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Fête nationale: douze regards de femmes sur Maurice

 

La Journée internationale de la Femme et celle commémorative du 48e anniversaire de l’Indépendance du pays sont à quatre petits jours d’intervalle. L’occasion était trop belle pour ne pas interroger 12 femmes plus ou moins anonymes mais qui, chacune dans son domaine respectif, apporte une petite contribution au développement du pays et de leurs concitoyens et pour qui Indépendance rime avec progrès, liberté et égalité.

 

MADAM MALA, RESTAURATRICE «L’Indépendance, une des meilleures choses pour la femme»

Ses yeux témoignent de la détermination qui l’anime depuis plus de deux décennies. Sarojeenee Moorghen se décrit comme étant une femme indépendante. Voilà 20 ans qu’elle a ouvert son «petit» commerce. À l’époque, c’est une tabagie qu’elle fait construire dans le quartier où elle a pris naissance, à Roche-Bois. Entre-temps, elle propose ses services de couturière aux habitantes de la région. Mais ce qu’elle préfère, c’est la cuisine.

Elle finit par ouvrir son restaurant qu’elle appelle Mala Restaurant. «Je n’ai jamais pu m’occuper uniquement de la caisse. (…) Je cuisine et je gère le restaurant», confie-t-elle en nous offrant son plus beau sourire.

Pour Madam Mala, ces 48 ans d’indépendance de son pays sont autant d’années qui l’ont aidée à devenir une femme à part entière. «J’ai été mariée et séparée. Mais cela ne m’a pas empêchée d’avancer. Pour moi, l’indépendance c’est une des meilleures choses que peut détenir une femme et je pense que le gouvernement ne fait pas assez…»

L’État devrait, soutient Sarojeenee Moorghen, s’attaquer à la violence domestique. Un problème qui, selon elle, assujettit souvent des femmes.

SULTANA KOOTBALLY, TRAVAILLEUR SOCIAL «La mixité, on la vivait tous les jours»

Elle n’avait que quatre ans lorsqu’on avait hissé le premier quadricolore au Champ-de-Mars. Sultana Kootbally, 52 ans, a grandi à Pamplemousses, dans une de ces grandes demeures coloniales où plusieurs familles vivaient autour d’une cour centrale. «La mixité, on la vivait tous les jours. On connaissait les fêtes et les traditions des autres communautés. D’ailleurs, on ne parlait pas en termes de communauté à l’époque. On était tous membres d’une même famille. On veillait les uns sur les autres», se remémore-t-elle.

Cette vie communautaire l’a logiquement conduite vers le social. Elle s’est associée avec les femmes de son quartier pour créer, en octobre 2006, une association féminine, l’Al-Waadjdah Ladies Welfare. Le but étant d’aider d’abord les femmes à prendre leur destin en main. «Il y a une mauvaise image de la femme musulmane à Maurice. La femme musulmane est aussi indépendante que Maurice. Elle est épouse, mère, professionnelle et le ciment de la société», explique-t-elle. Son combat aujourd’hui est de recadrer les jeunes.

 

GEORGETTE WONG KENG, VENDEUSE «Les célébrations pas comparables»

Tout comme sa propre indépendance est importante, Georgette Wong Keng est d’avis que l’Indépendance du pays est également primordiale. Dans la mesure où elle assure la liberté des citoyens. Elle se souvient encore de l’accession du pays à l’Indépendance le 12 mars 1968. «Je m’y étais rendue en compagnie de celui qui était mon fiancé à l’époque.» En 1968, les célébrations de la fête nationale n’étaient «pas comparables à celles qu’on connaît de nos jours», lance-t-elle.

Âgée de 68 ans, Georgette Wong Keng est vendeuse au magasin Lotus d’Or, à Port-Louis, depuis bientôt 50 ans. Pourtant, elle s’était intéressée au métier seulement pour l’expérience. Mais elle a fini par y faire carrière. Cependant, l’heure de la retraite a sonné pour la sexagénaire qui compte s’arrêter pour les 50 ans du magasin, en novembre.

