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Bandes-son et micros cachés: grosse explosion, petits résultats

26 mars 2016, 22:00

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Bandes-son et micros cachés: grosse explosion, petits résultats

 

  • La bande-son de Soobhany sera-t-elle acceptée en cour ?
  • Sir Bhinod Bacha commente pour la première fois la cassette de son procès
  • Dhiraj Khamajeet n’a toujours pas digéré

C’est une bande-son qui a fait tomber Raj Dayal ; une conversation enregistrée à son insu. Ce n’est pas la première fois qu’un enregistrement en micro caché défraie la chronique. De sir Bhinod à Khamajeet, en passant par une «tea party» chez Indira Manrakhan, les bandes-son ont causé de véritables ondes de choc auprès de l’opinion publique. Pourtant, avec en toile de fond la recevabilité d’une bande-son en cour, les résultats ont été de moindre ampleur. Pourquoi ? Que disent la loi et la jurisprudence ? Éclairage.

La bande-son enregistrée par Patrick Soobhany n’est pas la première à défrayer la chronique. À chaque fois qu’un élément sonore est enregistré en cachette dans le but d’une dénonciation en public, survient le débat sur «l’acceptabilité» de cet élément en cour. Voici les points sur lesquels porte la confusion :

 Interdiction d’enregistrer une personne à son insu

L’article 12 de la Constitution garantit le droit d’un individu à la liberté d’expression sans qu’il ne soit inquiété pour les opinions qu’il exprime. Dans une décision rendue le 12 décembre 2014, le magistrat Vijay Appadoo interprète cet article de la Constitution comme une interdiction d’enregistrer la conversation d’un individu à son insu. Il présidait le procès intenté à un policier piégé par un citoyen à qui il avait demandé un pot-de-vin. Le citoyen avait enregistré la conversation à l’insu du policier. D’autres lois peuvent aussi être interprétées comme des textes qui interdisent l’enregistrement d’une conversation, par exemple le Data Protection Act qui dans les articles 22, 24 et 25 exige le consentement de tout individu dont les données – une conversation étant une donnée personnelle et confidentielle – sont collectées.

Les exceptions

Ce même article de la Constitution explique, cependant, qu’il y a des circonstances exceptionnelles qui permettent l’enregistrement d’une conversation à l’insu d’un individu. Notamment quand il s’agit de défense, de sécurité publique, de l’ordre public, de la moralité et de la santé publique. La police et d’autres autorités d’investigation peuvent donc procéder à des écoutes téléphoniques dans des enquêtes où cette surveillance est le seul moyen pouvant conduire au flagrant délit.

Une bande-son est-elle donc recevable en cour ?

Contrairement aux idées reçues, il n’y a pas d’interdiction formelle. Dans l’enquête préliminaire de l’affaire Bacha, la magistrate Nirmala Devat-Oogarah avait rejeté une cassette sur laquelle, selon la poursuite, sir Bhinod, accusé d’avoir tué sa femme dans un incendie, faisait part de ses intentions. La raison : l’auteur de l’enregistrement ne s’est jamais manifesté et il n’a jamais pu être établi que la cassette était l’originale et non pas une copie. La poursuite n’a donc pu expliquer qui avait enregistré cette cassette, comment et quand. Elle tape ensuite très fort sur l’écoute téléphonique : «Unrestrained and uncontrolled telephone tapping is simply not consonant with our notion of Proper administration of Justice.» Plus tard aux Assises, le Senior Puisne Judge d’alors, Bernard Sik Yuen, rejetait lui aussi cette bande en la jugeant irrecevable, expliquant que «where secondary evidence is sought to be adduced, a satisfactory account of the non availability of the primary evidence must be given first». En d’autres mots : le secondary evidence comme les enregistrements sont recevables si le primary evidence, par exemple un témoignage, ne pouvait être obtenu. «Mais au-delà du principe général de droit, le magistrat dispose d’un pouvoir discrétionnaire», explique Me Yousuf Mohamed, l’avocat de Patrick Soobhany. «Contrairement à l’affaire Bacha, le témoin affirmera que c’est bien lui qui a enregistré et il expliquera les circonstances de l’enregistrement. Si Dayal nie que c’est bien lui qui intervient sur la bande, il faudra solliciter un expert.» Retour sur les bandes-son historiques.

