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Lutchmeenaraidoo: «Le procès de Pravind a destabilisé le gouvernement»
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Lutchmeenaraidoo: «Le procès de Pravind a destabilisé le gouvernement»
De votre lit d’hôpital, le travail continue. Je vois que vous êtes en contact avec vos collaborateurs et vous rencontrez des journalistes...
Je suis malade et n’arrête pas de travailler, c’est vrai. Mes médecins disent que c’est la conséquence d’un grand surmenage professionnel. Une fatigue qui m’a fragilisé et m’a rendu vulnérable aux infections.
Mais j’ai une mission, ayant pris l’engagement lors des dernières élections de donner le meilleur de moi-même au pays. Aussi je ferai tout pour aller jusqu’au bout.
L’état de santé de l’économie inspire des inquiétudes. Le tableau de bord contient des indicateurs qui virent au rouge.
Oui, la situation au niveau international s’est détériorée et on ne peut l’ignorer. Maurice devra tenir compte de trois facteurs importants qui peuvent nous affecter localement.
1. La situation géopolitique à travers le monde est devenue explosive.
2. La crise financière de 2008 n’ayant jamais été résolue, l’implosion du système monétaire international est à craindre.
3. L’avidité de l’homme a mis en péril l’environnement, entraînant des changements climatiques qui menacent la production alimentaire mondiale.
L’environnement international est devenu hostile alors que le pays est hautement dépendant des marchés étrangers. Nous avons le choix : ou nous jouons à l’autruche ou nous nous préparons d’urgence à affronter cet environnement nouveau.
Sur le plan intérieur, quels sont les facteurs de risque ?
On a moins de visibilité en matière de planification. C’est la théorie du cygne noir : il y a toujours un événement imprévisible qui peut venir tout bouleverser. Exemple : le jugement dans le procès de Pravind Jugnauth a affecté énormément le gouvernement. Parce que Pravind est le prochain Premier ministre du pays. Ce qui lui arrive ne peut qu’influencer notre état d’esprit. Nous avons été déstabilisés par l’affaire. C’est normal, en tant que leader du plus grand parti de l’alliance Lepep, il est incontournable.
Gouvernement déstabilisé, dites-vous ? Cela compromet les projets annoncés ?
Pas les projets, mais l’atmosphère. Le jugement contre Pravind a modifié la donne.
Un certain pessimisme se dégage de vos propos...
Moi, pessimiste ? Non, prévoyant. Mon message pour 2016 est clair et net : plan for the worst and hope for the best. Nous devons pouvoir faire face à tout événement imprévisible, c’est la meilleure façon d’éviter qu’on ne devienne un gouvernement de pompier toute l’année.
Le décor dans lequel évolue l’économie internationale est sombre. Vous gardez tout de même l’espoir que Maurice deviendra une puissance régionale ?
Nous sommes à la croisée des chemins. Le taux de croissance économique piétine autour de 3 % depuis dix ans, ce qui fait que nous sommes pris dans la trappe des pays à revenu moyen. On ne peut sortir de cette trappe qu’en augmentant la croissance économique, d’où la nouvelle stratégie dégagée dans le dernier Budget. Cette nouvelle stratégie vise à faire passer le taux de croissance à 5 %-6 % afin de nous permettre de passer au stade de pays à revenu élevé.
Votre mission est de réinventer l’économie. Décrivez-nous votre feuille de route.
Elle se résume en trois lignes directrices.
1. Faire de Port-Louis la plus grande zone maritime de la région.
2. Développer l’économie océanique.
3. Assurer une présence accrue en Afrique.
Effectivement, vous misez beaucoup sur l’Afrique depuis que vous gérez l’économie nationale.
L’Afrique, c’est le continent de demain, incontournable si nous voulons devenir une puissance régionale. Maurice s’est bâti une solide réputation en Afrique et est très demandé par plusieurs gouvernements pour une coopération G à G. C’est ainsi que le Ghana, le Sénégal, la Zambie, Madagascar parmi d’autres, nous ont approchés pour des programmes de coopération où l’île Maurice partagera avec ces pays son «know-how».