 

SANGEETA RAJKUMARI, CRESSONNIÈRE «Avan lindépandans nou pas ti mizer»

On distingue sa voix rauque dès l’entrée principale du marché de Port-Louis: «Bred kréson ! Bred kréson !» Sangeeta Rajkumari, 53 ans, ne recule devant rien. Elle est l’une de ces nombreuses femmes anonymes qui contribuent au développement du pays. La fête de l’Indépendance, pour cette cressonnière, représente tout simplement la liberté. «Avan lindépandans, nou pas ti mizer. Mo kontan Moris inn évolié, népli kouma lontan aster», dit-elle.

Avec une pointe de fierté, elle ajoute qu’elle est aussi libre que le pays. Pour cette habitante de Moka, ne dépendre de personne est ce qu’il y a de plus important. Et cette leçon, elle l’a apprise à ses dépens. Car lorsque survient le décès de son époux maraîcher il y a sept ans, c’est elle qui prend la relève.

Mère de deux enfants, Sangeeta Rajkumari change alors radicalement de vie. Était-ce difficile, pour une femme, de se faire une place au marché ? «Pa ti fasil mé aster monn vinn enn fwet dan travay-la.»

 

PATRICIA YUE, CHARGÉE D’ONG «J’ai senti que je pouvais faire beaucoup plus»

Son travail, c’est sa passion. Patricia Yue, assistante directrice de la Fondation pour l’enfance de Terre de Paix, s’occupe de jeunes en difficulté depuis…«euh, je ne sais plus depuis combien de temps exactement…13 ans…»

Quand Patricia Yue se met à parler de sa passion, il est très difficile de l’arrêter. Ancienne fonctionnaire au ministère de la Jeunesse et des sports et formée en travail social à l’université de Maurice, elle a préféré abandonner le secteur public.

«J’ai senti que je pouvais faire beaucoup plus pour les jeunes. C’est ainsi que j’ai rejoint Terre de Paix.» Autrefois, c’est dans la région d’Albion qu’elle était plus connue pour son travail. Mais depuis quelque temps, elle est tantôt à Grand-Baie, tantôt à Flacq ou à Bambous ; bref, là où il y a des centres tombant sous la responsabilité de la fondation.

Et combien de temps par semaine consacre-t-elle à ce travail ? «Du lundi au vendredi, mais bien souvent il y a des rencontres avec des parents ou des sorties pendant le week-end.»

La Fondation pour l’enfance de Terre de Paix s’occupe des enfants placés dans des familles d’accueil. Il y a également ceux qui fréquentent l’Atelier du savoir. D’autres sont au Centre d’éveil et de développement pour les jeunes enfants et les parents.

 

SHARDA BOODOO, WOMAN CHIEF INSPECTOR «On doit être fier de notre pays»

Pour la Woman Chief Inspector (WCI) Sharda Boodoo qui exerce comme Police Prosecutor au tribunal, la fête de l’Indépendance est une occasion de voir, en tant que citoyen, ce qu’on peut faire et apporter comme contribution pour le progrès de notre pays. «En tant que Mauricien, on doit être fier de notre pays. Toutes les communautés vivent en harmonie. Il est important de préserver cela.» Sharda Boodoo compte 26 ans dans la force policière. Cette habitante de Port-Louis et ancienne élève du Queen Elizabeth College a fait ses débuts au poste de police de Plaine-Verte. Détentrice d’un BSc Police Studies, elle a vite gravi les échelons. En 1997, elle est promue au rang de sergent et en 2001 à celui d’inspecteur avant de passer chef inspecteur en 2014. En 2004 et 2007, elle remporte le Quality Customer Care Award organisé par le ministère de la Fonction publique.

 

DEBORAH DE CHAZAL, DIRECTRICE EXÉCUTIVE DE LA MWF «J’utilise mon expérience pour faire avancer les choses à Maurice»

Elle est arrivée à Maurice sept ans après l’accession du pays à l’Indépendance. C’est à cette époque que Deborah de Chazal, mariée à Jean Paul de Chazal, a rejoint la Mauritian Wildlife Foundation (MWF). Depuis, elle œuvre, avec son équipe, à préserver les espèces indigènes du pays. Aujourd’hui à la tête de la MWF en tant que directrice exécutive, Deborah de Chazal soutient que c’est un privilège pour elle de pouvoir contribuer à la préservation de la biodiversité de Maurice. «J’utilise mon éducation et mon expérience pour faire avancer les choses à Maurice, en termes de conservation du patrimoine écologique», indique celle qui est née à Londres mais qui a grandi à Kuala Lumpur

À la MWF, l’on constate que Deborah de Chazal dirige plusieurs projets… Son travail consiste, entre autres, à réunir différents talents pour travailler dans divers domaines. Mais ils doivent tous avoir le même objectif: «La préservation des animaux et des plantes endémiques de la République de Maurice.»

