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Krishna Luchoomun: «Plus d’activités artistiques qui poussent les gens à réfléchir»

18 février 2016, 12:34

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Krishna Luchoomun: «Plus d’activités artistiques qui poussent les gens à réfléchir»

Après une année 2015 artistiquement mouvementée, qu’en sera-t-il de 2016 ? L’art plastique, qui avait trouvé une place proéminente au festival «Porlwi by Light», continuerat-il sur sa lancée ? Krishna Luchoomun, plasticien reconnu et à la tête de l’association pARTage, livre son point de vue. 

Quel bilan faites-vous de l’art plastique en 2015 ?

Le moment fort de 2015 a été, je pense, l’exposition dans la vieille prison qui faisait partie du projet Porlwi by Light. Plusieurs personnes se sont empressées d’aller voir l’art contemporain. En 2015, beaucoup d’artistes ont également pris l’initiative d’exposer leurs œuvres. Ils ont fait beaucoup d’efforts pour être sur la scène artistique. Mais malheureusement, une triennale organisée par le ministère de la Culture, qui aurait dû se tenir l’année dernière, n’a pas eu lieu. Nous n’avons pas eu d’explication concernant la non-tenue de cet événement. Mais au final, on peut tirer un bilan positif de l’art plastique.

Justement, en parlant de l’exposition «Evazion», tenue à la vieille prison lors de «Porlwi by Light», qu’avez-vous ressenti en voyant l’engouement des Mauriciens ?

J’ai été content et étonné en voyant un tel engouement parce que d’habitude, quand on parle d’art contemporain, c’est un public très sélect qui le comprend. Au début, quand j’ai vu autant de personnes se précipiter vers la vieille prison, j’ai pensé qu’elles s’étaient déplacées surtout pour voir le lieu. Mais j’ai été très surpris de constater qu’elles s’intéressaient vraiment à l’exposition. Elles prenaient leur temps et visitaient cellule par cellule, tout en essayant de comprendre les œuvres exposées. Des œuvres qu’on pouvait apprécier ou pas, mais qui poussaient à la réflexion.

Qu’est-ce qui selon vous explique un tel engouement ?

Tout d’abord, il faut dire que le public s’était surtout déplacé pour le divertissement, pour l’illumination de Port-Louis et la musique. Mais sur place, il a découvert quelque chose à laquelle il n’est pas habitué, qui ne lui avait jamais été proposée dans le passé. La plupart des expositions se tiennent dans des galeries et le public mauricien a toujours peur de franchir le pas et d’y entrer. Dans la tête des gens, ce genre d’espace est réservé à un certain public, aux intellos ou encore aux riches. Mais avec Porlwi by Light, les Mauriciens n’ont pas eu peur de pénétrer dans un lieu inconnu.

Pensez-vous que cet événement est venu redéfinir la place de l’art plastique à Maurice ? Et qu’au final, le Mauricien a soif de connaissance ?

Je pense que oui. Avec Porlwi by Light, nous avons vu qu’il y a un public qui arrive à apprécier des œuvres au-delà des jolis tableaux dépeignant des paysages. Il apprécie un art qui donne à réfléchir, qui pousse le ‘regardeur’ à se poser des questions. Mais malheureusement, il y a un manque dans ce sens chez nous. Il y a une grande différence entre voir les choses sur Internet et voir en vrai. Ce genre d’événement apporte non seulement de l’innovation mais opère également un déclic dans la tête des gens. Cela leur ouvre l’esprit.

Cette exposition a toutefois été éphémère. N’avez-vous pas un sentiment de frustration par rapport à cela?

On voulait garder l’exposition ouverte plus longtemps parce qu’il y avait une demande. Des personnes qui n’avaient pu se déplacer voulaient la voir. Mais malheureusement, nous n’avons pas pu la maintenir plus longtemps à cause des coûts. Mais oui, c’était frustrant parce que nous y avions mis tout notre effort et nous avions souhaité que le maximum de personnes en profite.

«Le ministère des Arts et de la culture doit s’occuper de la culture et laisser la religion aux religieux.»

Ce genre d’événement ne devrait-il pas être fait plus souvent ?

Oui, bien sûr. Je pense que ce genre d’événement aurait dû être mensuel. Bien sûr, pas de la taille de Porlwi by Light. Mais il aurait dû y avoir quelque chose pour le grand public… Ne pas seulement mettre de la musique et faire chanter et danser le public mais le faire réfléchir et lui apprendre à comprendre le monde qui l’entoure.

Que faudrait-il pour mettre ce genre d’événement sur pied plus régulièrement ?

Je pense qu’il faudrait donner des facilités aux gens dans l’événementiel. Les différents ministères doivent être parties prenantes de cet événement, au lieu d’organiser dans les municipalités des soirées isolées, axées sur le divertissement.

Il vaudrait mieux se concentrer sur des événements plus riches. Mais pour cela, il faudrait que le gouvernement travaille de pair avec les acteurs artistiques. On ne peut pas demander cela à un fonctionnaire. Il faut chercher parmi les artistes et les organisateurs d’événements.

Il faudrait également faire le pont avec l’international et voir ce qui se fait ailleurs. Le croisement des divers médiums artistiques est aussi important. Pour l’instant, chacun travaille de son côté. Mais un tel événement permettra aux artistes de différents milieux – que ce soit les chanteurs, les danseurs, les peintres, les hommes de théâtre – de se rencontrer et d’œuvrer ensemble. Ce croisement va nous aider à progresser et à offrir un produit final beaucoup plus riche.

Et plus important, redonner vie à la culture. Car, à l’heure actuelle, la culture est devenue quelque chose de plus religieux. On dépense des sommes astronomiques pour fêter Divali, Eid, etc. Mais quand il s’agit de promouvoir la culture, il n’y a plus d’argent. Pour mettre sur pied un tel événement, il faudrait que ce soit l’affaire de tout le monde : les secteurs privé et public. Le ministère doit être là pour montrer la voie, donner l’exemple et son soutien.

N’avons-nous pas tendance à faire l’amalgame entre culture et religion ?

Oui, c’est cela. La culture pour les Mauriciens équivaut à la religion. Ceux qui nous gouvernent nous font croire que la culture et la religion sont la même chose. Il n’y a pas cette séparation. Il faudrait un changement de mentalité. Le ministère des Arts et de la culture doit s’occuper de la culture et laisser la religion aux religieux. Tout comme on doit boire et manger, il nous faut également de la culture pour vivre.

Que prévoyez-vous cette année ?

Au niveau de pARTage, nous avons prévu un atelier d’art en avril avec des artistes étrangers et mauriciens, qui cumulera par une exposition. Nous avons également d’autres projets mais le calendrier n’est pas encore bien défini. Nous espérons que les choses s’amélioreront pour tout le monde cette année…