Nous allons produire du sucre au Kenya. Au Ghana, ce sera le sucre et le poulet notamment. À Madagascar, le maïs. Au Sénégal, nous construirons des facilités pour le warehousing dans la zone économique proche de l’aéroport.
Pour protéger les investissements mauriciens en Afrique, nous avons négocié à Washington, avec MIGA, la branche assurance de la Banque mondiale, pour une couverture des risques politiques et de non-transfert de devise s. Nous allons envelopper nos investissements d’un maximum de sécurité avec le soutien d’institutions internationales.
Êtes-vous satisfait que toutes les conditions soient réunies pour que ce rêve africain se matérialise ?
Pas toutes. Il reste à améliorer la connectivité. Ce qui implique la mise sur pied d’une ligne maritime régionale. En ce qui concerne des liaisons aériennes, Changi canalisera les hommes d’affaires asiatiques vers Maurice et c’est à MK de les acheminer vers l’Afrique. Avec Megh Pillay à la tête de MK, je n’ai pas de doute que les choses avanceront. Après le corridor financier et le corridor aérien, vient s’ajouter l’impératif d’une infrastructure de télécommunication régionale.
Quelles sont les retombées de cette stratégie africaine en termes d’emplois pour les Mauriciens ?
Le potentiel est énorme. Il s’agit d’exporter le savoir-faire que nous possédons. Beaucoup de Mauriciens vont travailler en Afrique.
Sur le plan intérieur, votre projet le plus important, la création de 13 «smart cities» inspire beaucoup de scepticisme.
Je dois assurer tous ceux qui ont des doutes qu’il est hors de question de jeter du béton partout ou de créer des villes fantômes. C’est un projet qui va déterminer le paysage mauricien du prochain siècle. Les smart cities, c’est la bande-annonce de ce que sera le pays demain en termes de protection de l’environnement, de production énergétique autonome et de qualité de vie. On procédera lentement parce qu’on engage le pays sur le très long terme.
Comment seront financées les «smart cities» ?
L’État mauricien a pris l’engagement au Parlement de réduire la dette publique à 50 % du PIB en 2018. Je dois honorer la parole donnée. Non seulement on ne peut contracter de nouvelles dettes, mais on devra aussi faire l’effort de réduire la dette de 54,5% à 50 %. Les smart cities seront financées par des investissements privés locaux et étrangers.
Vous devez néanmoins affronter des contraintes politiques. Sur le terrain, il y a de l’impatience.
On me parle de création d’emplois. Mais personne ne parle de préservation d’emplois. Saviez-vous que la crise BAI et celle de la MPCB mettaient en jeu le sort de 750 salariés. Je suis parfois choqué par la situation qui prévaut dans certaines institutions publiques, mais la priorité reste la préservation d’emplois. Exemple : l’État verse Rs 4 millions de fonds publics chaque mois pour couvrir les pertes des Casinos. Malgré ces pertes, les employés revendiquent leur 14e mois !
Financer des emplois non-productifs, ce n’est pas économiquement sage…
La paix sociale a un prix. En attendant que les développements s’accélèrent, nous faisons tout pour protéger l’emploi. Autre mesure de transition : la PSC est en train de remplir actuellement le maximum de postes vacants.
Si le deuxième miracle économique a lieu, les emplois fictifs disparaîtront. C’est la promesse que vous faites.
Miracle économique ? Pour faire un enfant, il faut deux personnes… pour faire un miracle économique il faut une nation entière, et on n’en est pas encore là. Miracle ou pas, nous sommes là pour encourager, jeter des bases et donner des facilités. C’est à la nation de prendre son destin en main. Ayons le sens de l’effort, du travail et de la discipline.
Les premières étapes pour la préparation du Budget 2016 sont enclenchées. À ce stade, que pouvez-vous dire du nouveau Budget ?
2015 a été l’année du secteur privé. À tel point que l’opposition dit que je suis l’homme du secteur privé. Cela ne me gêne nullement, sachant bien que j’ai toujours été l’avocat des pauvres. Sans secteur privé, il n’y a pas d’emplois, pas de production. Nous devons travailler ensemble. Le gouvernement est là pour ouvrir les vannes de l’investissement et lutter contre les blocages administratifs. Je note que l’aura du PM et la «Vision 2030» ont amplifié la confiance des investisseurs.
