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Anil Gayan sur les médicaments : «Des profits allant jusqu'à 1000 %»

15 février 2016, 20:30

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Anil Gayan sur les médicaments : «Des profits allant jusqu'à 1000 %»

 

Treize mois après votre arrivée au pouvoir, que considérez-vous comme les différences les plus marquantes entre la gestion travailliste et la gouvernance de Lepep ?

C’est la personnalité du Premier ministre. SAJ fait confiance à ses ministres et les laisse fonctionner avec une grande autonomie. Nous n’avons pas d’autres intérêts que celui du pays, eux c’était l’intérêt de leur clique.

En termes de résultats, vous conviendrez que votre bilan est maigre.

Oui, parce que l’affaire BAI a occupé beaucoup de notre temps. Mais il y avait des risques d’écroulement de l’économie nationale. L’opération nettoyage a pu donner l’impression que le rythme des réformes est lent. Il fallait commencer par cela pour changer les mentalités avant les réformes.

Lepep est perçue comme une plate-forme hétéroclite, vainqueur par défaut en 2014 et donc incapable de formuler un projet cohérent.

Vaincre par défaut, c’est courant. Les électeurs s’expriment toujours contre un parti, un dirigeant. Rarement en faveur de quelqu’un. Le manque de cohésion au gouvernement, c’est une invention de la presse. Récemment, on a évoqué une mésentente entre le PMSD et le MSM. Je reviens du Conseil des ministres (NdlR, l’interview a été réalisée vendredi) et je vous assure qu’il y a une camaraderie et une sérénité qui contredisent totalement cette rumeur. Le ciment qui nous lie ensemble, c’est la volonté de réaliser le deuxième miracle économique.

Les conditions sont-elles réunies pour réussir ce «miracle» ?

Oui. Toutes. La première, c’est l’intégrité. Nous sommes au pouvoir depuis treize mois et il n’y a pas un seul ministre qui soit le moindrement entaché. Il n’y a eu aucune décision en faveur de tel ou tel lobby…

Justement, qu’advient-il des socioculturels ?

Nou pa pran zot kont. D’ailleurs, vous l’aurez constaté, ils ne sont plus vus aux côtés des ministres. Je disais donc que, débarrassé de la corruption, le pays se dirige vers le deuxième miracle. Le public s’en rendra compte quand l’expansion du port et la construction des smart cities seront entamées.

L’opposition critique agressivement tous vos projets, de Heritage City aux «smart cities». Cela risque-t-il de contrarier vos plans ?

Dans une démocratie, le gouvernement est naturellement exposé à ces critiques. Je n’ai pas de problème avec cela si c’est dans l’intérêt du pays. Mais que fait Bérenger ? Au lendemain des résultats de décembre 2014, il a annoncé que les prochaines élections ne sont pas loin. Ils font tout pour saper la confiance du peuple. En 1983, le MMM avait opéré de la même façon. Au moment où le gouvernement promettait le miracle économique ou la deuxième phase de l’industrialisation, ils prédisaient la catastrophe. Cette fois non plus, ils n’arrêteront pas le miracle.

Vous avez été très critique à l’égard des ONG et des parapublics. Pourquoi vous agacent-ils tant ?

Agacer n’est pas le mot juste. J’ai une obligation de produire des résultats. Quand je constate que la Natresa ne fait rien d’autre que réunir les ONG une fois par mois pour leur remettre l’argent qu’elles réclament, je dois agir.

Vous insinuez qu’il n’y avait aucun contrôle ?

Quand j’ai voulu vérifier, on m’a soumis des noms sans adresse ni numéro de téléphone. Comment faire un audit des dépenses de l’argent de l’État dans ces circonstances ? Quand une ONG bénéficie de fonds hors sources gouvernementales, elle fait ce qu’elle veut de son argent. Quand elle touche des subventions de l’État, elle doit satisfaire trois critères : transparence, accountability et résultats.

Vous estimez que les ONG ne répondent pas à ces critères ?

Récemment, une délégation étrangère a visité des centres de distribution de méthadone pour évaluer la contribution des ONG locales. Aucun représentant des ONG n’était présent dans ces centres. Les ONG ne reçoivent pas de l’argent public que pour faire la sensibilisation ou pour réclamer la démission du ministre. Il y a eu détournement de la nature des ONG.

On peut également parler de détournement du rôle des parapublics.

Tout à fait. Les organismes parapublics sont devenus des pourvoyeurs de «jobs for the boys».

Le gouvernement actuel y case également ses agents.

Non. The boys have already taken all the places. Les parapublics n’ont pas évolué. Regardez la PSC. Elle n’a pas les ressources. Le pays bouge, les institutions non. Croyez-vous qu’on peut maintenir l’Agricultural Marketing Board avec ses infrastructures coûteuses ? Je prône le moins d’État. Laissons le «market process» s’occuper du commerce de la pomme de terre. Supprimez les contraintes administratives.

Vous imaginez le tollé que vous allez soulever en vous attaquant aux conservatismes ?

Gouverner, c’est faire face à la résistance. La population doit accepter qu’il y aura des dommages collatéraux et comprendre que «it is part of life». S’il y a des sacrifices à faire, faisons-les. Prenons le cas de mercredi dernier. Fallait-il paralyser le pays en raison des pluies ? À l’avenir, la réaction du gouvernement sera différente s’il y a des averses.

Il y a une perception que le gouvernement a tendance à politiser les institutions. Le conflit avec le DPP a contribué à créer cette impression.

D’abord, il n’y a pas de conflit constitutionnel. La Constitution n’interdit pas au gouvernement de demander au DPP de rendre des comptes au bureau de l’Attorney General sur le plan financier et administratif. Quant aux pouvoirs du DPP d’instituer ou pas des poursuites, ils sont intacts. Maintenant, le DPP a des pouvoirs mais il a aussi des devoirs constitutionnels. Vous vous rendez compte, un an après l’ouverture de l’enquête sur Navin Ramgoolam, celui-ci n’a pas encore été inculpé formellement !

