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Double meurtre à Camp-de-Masque-Pavé: le courage des Rughoobin

6 mars 2016, 18:45

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Double meurtre à Camp-de-Masque-Pavé: le courage des Rughoobin

 

Les photos de la façade de leur maison, à Camp-de-Masque Pavé, ont fait la une de tous les journaux. La salle verte et les chaises qui ont servi pour les funérailles sont toujours dans la cour.  Il y a plus d'une semaine, Yeshna et Reshma Rughoobin y ont péri, tuées par leur voisin, tout juste âgé de 17 ans. Il leur aurait asséné  21 coups de couteau. Ce garçon, dit timide, se serait aussi acharné sur un enfant de 11 ans, Tushal Rughoobin, qui est toujours à l’hôpital. 

Et le temps s'est arrêté chez les Rughoobin que nous rencontrons mardi après-midi, soit cinq jours après le drame. «Entrez, entrez», lâche un des oncles, «prenez des chaises». L’accueil est étonnant.

Les Rughoobin n’ont aucune intention d’effaroucher les journalistes. Ils ont des choses à dire. Sur les visages, la douleur semble avoir laissé la place à la colère. Suresh, assis au pied d’une énorme photo où il pose avec sa défunte épouse, qu’il appelait affectueusement «Mama» se lance. «Ki kalité kontan sa ? Kontan pou vinn touyé ? Mansonz sa !» Suresh nous guide partout à travers la maison, nous montre la cachette du présumé tueur, et nous emmène jusqu’à la chambre où sa femme est tombée. «Linn pik Mama dan lédo ler Mama tipé rod sové.»

Entre-temps, Ravi et Asha, les parents de Yeshna, viennent tout juste de rentrer de l’hôpital de Flacq, où ils s'étaient rendus pour être au chevet de Tushal, «le seul enfant qui leur reste». Silence ! Toute la famille veut avoir des nouvelles du garçonnet. «Pann dir li ki Didi inn alé», confie Ravi. Asha, elle restera silencieuse. Le couple disparaît à l’intérieur de la maison. Après quelques minutes, Ravi revient, serviette en main, le visage trempé, il vient de se rafraîchir. Derrière lui, Asha ne pipe mot.

Tushal viendra avec nous en Australie. Yeshna aussi, dans notre cœur

Tous les jours, ce sera le même refrain, pendant un certain temps du moins. La visite matinale à l’hôpital et, au retour, des journalistes, encore et toujours des journalistes. Mais la famille ne s’en plaint pas. Elle veut montrer qu’elle est forte et courageuse. On nous autorise à poser toutes les questions : les terribles événements, la santé de Tushal, la douleur, mais surtout l’avenir. «Nous vivons pour Tushal. Il symbolise le courage des Rughoobin. Il viendra avec nous en Australie. Yeshna aussi, dans notre cœur», déclare Ravi.

Pour pour les habitants de Camp-de-Masque-Pavé, également, les plaies ne se sont toujours pas refermées… «Cela fait 82 ans que je vis à Camp-de-Masque-Pavé et c’est la première fois que je vois une procession de deux corps», lance Simon Riche. Ce retraité a pour habitude de «kass enn poz» près du lieu-dit «Contour». Toujours assis au même endroit, toujours sur la même «ross», ses yeux, cachés derrière les lunettes de soleil, en ont vu des vertes et des pas mûres. «Mais ce qui s’est passé ici, dans mon village natal, c’est du jamais-vu».
 
En 76 minutes,  tout a basculé, un vendredi 26 février...
 

 

Dans le village, à côté de Simon Riche, Rajiv Boobun, marchand de légumes, écoute notre conversation en nous dévisageant. C’est un homme qui n’a toujours pas digéré ce qui s’est passé. Il boude.

Le va-et-vient des journalistes semble l’exacerber encore plus. «Kuma pou fer pou al get garson pou maryé ar tifi Campde-Masque-Pavé aster ? Fami garson pou dir mové dimounn sa», clame-t-il, en s’invitant à la conversation.

Avec le temps, les gens finiront bien par oublier, non ? «Ki ou ganyé ou ? Kapav blyé sa ?» Et d’ajouter : «Nu pou viv, me pa pou blyé…»

Ici, rien n’est plus comme avant. La morosité a même frappé les parties de rami auxquelles s’adonnent les hommes du village les après-midi sous le grand badamier de la place centrale. Les sourires sont rares, les visages crispés. Coup du sort, un couteau tombe de la poche d’un des joueurs. Normal, c’est un planteur de bananes qui, après la récolte, s’est arrêté par ici. Mais un silence glacial trahit l’embarras et la gêne occasionnés par cette arme blanche.

Un des joueurs balance alors une phrase en bhojpuri, comme s’il voulait détendre l’atmosphère. Mais le «chouri», (NdlR, couteau) ne fait pas rire. Certains font semblant de se concentrer sur les cartes. La partie ne va pas durer longtemps. La nuit tombe. Le groupe se disperse.

Demain sera un autre jour, mais avec les mêmes mauvais souvenirs…