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Professeur Edouard Dommen: «On peut avoir une économie sans croissance mais en plein essor»
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Professeur Edouard Dommen: «On peut avoir une économie sans croissance mais en plein essor»
De passage à Maurice, le professeur Edouard Dommen, de nationalité suisse, jette un regard lucide sur l’économie locale et rappelle les défis auxquels le pays est confronté.
Vous avez été associé au lancement du ministère du Plan et du développement économique en 1965. C’est un ministère qui avait toute son importance à l’époque…
Tout à fait. D’ailleurs, c’est à l’invitation du professeur Meade, récipiendaire du Prix Nobel d’économie, que je suis venu à Maurice pour prendre la direction du ministère du Plan et du développement économique en 1965. Le professeur Meade était à Maurice au début des années 60 pour une étude sur le pays pour le compte du gouvernement d’alors.
Mon rôle en tant que directeur du ministère du Plan consistait, à l’époque, à tout mettre en oeuvre pour traduire dans les faits les grandes orientations économiques dégagées par le professeur britannique dans son rapport.
À travers les différents plans quinquennaux, le ministère du Plan avait jeté les bases de notre architecture économique et défini une feuille de route pour la diversification de l’économie du pays. Il y avait urgence à élargir la base économique qui reposait essentiellement, avant l’indépendance, sur l’activité sucre.
C’était un rapport qui avait prédit le pire pour Maurice et qui faisait débat à l’époque.
Effectivement, mais son constat traduisait les réalités économiques du moment. Dans son rapport, le professeur Meade plaidait l’urgence de trouver d’autres débouchés que le sucre pour faire face aux défis et problèmes auxquels le pays était confronté à la veille de l’indépendance. Soit une explosion démographique se référant à ce propos au cauchemar malthusien qui menaçait le pays si des mesures appropriées n’étaient pas prises.
Il avait raison de tirer la sonnette d’alarme sur les risques d’une surpopulation à Maurice. Ce que le pays ne pouvait gérer compte tenu de ses ressources économiques limitées et d’un taux de chômage effrayant – près de 20% de la population active. Il anticipait le pire pour Maurice et c’est bien que le gouvernement d’alors ait pris les mesures nécessaires pour créer les conditions d’une relance économique et éviter, dans la foulée, que le pays ne sombre dans la misère.
C’est le début de l’industrialisation, plus particulièrement de l’avènement des entreprises de substitution et de la zone franche d’exportation.
Le professeur Meade partait d’un postulat simple. À savoir que l’industrie sucrière ayant atteint les limites de son développement, toute nouvelle perspective d’emploi devrait inévitablement se faire hors de l’activité sucre. D’où la décision du gouvernement de prendre une série de mesures en 1964 en vue de promouvoir des industries de substitution aux importations pour le marché local.
Ces mesures comprenaient, entre autres, la réduction et l’élimination des droits de douane sur les matières premières et des allocations sur les bâtiments industriels et autres équipements. Du coup, ces mesures ont permis dans les mois qui ont suivi la création d’une cinquantaine d’entreprises et près d’un millier d’emplois. Ce qui était d’ailleurs nettement insuffisant pour absorber un niveau élevé de chômage.
Quid de la zone franche d’exportation ?
Disons que l’idée d’une zone franche d’exportation avait été évoquée pour la première fois par le professeur Lim Fat quelques mois après l’indépendance. Le professeur Lim Fat, que j’ai connu à l’université de Maurice – j’étais le premier à enseigner l’économie au campus universitaire –, avait à l’époque dirigé une importante mission à Taiwan, Hong Kong et Singapour pour s’inspirer de leurs modèles de zone franche d’exportation. Il incitait les hommes d’affaires de ces pays à venir implanter des usines de textile pour la confection de pulls en s’appuyant sur les avantages dont ils pouvaient bénéficier, notamment d’un vaste marché européen suivant l’adhésion du pays à la Communauté européenne.
Et pour les hommes d’affaires hongkongais, c’était visiblement des opportunités à saisir car les avantages obtenus dorénavant pour exporter vers l’Europe étaient un moyen d’échapper aux restrictions imposées en Europe sur les importations en provenance de Hong Kong.
