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Une page avec... Arvin Boolell: «Ne prenez pas mon humilité pour de la faiblesse»
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Une page avec... Arvin Boolell: «Ne prenez pas mon humilité pour de la faiblesse»
Le PTr est-il en train de vivre les pires moments de ses 80 années d’existence ?
Le parti a vécu beaucoup de moments de difficulté. Par exemple, en 85 quand il est botté hors du pouvoir deux ans après les élections. Une campagne de haine et d’humiliation s’en est suivie…
Avec le recul, comprenez-vous mieux aujourd’hui les raisons de l’échec électoral de 2014 ?
Les raisons sont simples : arrogance d’une alliance qui avait cru que la victoire était acquise, communication défaillante autour des mérites de cette alliance, les craintes de la communauté majoritaire et finalement le flou entre les pouvoirs du président et ceux du Premier ministre. D’autres facteurs y ont contribué : les contradictions entre dirigeants sur les estrades communes et la mauvaise organisation de la campagne comme démontré lors du meeting du 20 octobre à Quatre-Bornes.
On vivait dans une bulle et nos rêves étaient basés sur des projections statistiques.
Vous insinuez que Bérenger inspirait la crainte. Lui, il attribue la défaite à Ramgoolam…
Ce n’est pas mon intention d’estimer le degré de responsabilité de chacun. Nous sommes collectivement responsables. J’avais anticipé le problème. Lors d’une réunion en présence des deux leaders, j’avais évoqué le danger venant du facteur ethnique.
J’ai appris des leçons du passé. Dans les années 90, le tandem Bérenger-Cuttaree proposait à sir Satcam le poste de Premier ministre tandis que le MMM allait bénéficier d’un plus grand nombre de sièges que le PTr. Nous avons rejeté la proposition parce qu’elle n’assurait pas une représentativité équitable.
Quand sir Satcam avait prédit qu’il y aura fatalement un Premier ministre hindou pour de longues années encore, on lui avait dit qu’il se trompait parce que le pays avait évolué. Or, plus nous évoluons, plus il y a des réflexes sectaires.
Comment inverser cette tendance ?
Sans une représentativité équitable, on va tout droit vers la fracture de la société mauricienne. Si on veut forger une nation mauricienne, il faut passer par une réforme électorale.
Quelles sont les grandes lignes du système que vous préconisez ?
Un scrutin mixte avec des élus selon le First past the post et des députés élus à la proportionnelle (PR). Il est fondamental d’injecter une dose de PR. Sans compter l’urgence d’une loi sur le financement des partis.
Je reviens sur le facteur ethnique. Il y eut durant les années post-indépendance un accord tacite de partage de pouvoir, l’économie et la politique étant contrôlées par des groupes distincts. Cette formule était-elle satisfaisante ?
Non, la mentalité de rentiers a perduré malgré tout. Heureusement, la primauté de l’État de droit a rendu possible une coexistence pacifique. La réconciliation s’est faite à travers les institutions et les lois qui ont été conçues pour ne pas déranger violemment le système. Après l’indépendance, sir Satcam était délégué par sir Seewoosagur Ramgoolam pour dire à l’oligarchie sucrière que le gouvernement veut la réconciliation et que les réformes seront faites en douceur.
Que vous le vouliez ou pas, il y a eu dans ce pays des gens qui, à un moment, ne respectaient pas l’hymne national. Le healing s’est opéré au moyen de dialogues et grâce à l’humilité du gouvernement d’alors.
Les plaies sont cicatrisées ?
Comme le dit Rama Sithanen, if you can’t beat them join them. Ce qui a permis aux barrières de s’estomper, c’est le fait que notre économie a évolué vers les services. L’avantage des services, c’est que ce secteur nécessite de l’intelligence. Cela a résulté en l’empowerment de groupes jusqu’ici négligés. Il en résulte une approche inclusive, une démocratisation.
La démocratisation de l’économie, un projet que le PTr a lancé sans parvenir à un résultat probant.
Encore une fois, il ne faut jamais déranger le système violemment. Avançons par étapes. La réforme de l’industrie sucrière, par exemple, a été une aubaine. Le gouvernement a récupéré de grandes superficies de terres. J’admets que nous n’avons pas su créer une nouvelle classe d’entrepreneurs. Par manque de mesures d’accompagnement structurées. Parfois vous accordez des facilités, comme nous l’avions fait à Riche-en-Eau, mais les gens ne sont pas intéressés à en tirer un quelconque avantage.
C’est parce qu’ils n’ont pas la culture entrepreneuriale ?
Cette culture ne se développe pas du jour au lendemain. Ils attendent beaucoup trop de l’État. Cette mentalité d’assistés ne facilite pas les choses. Moi, je suis en faveur d’une approche filière. Les grandes entreprises doivent transmettre leur savoir-faire aux petits entrepreneurs, soutenir les start-ups. Le secteur privé traditionnel n’a pas eu la volonté de se démocratiser. Tous n’ont pas suivi le bel exemple de FAIL qui vend des poussins aux petits éleveurs et les rachète quand ils atteignent la maturité. C’est cela l’approche filière. La Banque de développement, non plus, n’a pas été à la hauteur.
Le secteur privé demande toujours davantage à l’État. Voyez toutes ces exemptions fiscales accordées dans le contexte des smart cities. C’est un gouvernement qui encourage le développement foncier. Or, ce n’est pas le rôle de l’État de s’engager dans la construction de bâtiments. L’État doit demeurer un facilitateur.
Votre critique est dirigée contre Heritage City ?