C’est la police qui n’a pas encore bouclé ses enquêtes.
Un DPP peut demander à la police de faire vite. Ou alors, dans ses newsletters, il aurait pu, pour apaiser l’opinion publique, donner les raisons pourquoi il ne peut pas, à ce stade, procéder à l’inculpation formelle.

Vous avez évoqué «la lourdeur bureaucratique» pour expliquer le retard pris par la mise sur pied d’un hôpital pour le cancer. Est-ce lié à la culture de notre fonction publique ?

Si c’est une question de culture, expliquez-moi comment se fait-il que, quand le Premier ministre veut faire avancer un travail, le fonctionnaire s’exécute rapidement.

Vous voulez dire que cela dépend de l’autorité du ministre ?

Dans une certaine mesure. Il y a aussi le suivi des dossiers. À la Santé, nous lançons des centaines de projets. Le ministre ne peut suivre tous les dossiers au jour le jour. Le système n’est pas assez dynamique pour que les dossiers bougent indépendamment de l’intervention ministérielle. Quand j’ai vu les conditions dans lesquelles on traite les patients atteints de cancer à Candos, je me suis dit que c’est inhumain, inacceptable. Je voulais rendre opérationnelle la Cancer Unit envisagée dans les locaux de l’ex-MedPoint. J’attends toujours. Il est vrai que d’autres ministères sont impliqués. Vous cherchez les ingénieurs du ministère des Infrastructures publiques (MPI), ils sont occupés. Cela aussi, c’est un vestige du passé, ce recours au MPI pour les travaux d’infrastructures. Chaque ministère doit avoir sa propre équipe pour faire bouger les projets.

Dans votre secteur, il n’y a pas eu de réformes audacieuses. On attend toujours l’harmonisation des tarifs des cliniques, un meilleur contrôle de prix des médicaments, etc.

Concernant les tarifs des cliniques, encore une fois, je préfère faire confiance aux forces du marché. C’est la décision du patient d’aller vers le privé ou le public. Mon ambition est de permettre à chaque malade d’aller en toute confiance vers le public et d’obtenir le meilleur soin possible. Je n’ai pas l’intention de réglementer les tarifs du privé.

Venons-en au prix des médicaments.

C’est effectivement un dossier chaud. En ce moment même, mon ministère mène une enquête sur un cas spécifique. Nous avions eu vent qu’un certain médicament contre le cancer est vendu sur le marché à un prix exorbitant. J’ai donc demandé au service concerné de s’en procurer une boîte auprès d’un importateur local. Jetez un coup d’oeil vous-même sur le prix auquel il est vendu en Inde et le prix que nous avons payé. (Anil Gayan tend une boîte de la marque S… sur laquelle les deux prix sont inscrits). J’ai également la facture. (Il l'a brandit). Comme vous le constatez, le prix au détail en Inde est de Rs 1 710 (roupies indiennes) alors que le distributeur local l’écoule à... Rs 10 668, comme l’indique cette étiquette. Sur notre facture, le prix est légèrement plus bas car le ministère bénéficie d’un escompte étant un gros client. Nous parlons là de 1 000 % de profits.

Dans ce contexte, abusif est un terme un peu faible.

C’est du vol. Du moins, avec les éléments dont je dispose actuellement, c’est ce qu’on peut conclure. J’ai immédiatement démarré une investigation. L’enquête est en cours. Cet après-midi (NdlR, vendredi), j’obtiendrai de nouveaux éléments. Le cas échéant, des sanctions seront prises.

L’Audit évoque chaque année le gaspillage des fonds publics lié à l’achat de médicaments par le ministère.

Attendez le rapport 2015. Les gaspillages, c’est du passé. Il reste des pratiques à changer. Ce n’est plus possible de commander pour un an des médicaments pour un patient atteint de cancer. Je veux comprendre le système des commissions. J’ai déjà donné des instructions pour qu’aucun agent commercial de compagnies pharmaceutiques n’ait accès aux hôpitaux. Ces médecins qui sont invités à assister à des conférences et qui prescrivent à leur retour des médicaments spécifiques feront aussi l’objet d’enquête.

Je reviens à la politique. Du MMM ou du PTr, lequel sera le principal adversaire de Lepep aux prochaines élections ?

Le MMM a l’air déphasé. En tant que Mauricien, je suis déçu parce que l’opposition a un rôle clé en démocratie. Ce matin (NdlR, vendredi) Ajay Gunness dit que le MMM voulait «kick Navin Ramgoolam upstairs» après les élections. Mais ils ne l’ont pas dit pendant la campagne. C’est cela la gangrène du MMM, la malhonnêteté. Le matin Bérenger partage un gâteau avec SAJ, le soir il négocie avec Ramgoolam. L’un a son coffre-fort, l’autre son gâteau. Ils auront à vivre avec cela.

En somme, vous êtes en train de «write off» Ramgoolam.

Pas moi. Son électorat. Mais c’est un «serial offender».

Le PTr sera-t-il un adversaire plus coriace pour vous avec Arvin Boolell à la tête ?

Arvin avait une occasion en or de «challenge» Ramgoolam juste après les élections. Il l’a fait. C’était avant l’affaire des coffres-forts. S’il avait maintenu la ligne dure, l’affaire des Rs 220 millions l’aurait dopé et il serait déjà leader du PTr. Un vrai leader a le courage de poursuivre son objectif quelles que soient les conséquences. Si le PTr a un leader comme Arvin Boolell qui manque de punch, ce sera un combat facile pour Lepep.