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Philippe Hardy, chairman de Transparency Mauritius: «Les institutions ne jouent pas leur rôle»

6 avril 2016, 18:06

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Philippe Hardy, chairman de Transparency Mauritius: «Les institutions ne jouent pas leur rôle»

En dix jours, deux ministres ont perdu leur poste à la suite de graves accusations de fraude et de corruption. Est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle?

Les deux. D’un côté, c’est rassurant parce que cela prouve que notre démocratie fonctionne. De l’autre, c’est inquiétant car des soupçons de corruption pèsent sur les plus hautes instances de l’État. Mais voyons le bon côté des choses: ces affaires pourraient servir d’accélérateur vers plus de transparence et d’éthique dans la vie publique. Les progrès démocratiques, bien souvent, sont faits en réaction à des scandales. Et les Mauriciens sont de plus en plus exigeants sur la morale publique.

La dénonciation de Patrick Soobhany incarne-t-elle ce «sursaut citoyen» ?

Quelque part, oui. Les whistleblowers exercent une fonction de veille indispensable.

Pas sûr que le gouverneur de la Banque de Maurice partage votre avis…

Le gouverneur est dans son rôle en protégeant le secret bancaire, même s’il a un devoir de réserve. Les lanceurs d’alerte renforcent notre démocratie, à condition qu’ils alertent les instances appropriées.

Sans préjuger des conclusions des enquêtes en cours, voyez-vous un point commun aux affaires Dayal et Lutchmeenaraidoo?

(Il réfléchit) Il y a un sentiment d’impunité, une perte de moralité. Plusieurs affaires ont éclaté ces dernières années sans qu’il n’y ait de véritables sanctions. