen n’a-t-il pas de raison de s’inquiéter de ces «cocktails» ? Aurait-il totalement tort de raisonner de manière arithmétique et de conclure que l’addition de huit restes de pesticides sous la limite s’ajoute peut-être à une décoction nocive ? Très nocive même ?
Le parallèle nous vient peut-être du raisonnement ou plutôt de la rationalisation de celui qui veut boire ET conduire : la limite prescrite, pour être en-deçà d’un Blood Alchol Content (BAC) de 0,08 % aux États -Unis (Attention ! à Maurice, le BAC est à 0,05 %...) est un bock de bière de 12 onces, ou un verre de vin de cinq onces ou encore un verre de whisky de 1,5 once, par heure. On ne peut évidemment pas consommer les trois en même temps, au motif qu’aucune des trois limites prescrites n’est individuellement dépassée ! N’est-ce pas ?
Le sujet est assurément complexe. Nous pouvons seulement aider à faire un constat et à conscientiser des dangers. Le reste dépendra de la réaction de l’opinion publique et du sens de responsabilité des autorités. Ce qui est certain, c’est que nos échantillons ne peuvent laisser indifférent : car il s’agit, avant tout, de ce que nous donnons à manger à nos enfants !
COMMENT FAIT-ON AILLEURS ?
Dans un pays dit «développé» typique, comme l’Angleterre, les associations de protection de consommateurs veillent au grain et passent régulièrement en revue les résultats des tests publiés par le gouvernement.
Ainsi, typiquement, le Daily Mail du 28 août 2013 admet qu’il n’y a presque plus de cas de nourritures affichant des pesticides au-delà des normes prescrites et note que l’attention des consommateurs (3 personnes sur 5 se sentant inquiètes sur la question) est désormais sur la présence des résidus eux-mêmes, même en deçà des normes, ainsi que des effets «cocktail».
La très réputée revue Science et Avenir du 15 décembre 2014 note de son côté qu’en 2014, 78 390 échantillons de 750 produits alimentaires différents ont été analysés chez les 28 pays membres de la CEE et que «seulement 54 % des échantillons» ne contiennent aucune trace de pesticides. Il est entendu qu’aucun échantillon testé ne dépasse la Limite Maximale de Résidus (LMR).
L’Asie du sud et du sud-est commence tout juste à prendre conscience de la question. On se souviendra des 24 enfants du Bihãr empoisonnés par leur déjeuner en 2013, l’huile ayant servi à préparer celui-ci ayant été stocké dans un conteneur ayant conservé un insecticide puissant. Citons aussi une étude commune de laboratoires norvégiens, finlandais, suédois et danois, publiée en mai 2015 et couvrant 721 échantillons de 63 produits différents provenant de 10 pays (dont principalement la Thaïlande) et qui détectait 111 résidus de pesticides et qui établissait le taux de LMR à 14 % . Une petite étude de Greenpeace chez trois des supermarchés les plus importants à Shanghai ( Tesco, Lianhua et Lotus) fin 2011, révélait, pêle-mêle, des «disrupteurs» d’hormones bannis en Europe, des épinards contenant du procymidone à 149 fois la limite prescrite par la CEE et des poireaux et du riz contenant des traces de pesticides bannis en Chine elle-même…
Quelque part, il semble que l’ambition de devenir un «high income country» passera donc inévitablement par de bien meilleurs systèmes de contrôle de nos productions locales et de nos importations !
UNE QUESTION DE SURVIE POUR LES PETITS PLANTEURS
Pour eux, les herbicides et les insecticides sont devenus des alliés de circonstance. C’est ce qu’expliquent les petits planteurs, à l’instar de Gir Seechurn, qui exploite quatre hectares de terre à Petit-Raffray. Il y cultive des fruits et les légumes.
«À cause du manque de main-d’œuvre pour l’étape de désherbage, le recours aux herbicides est indispensable. L’alternative serait d’autoriser les planteurs qui le souhaitent d’importer, par exemple, une main-d’œuvre indienne, ayant le savoir-faire pour ce type de travaux agricoles», explique-t-il.
Pour calculer le dosage de pesticides, Gir Seechurn se fie aux indications présentes sur l’emballage.
Les herbicides sont répandus sur les voies d’accès entourant son champ et à l’intérieur de celui-ci, là où les fruits et légumes seront plantés. Gir Seechurn consulte les instructions inscrites sur les emballages pour calculer le dosage… Avec 35 ans de métier dans les jambes, ce dernier croit connaître les propriétés des insecticides susceptibles de combattre les nuisances qui menacent ses plantations de lalo, notamment.
MANQUE DE COMMUNICATION ENTRE LES PLANTEURS ET LES AUTORITÉS
Il a ainsi développé une technique qui lui permet de faire la distinction entre une situation qui requiert un insecticide systémique – qui est capable de circuler dans tout le système d’une plante – et un produit chimique, qui favorise la croissance de celle-ci. Il explique qu’en l’absence de communication avec les techniciens du ministère de l’Agriculture, certains planteurs peuvent avoir recours à un «cocktail», soit un mélange de plusieurs produits, pour combattre les maladies et les insectes nuisibles.