2016 sera l’année des PME et des jeunes. Le Budget sera axé sur ces deux thèmes. Mon message aux jeunes, c’est de se tourner vers les secteurs d’avenir. Sur Facebook, je vois déjà le sens de l’initiative des jeunes. Ils utilisent la plateforme Internet pour faire du business.
Pour les PME, je dois dire que MyBiz, un one-stop shop dédié aux petits et moyens entrepreneurs, a un succès fou. Il y a une effervescence nationale. Le Budget viendra accentuer cet élan. Nous recevons déjà100 demandes par semaine en moyenne à MyBiz.
Que prévoyez-vous contre les blocages administratifs ?
Les blocages administratifs sont devenus un parcours du combattant pour les investisseurs. La corruption est aussi un problème majeur qui bloque le système. Ce qui est en cause, c’est le pouvoir de certains de monnayer leur signature. Combattre la corruption n’est pas chose facile.
Nous avons pris l’engagement avec la Banque mondiale d’être parmi les 15 pays de la planète en matière de facilités d’investissement. Qui dit facilités d’investissement dit moins de corruption. C’est un vaste programme où le maximum de demandes de permis et de licences seront prises en charge par une plateforme e-government gérée par le Board of Investment. Les demandes seront traitées et approuvées en ligne. Quand ce ne sera pas possible en ligne, la décision finale sera collégiale et non individuelle.
Vous savez, un Town Planner qui rejette votre demande pour un permis en vous disant «mé kapav diskité» ira en prison. Mais son successeur fera la même chose car le système reste le même et c’est le système qu’il faut changer. La répression n’est pas une solution. Il s’agit de traiter le problème à la racine. C’est-à-dire changer les systèmes qui facilitent la corruption. De plus, toutes les autorisations requises pour un projet donné seront désormais traitées en simultané.
Un commentaire sur l’affaire Yihai, le groupe chinois qui compte investir dans la smart city du Domaine Les Pailles ?
Laissons faire l’ICAC. S’il y a un coupable, que la justice suive son cours. Il faut juste traiter le dossier en priorité car nous parlons d’investisseurs étrangers, d’investissements étrangers et surtout de confiance.
Pensez-vous que le fonctionnaire mauricien a l’attitude qu’il faut pour faire redémarrer l’économie ?
La fonction publique à son plus haut niveau est paralysée. Les cadres ont la frousse parce que chaque fonctionnaire qui apporte ses initiales à un document peut finir en prison. Un père de famille ne peut pas opérer si chaque signature peut l’envoyer en prison. Le PoCA est une loi scélérate qui demande à être abrogée ou amendée en profondeur.
Au Conseil des ministres, regardez-vous tous dans la même direction ?
L’esprit d’équipe est très important si nous voulons accomplir la mission qui nous a été confiée par la population. Un collègue qui blesse un autre collègue blesse tout le gouvernement.
Avez-vous consenti à modifier les termes du traité fiscal comme réclamé par l’Inde ?
Les négociations techniques du comité mixte qui ont eu lieu du 1er au 3 mars se sont terminées en eau de boudin. Le Premier ministre Modi avait dit que rien ne sera fait pour nuire à Maurice. Or, la délégation de techniciens qui était à Maurice voulait que nous acceptions toutes ses conditions. J’ai proposé qu’on laisse le traité intact pendant ces 13 mois qui restent avant l’entrée en vigueur du GAAR pour éviter une situation diplomatique embarrassante. Ils ont refusé. C’est fini. Je ne signe pas.
Quel avenir voyez-vous pour le Global Business mauricien ?
Cessons de nous accrocher à quelque chose qui a fait son cycle. Le DTA indien, cela a représenté 34 ans de bonheur. Mais le monde devient plus transparent. Il faut désormais bâtir le Global Business sur des bases nouvelles du clean business. Pour notre offshore, le premier souffle est venu de l’Inde. Le second souffle viendra de l’Afrique. Avec ou sans traité, le Global Business a un avenir.
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