Sir Bhinod Bacha visite la tombe de sir Gaëtan Duval au lendemain de son acquittement. Son avocat est mort peu avant le non-lieu.

Sir Bhinod Bacha poursuivi pour l’assassinat de sa femme

Dans le milieu légal, c’est un cas d’école. Pour les admirateurs de sir Gaëtan Duval, c’est l’affaire qui fait montre de son talent d’avocat. Le 6 juin 1994, un incendie éclate chez sir Bhinod Bacha causant la mort de sa femme et de son fils. Très vite, il est soupçonné, arrêté et traduit en justice ainsi que trois autres accusés, dont une femme, Joyce Castellano. Au coeur du procès : une cassette. La poursuite insiste qu’il s’agit de sir Bhinod Bacha disant ceci : «Mo pou koup koup li kouma tilapia mo pou zet dan larivier.» La poursuite fait appel à un Allemand, expert en acoustique et phonétique, le professeur Hermann Kunzel, qui jure que les voix sur cette cassette sont bien celles de sir Bhinod Bacha et de Joyce Castellano. Les débats sont virulents. Voici une retranscription d’une des séances de l’enquête préliminaire en cour de Rose-Hill :

Me Beekharry (pour la poursuite) : «Ces deux cassettes sont-elles des copies d’un enregistrement original ?» Pr Kunzel : «Je n’ai pu terminer ma réponse hier. J’avais parlé de copies identiques dans le sens technique du terme et vous m’aviez demandé des détails concernant des ‘faithful copies’. Le mot ‘faithful’ n’est pas un mot technique. Dans ce cas, nous devons reconnaître qu’il existe beaucoup d’‘acoustic events’ sur les bandes, ce qui peut être interprété comme des interruptions du procédé d’enregistrement. Se référant au mot ‘faithful’ une nouvelle fois, je ferai la déclaration suivante : ‘In all the recordings, I have not had a single instance which might have given rise to the suspicion that there had been any tampering with the voices in the sense that (a) some other voices had been used for imitating or (b) any portion might have been split (i.e: cutting and pasting together). My conclusion is that what we have on the tapes is a subset of a prior set of recordings. However it contains the genuine and untampered voices. In normal practice, such tape would be usable in court’». Objection de Me Gaëtan Duval qui réclame que cette dernière phrase soit rayée du dossier. Sir Gaëtan Duval : «All this just for a holiday in Mauritius!» Pr Kunzel : «It is usable in all courts I have been.» Sir Gaëtan Duval : «Shut up!»

Vingt ans après qu’un non-lieu a été prononcé en sa faveur en cour d’Assises, sir Bhinod Bacha pour la première fois revient sur la fameuse cassette. «Oui c’était ma voix», reconnaît-il. «Mais c’est clair qu’il y avait un grossier montage pour me faire dire ce que je n’ai pas dit. Je n’étais pas en colère. Je n’étais pas surpris que mon téléphone ait été mis sur écoute. J’étais juste écoeuré. Jusqu’à ce jour, personne n’a osé revendiquer la paternité de cette cassette et c’est une des raisons pour lesquelles elle n’a pu être utilisée en cour, au-delà du fait qu’il s’agissait d’un grossier montage. J’ai ma petite idée, mais je me garderai bien de colporter des accusations gratuites.»

Les propos controversés de Khamajeet

En septembre 2011, RadioPlus diffuse une bande sonore, résultant d’un micro caché, où le député Dhiraj Khamajeet tient ces propos : «Éna dimounn ki pann mem fer aplikasion, nou nou inn fer zot fer aplikasion lor deadline. Samdi tanto, express, rési fer li rant dan sa séleksion- la. (...) La létan travay pou koumans largé. Séki mo aprann mwa, dan sékirité sosial pou éna impé job, pou éna impé job dan lagrikiltir, pou éna impé job dan lopital. (...) Ek nou pou fer enn lalis ki réflekté parti tavayis, kouma tou létan monn fer mwa. Ek zot pou rémarké ki Dr Ramgoolam dan dernié bidzé, pou nou gagn sa drwa pou pran dimounn dan gouvernman par sak minister, linn dir li pou tir pouvwar ar PSC. (...) Si mwa mo éna 50 job dan mo pos, ki mo bizin fer ? Mo lintéré mwa ? Mo fer politik mwa (...) Li dan mo lintéré ki mo pran job-la, mo donn dimounn ki mo bizin.» Le député présentera ses excuses à la nation 12 heures après la diffusion de la bande mais répliquera avec une plainte contre RadioPlus à l’IBA. Dhiraj Khamajeet prétend qu’il a tenu ces propos sous pression devant un groupe d’agents menaçants devant sa porte. Il demande aussi que RadioPlus soit sanctionnée pour l’avoir enregistré à son insu. La radio, de son côté, plaide l’intérêt public et un article du Code of Ethics de l’IBA qui permet d’enregistrer une personne à son insu comme ultime recours dans l’intérêt public quand d’autres approches ne marchent pas. L’IBA refuse de se prononcer en invoquant l’enquête en cours à l’ICAC.