Pour trouver le bon dosage, il dit suivre rigoureusement les instructions fournies sur les emballages des produits achetés. D’autant que les techniciens, selon lui, viennent rarement se rendre compte de ce qui se passe sur le terrain. Il ne sait pas non plus l’effet que peuvent avoir des résidus chimiques sur la qualité du sol à long terme. «Les risques associés à l’utilisation de produits chimiques dans l’agriculture ne sont pas une fatalité. Il devrait y avoir des solutions aux problèmes que pose le système actuel. Le recours à une activité agricole qui tient compte de la conservation et de la protection de l’environnement ainsi que de la santé des consommateurs est possible. Il faut pour cela repenser totalement notre système de production agricole en réunissant autour d’une table toutes les parties concernées.»
Autre lieu, autre témoignage. Shiudut Bheechook également planteur, souligne, pour sa part, que les problèmes associés à l’utilisation des pesticides font partie d’un ensemble de défis auxquels fait face le monde agricole. «Ces défis impactent davantage sur les activités des petits planteurs confrontés à d’innombrables problèmes dont celui de la pénurie de main-d’œuvre qui, bien souvent, les force à abandonner leurs terres.»
«SI ON ME DONNE UNE ALTERNATIVE, JE SUIS PRÊT À ABANDONNER L’USAGE DES PESTICIDES ET DES HERBICIDES.»
Quant aux nombreux problèmes associés à l’utilisation de pesticides, Shiudut Bheechook estime lui aussi que l’identification des solutions aurait été possible s’il y avait plus de communication et plus d’échanges avec les techniciens du ministère. «Paradoxalement, on constate que les coupes budgétaires sont en contradiction avec les défis qui requièrent un engagement plus poussé de la part des autorités.»
D’autre part, «si on me donne une alternative, je suis prêt à abandonner l’usage des pesticides et des herbicides». Pour lui, «la solution à nos problèmes quant à l’utilisation de pesticides repose, entre autres facteurs, sur un dialogue permanent entre les planteurs et les techniciens. Il faut se garder de montrer du doigt les planteurs. Nous faisons partie d’un système.»
SANTÉ : DES LIENS DIRECTS DE CAUSE À EFFET ÉTABLIS À L’ÉTRANGER
Au commencement, il y avait la rumeur. Celle d’un couple décédé en clinique il y a quelques années, après avoir consommé de la calebasse. Une connaissance évoquait aussi la perte de kilos quelques heures après en avoir consommé. La rumeur s’est intensifiée au fil des mois. On apprenait qu’un collectionneur de perroquets faisait tremper leur nourriture, principalement des fruits, dans l’eau pendant 24 heures. Il en a perdu une trentaine d’un coup. Ceux-là avaient consommé des fruits lavés sommairement…
Il a ensuite été question de nombreux cas de patients mauriciens traités pour un cancer dans les meilleurs hôpitaux de Singapour et dont les analyses présentaient des taux anormalement élevés de pesticides dans l’organisme. On a ensuite entendu parler de l’existence d’une lettre officielle envoyée par d’éminents oncologues singapouriens au gouvernement mauricien, voilà quelques années, pour l’informer de ce fait et lui demander de prendre des mesures correctives.
Autant d’informations troublantes – mais non confirmées – qui méritaient que l’on s’y attarde. D’où, en premier lieu, l’analyse des échantillons de fruits et légumes cultivés localement, de même que de certains aliments importés dont les résultats sont édifiants car ils confirment le surdosage de pesticides, voire un «cocktail», dans quelques échantillons.
Tous nos efforts subséquents pour obtenir une confirmation – par téléphone et courriels – auprès d’éminents oncologues et cancérologues travaillant au Singapore General Hospital, au National Cancer Centre ou encore au Tan Tock Seng Hospital de Singapour où des malades mauriciens vont généralement se faire soigner, sont restés sans réponse. Un silence que nous attribuons à l’éthique professionnelle et à la confidentialité liant les médecins à leurs patients.
Restait la pratique médicale locale et l’expérience de nos spécialistes. Nous avons donc consulté un neurologue, un gastro-entérologue, un endocrinologue et un gynécologue-obstétricien dans l’optique d’évoquer leurs observations et de connaître leur avis. Tous évoquent des liens directs établis entre les pesticides et d’importantes complications de santé pour les animaux comme les humains à l’étranger. Ils citent d’ailleurs les résultats des études en question. Ces spécialistes ne peuvent toutefois prouver l’existence d’un tel lien de cause à effet à Maurice, même s’ils nourrissent de forts soupçons.
Des témoignages à découvrir dans notre édition de ce lundi 18 janvier.
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