«Nous aidons à attirer l’attention sur l’importance cruciale de maintenir un écosystème sain. Ce qui est essentiel pour les animaux, les plantes et les humains pour survivre. Par-dessus tout, les plantes et les animaux que nous protégeons ne se trouvent nulle part ailleurs. Ils sont 100 % mauriciens et c’est un patrimoine unique pour les générations futures !»

GISÈLE PERRINE, TRAVAILLEUR SOCIAL «Je ne pourrais rester les bras croisés»

«L’indépendance de mon pays signifie que là où je suis, je dois apporter ma contribution pour l’avancement de toute la nation.» Et c’est exactement ce que Gisèle Perrine s’est évertuée à faire durant plus de 20 ans. Elle aide les familles, les femmes et les enfants dans le besoin. Tout a commencé quand Gisèle Perrine s’est installée dans un appartement de la National Housing Development Company, dans la zone résidentielle Alpha-Concorde, à Camp-Levieux, Rose-Hill. «En assistant à des séances d’entraînement physique, je me suis rendu compte à quel point certaines familles vivaient dans la pauvreté. Et je me suis dit que je ne pourrais rester les bras croisés même si je devais sacrifier ma famille pour cela.» C’est au sein de l’Association féminine de Camp-Levieux que Gisèle Perrine va mettre ses connaissances en broderie et en cuisine au service des femmes de la région. Elle sera ensuite membre fondateur de la Fédération de l’union des femmes des villes sœurs. Depuis 19 ans, Gisèle Perrine milite au sein de cette association. Elle s’occupe également des enfants dont les parents sont divorcés depuis 13 ans. Cela, à travers un mouvement scout.

MEENA PARAPEN, COMMERÇANTE «Monn souflé poukni mwa»

S’il y a bien un visage que personne ne rate à la rue St-Georges, à Port-Louis, c’est bien celui de Meena Parapen. Dans la petite tabagie «laport rouz», sise à l’angle des rues Brown-Séquard et St-Georges, elle ne fait pas que servir des boissons gazeuses et des cigarettes à ceux qui viennent frapper, à l’aide d’une pièce de monnaie, à la petite vitrine fourre-tout située à l’entrée.’

Meena, comme tous ceux qui la côtoient l’appellent, a toujours quelque chose à raconter même si elle ne connaît pas la personne. Même si elle a l’air toujours sérieuse derrière ses lunettes, c’est finalement une dame très sensible, qui s’inquiète pour tous ceux autour d’elle, que l’on découvre au fil de la conversation.

Quand nous l’avons rencontrée hier à la mi-journée, pour cet article, elle ne voulait pas en croire ses oreilles. «Ou pou met mwa lor zournal pou lindépandans la ? Ou koné, bann gran magazinn Fransé osi inn met mo foto kan zot inn vinn fer réportaz isi», confie-t-elle.

Au fil de l’entretien, Meena, qui est originaire de Vacoas, raconte qu’elle a fréquenté l’école primaire de La Visitation avant de poursuivre ses études secondaires jusqu’à la Form V au collège Bhujoharry. Elle sera par la suite admise au collège Tennyson, qui se trouvait à l’époque à l’emplacement d’Orchard Centre, à Quatre-Bornes. C’est toute fière qu’elle ajoute : «Mo ti mem kolez ki zournalis Henri Marimootoo, mé li pli tipti ki mwa.» Aujourd’hui, Meena se dit contente du progrès accompli par le pays en 48 ans.«Ou koné, mwa mo ti souflé poukni (NdlR : un petit tuyau en métal utilisé dans le passé pour attiser un feu de bois). Kan mo ti al lékol, mo’nn fer dévwar avek lalanp pétrol», fait-elle ressortir.

Le fait d’avoir une femme présidente témoigne de l’avancée du pays. «Mo kontan sa Ameenah Gurib-Fakim-la mo dir ou. So figir mem kan ou get li lor télévizion dir ou li enn dimounn inosan.»