Il est vrai que le PTr était également en faveur de la délocalisation de certains ministères vers Highlands. Le gouvernement avait même engagé un Transaction Advisor. La différence, c’est que nous, nous demandions aux opérateurs privés de prendre les risques financiers. Je ne comprends pas la logique d’Heritage City à un moment où il y a un excédent d’appartements sur le marché. Il y a environ7 500 appartements libres. À moins d’adopter une politique d’immigration comme Singapour, nous ne nous en sortirons pas.
Revenons au volet politique. Saviez-vous que votre parti est richement doté, avec des contributions de Rs 220 millions dans un coffre-fort ?
Il est vrai que c’est par la force des choses qu’on a appris le quantum des contributions au PTr. Ni moi ni personne ne le savait avant. On sait seulement que le PTr aide financièrement ses candidats. On sait ce que coûte un meeting. Ce qui compte aujourd’hui, c’est qu’il faut arrêter avec cette vaste hypocrisie autour du financement des partis. Le système oblige un jeune à trouver Rs 4 millions s’il veut être candidat à une élection. Cela fausse le jeu démocratique. Bannissons ce code solennel qui veut qu’aucun parti ne divulgue ses dépenses réelles. Donnons des pouvoirs de contrôle à la Commission électorale. Finissons-en avec ces comptes clandestins. Obligeons les partis à maintenir des livres de comptes audités, comme une entreprise.
Normalement, le candidat triche en soumettant ses dépenses à la commission…
Tous hypocrites. Tous coupables.
Si le PTr arrive à reconquérir le pouvoir, quelles sont les erreurs qu’il doit éviter de commettre ?
Premièrement il doit permettre à ses instances de fonctionner. Un parti au pouvoir doit avoir une contrepartie pour éviter des dérives. Au pouvoir, les dirigeants du PTr avaient rompu le cordon ombilical avec les instances. Même un Premier ministre doit rendre des comptes aux instances du parti. Le gouvernement travailliste était devenu trop fort à partir de 2011. Il n’y avait pas de contrepartie. D’autant plus que l’opposition ne jouait plus ce rôle. C’est la presse qui assumait ce rôle. Or, ça, c’est dangereux.
Pourquoi ?
Parce que les journalistes n’ont pas accès à toutes les données, les infos. Il y a trop de spéculations.
Avec un «Freedom of Information Act», on règle ce problème.
Vous avez raison. Aujourd’hui, l’accès à l’information n’est pas un privilège, c’est un droit.
La corruption ?
En dépit des lois existantes, que ce soit pour l’allocation des contrats «Govt-to-Govt» ou pour les travaux d’urgence, aucun gouvernement n’a été à l’abri des critiques, même quand l’exercice est fait en toute transparence. Ensuite, le PTr au pouvoir avait quelques conseillers qui agissaient comme des potentats et bloquaient la prise de décision plutôt que de faire le lien entre les ministères. Finalement, nous n’avons pas su close the gap et fournir aux secteurs émergents les compétences pointues requises. Par exemple, trouver un comptable avec une spécialisation en equity…
Le «Global Business» s’accrochait trop aux accords fiscaux. Ce n’est que maintenant qu’il repense sa stratégie.
Je ne suis pas d’accord. Depuis des années, j’entends parler de Base Erosion and Profit Shifting. Le gouvernement a commis une erreur fondamentale dans ses négociations sur le traité avec l’Inde. Maurice a mal joué ses cartes. Nous, nous avions arraché le report de la loi GAAR.
Le secteur se remet en cause et veut se transformer en «hub» entre l’Asie et l’Afrique.
Le business avec l’Afrique pèse moins de 3 % du chiffre d’affaires du Global Business. Laissez-moi vous dire, on ne fait pas de réformes de manière brutale.
Ce principe revient comme un leitmotiv chez vous. C’est parce que vous n’aimez pas les changements brusques que vous hésitez à revendiquer le leadership du PTr ?
Il y a un temps pour toute chose. Durant toute ma carrière politique, j’ai eu une loyauté indéfectible envers mon parti. Cela ne m’empêche pas d’avoir de l’ambition comme tout le monde.
Au fond, vous sentez-vous capable d’assumer le leadership du PTr ?
Oui. Le PTr a une constitution qui donne le droit à Navin Ramgoolam d’être le leader jusqu’à 2017. Je respecte les statuts du parti.
La critique qui revient le plus souvent à votre encontre, c’est que vous affichez un manque de confiance.
Jamais je ne vais déranger un système brusquement, ou créer une situation conflictuelle. Je veux une réforme où le parti conserve son identité et son entité.
Cela n’a rien à faire avec un manque de confiance. La raison et le temps, c’est ce qu’il me faut. Le soutien doit être là.
Je suis révolté par la façon dont ils traitent un ancien Premier ministre sans preuves. J’ai appris à ne pas passer de jugements intempestifs. Je me souviens d’un chauffeur de taxi qui opérait illégalement et qui avait été condamné par la cour. Un jour, il invite sir Satcam à venir chez lui pour comprendre : ses parents, paralysés, étaient alités.
Écoutez, je dis à tous : ne prenez pas mon humilité pour de la faiblesse.
Oui, j’ai le droit d’avoir l’ambition de diriger mon parti et mon pays. Refusons de nous cantonner dans un corset castéiste ou communal.
Vous dites refuser les changements violents. Être candidat au poste de Premier ministre alors que l’on n’appartient pas au milieu «convenable» bouscule les habitudes ?
Si Maurice garde son orientation de pays de services, si notre population opte pour l’ouverture et la mobilité, je le ferai. Gaëtan Duval disait joliment que le Mauricien est capable de «frotte zepaules» avec tous. Ayant dit cela, je ne nie pas la réalité ethnique. Il faut simplement que l’ethnicité ne soit pas la locomotive de notre pensée.
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