La possibilité de créer une zone franche à Maurice intéressa de prime abord les hommes d’affaires mauriciens. Et au ministère du Plan, on avait publié le Livre Blanc sur la Stratégie de développement 1971-1980 et le Plan de développement 1971-75 qui comprenaient un certain nombre de mesures susceptibles d’aider Maurice à faire une percée rapide sur les marchés d’exportation. Entre les industriels hongkongais et franco-mauriciens, c’est le début d’un partenariat qui devait révolutionner le secteur manufacturier à Maurice.
«Il ne faut pas se focaliser uniquement sur le PIB comme principal indicateur économique.»
Nous avons également eu droit à une sophistication de l’économie à partir des années 80 avec le lancement de nouveaux secteurs économiques, dont les services financiers, et les Technologies de l’information et de la communication, entre autres.
Tout à fait. Je prends pour exemple l’offshore qui a permis à Maurice d’être le principal investisseur en Inde, en termes d’investissements étrangers transitant par Maurice. C’est un secteur qui a connu son décollage grâce au traité fiscal avec l’Inde.
Il est vrai aussi que ce secteur fait toujours l’objet d’interrogations sur la provenance des fonds qui passent par Maurice pour atterrir en Inde. Est-ce de l’argent sale qui est blanchi à Maurice ? Toujours est-il que ce secteur a permis de dynamiser les services financiers, de générer des revenus pour le pays à travers l’incorporation de sociétés offshore et d’employer de jeunes diplômés en finances.
Quelle lecture faites-vous de l’économie mauricienne à un moment où tous les gouvernements qui se sont succédé peinent à relancer la croissance ?
L’économie mauricienne est petite par rapport à celle du monde. Ce n’est pas une faiblesse en soi car cette spécificité donne à Maurice un avantage de choix, soit celui d’être un marché niche pour des investisseurs étrangers. Il faut miser sur cet atout pour attirer des investissements étrangers afin de générer de nouvelles activités.
De ce fait, il ne faut pas penser uniquement en termes de croissance. D’ailleurs, il y a un ralentissement économique à l’échelle mondiale. Du reste, on assiste actuellement à la naissance d’un mouvement prônant la décroissance.
En fait, ce qu’on mesure aux Nations unies – notamment le produit intérieur brut (PIB), ne tient pas en ligne de compte tous les aspects liés au fonctionnement de l’économie. D’autres variables contribuant à la croissance, sont aussi importants.
De ce fait, on peut très bien imaginer une économie sans croissance mais qui est en plein essor. Tous les débats sur le développement tournent autour d’une autre vision du bien-être économique. Ce qui m’amène à dire qu’il ne faut pas se focaliser uniquement sur le PIB comme principal indicateur économique. Je veux aller plus loin pour dire qu’il faut refaire tous ses indicateurs économiques.
Certains spécialistes estiment que le salut de Maurice passe par son ouverture aux étrangers. Êtes-vous de cet avis?
Je partage cette opinion. J’estime, comme ces spécialistes, que Maurice, au vu de sa petite taille et de son développement économique, doit s’ouvrir aux compétences étrangères pour opérer dans des filières financières pour lesquelles le pays n’a pas l’expertise voulue.
Je note déjà que dans certains secteurs économiques, c’est déjà une réalité. Mais il ne faut pas que cette ouverture se fasse au détriment des intérêts mauriciens.
Comment analysez-vous l’économie chinoise dont tous les économistes parlent actuellement. Pensez-vous, comme certains analystes financiers, que ce pays pourrait se retrouver en récession?
C’est une possibilité qu’il ne faut pas écarter. Il est vrai que cette puissance a toujours connu une croissance à deux chiffres. Certes, les spécialistes s’attendaient à un soft landing de son économie. Mais personne n’imaginait que la Chine puisse se retrouver avec une croissance de 5% à 6%, et même moins si on se fie aux dernières analyses.
Comme le malheur de certains fait le bonheur des autres, le plongeon de l’économie chinoise a permis à l’Inde de se positionner pour prendre le leadership des pays émergents.
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