NOUREZA ISMAËL, MARCHANDE «Péna okenn métié zom ki madam pa kapav fer aster»

À 8 heures tapantes, elle est déjà là. Avec ses longues tresses, une chemise trop large et un pantalon… on la croise souvent du regard à l’entrée de Port-Louis, une boîte posée sur les genoux. Ce petit bout de femme, telle une peau-rouge, c’est Noureza Ismaël.

À chaque fois qu’on passe à ses côtés, elle susurre des phrases qu’on n’arrive pas à comprendre. Une façon à elle d’attirer les regards des clients sur ses marchandises : des mouchoirs.

À 40 ans, Noureza Ismaël, habitant un faubourg à Port-Louis, enfourche chaque matin, et ce depuis 20 ans, sa bicyclette pour se rendre sur son lieu de travail. Elle y est même les dimanches et les jours fériés. D’ailleurs, avec le temps, dit-elle, elle s’y est habituée. Elle raconte qu’elle devait faire ce métier car les autres ne lui convenaient pas. Elle ne pouvait pas rester à la maison à ne rien faire, indique-t-elle. Noureza Ismaël, qui a vu défiler toutes les tranches d’âge, croit dur comme fer qu’homme et femme peuvent avoir les mêmes compétences. «Péna okenn métié zom ki madam pa kapav fer aster», soutient cette marchande ambulante.

Debout toute la journée à vendre ses mouchoirs, celle qui exerce un travail majoritairement destiné à un homme affirme ne plus être la risée des passants. «Aster, dimounn respekté mwa.»

PREMILA SAMINADEN, SURINTENDANTE DE LA PRISON DES FEMMES «Le jour de l’Indépendance est pour le peuple»

Certains peuvent penser qu’occuper le poste de surintendante de la prison des femmes est un travail ingrat… Mais pour Premila Saminaden, c’est toute une vie. «Il est évident qu’une femme est plus apte à comprendre certains problèmes. Elle écoute autrement», indique-t-elle.

Pour Premila Saminaden, les 48 ans d’Indépendance de Maurice signifient le progrès et l’avancement du pays. «Pour qu’un si petit pays arrive là où il est en moins d’un demi-siècle, c’est un exploit», dit-elle. «Mais c’est dommage que la fête nationale reste très institutionnelle. Pourquoi ne pas avoir des fêtes de quartiers qui mettraient à contribution tout le monde ? Le jour de l’Indépendance est pour le peuple et cela doit se voir dans les rues.»

En outre, à en croire la surintendante de la prison des femmes, qui a gravi les échelons au fil des décennies, elle incarne la femme indépendante à 100 %. «J’ai mon travail où j’évolue sans contraintes. (…) Je mène la vie que j’ai toujours voulu avoir tout en imposant le respect. Cela doit être le cas de tout le monde. »

NORA FRANÇOISE, DIRECTRICE D’UNE SOCIÉTÉ D’ÉVÉNEMENTIEL «L’unité malgré la différence»

Après avoir exhibé son talent de danseuse sur plusieurs scènes locales au sein du groupe familial Mo mam twa, Nora Françoise, qui est tout aussi douée de ses mains, rafistolait et bricolait. Mais le rythme bouillonnant dans son sang, cette danseuse devenue chorégraphe a constitué sa troupe de danseurs et fondé sa compagnie, qui propose aux hôtels des spectacles clé en main.

Aux derniers jours de Mo mam twa, qu’elle avait ressuscité entre 2000 et 2006, Nora Françoise a pris un poste de directrice d’animation dans un hôtel mauricien aux Comores. Bien qu’elle ait eu du mal à asseoir son autorité auprès d’un personnel presque exclusivement masculin, cette affectation lui a permis de toucher du doigt la direction.

Et à son retour à Maurice, elle a lancé In-Ovart Ltd, sa compagnie qui comprend une trentaine de danseurs qu’elle dirige d’une main de maître, et réalise pour eux des costumes de scène et même des décors. Et depuis une quinzaine d’années, Nora Françoise propose des spectacles complets à une dizaine de palaces, dont trois sont réguliers.

Sa plus grande satisfaction est d’avoir pu employer différents artistes. L’indépendance du pays, pour elle, c’est «l’unité malgré la différence. Et puis, en tant qu’artiste, l’art est un moyen de regrouper les différentes cultures et expressions artistiques. C’est un petit bonheur qu’on partage en tirant autant de plaisir à donner qu’à recevoir».