L’ICAC, elle, n’a jamais pu faire aboutir son enquête puisque RadioPlus a refusé de violer la sacro-sainte règle de ne jamais dévoiler ses sources quand la commission anticorruption lui a demandé d’expliquer qui a enregistré et comment. Quatre ans après, Dhiraj Khamajeet est toujours un peu amer. «Cette semaine, j’ai entendu des gens en parler pour comparer avec l’affaire Dayal. Ce n’est pas pareil. Là je crois comprendre que c’est lui qui avait convoqué le promoteur. C’est faux de dire que pour Khamajeet ‘il n’y a rien eu’. Il faut que vous sachiez que j’ai passé 7 heures à l’ICAC. L’enquête était rigoureuse. Je comprends que Raj Dayal et sa famille passent par des moments difficiles. C’était mon cas aussi. Mais la comparaison s’arrête là.»

La Tea Party chez Indira Manrakhan

En 2009, Radio One diffuse les conversations tenues lors d’une réunion chez Indira Manrakhan, alors assesseur à l’ICAC. Sanjay Bhuckory, Chairman d’Air Mauritius, et Dan Maraye, CEO d’AML, sont présents. Ensemble, ils discutent de Nirvan Veerasamy, le Managing Director d’Air Mauritius. Visiblement, le courant entre ce dernier et son Chairman ne passe pas. Sanjay Bhuckory demande à Dan Maraye de porter plainte à l’ICAC contre Nirvan Veerasamy parce que ce dernier détient toujours des actions chez un des compétiteurs d’Air Mauritius : General Aviation Motors. En fait, Nirvan Veerasamy croit avoir vendu ces actions, mais une des personnes présentes est intervenue au Prime Minister’s Office pour faire bloquer cette vente d’actions. Des phrases comme «bizin met ménot dan so lamé» sont prononcées.

Nirvan Veerasamy est vraisemblablement victime d’un complot en haut lieu. Une tempête médiatique s’ensuit. Indira Manrakhan démissionne de l’ICAC. L’exchef juge sir Victor Glover est chargé de l’enquête censée établir si Indira Manrakhan a agi en dehors de ses fonctions. Il l’exonérera de tout blâme.

 


Le chiffre 1,6 MILLION

C’est le nombre d’abonnements à la téléphonie mobile en 2014. Il y a donc plus de téléphones portables que d’humains à Maurice. Puisque la plupart des téléphones portables sont équipés d’enregistreur, le risque de se faire enregistrer à son insu par un téléphone portable est donc élevé.

 

Le  «Phone-tapper» du NSS a disparu

Où est donc passé le dispositif censé permettre au National Security Service de procéder à des écoutes téléphoniques ? Ce dispositif, un cadeau des USA, aurait disparu au lendemain des élections générales de 2014. Aucune trace. Aucune piste. Et aucun enregistrement !


 

 

Alain Edouard Vs Gassen Dorsamy: ce n’est pas encore fini

Une autre bande-son enregistrée en micro caché a été moins médiatisée ces dernières semaines. Il s’agit de celle qu’a déposée Alain Edouard, le président de la PLMEA, au CCID. Il affirme que Gassen Dorsamy, le directeur de la Cargo Handling, lui a dit qu’il ne le limogerait pas lors du comité disciplinaire auquel il devait faire face s’il respectait certaines conditions. Or, techniquement, Gassen Dorsamy ne devait pas intervenir en dehors du comité disciplinaire. Alain Edouard dit avoir enregistré la réunion et il a déposé une bande-son au CCID. Gassen Dorsamy, lui, nie avoir discuté avec Alain Edouard en dehors du comité disciplinaire. Entre-temps, le syndicaliste a été limogé !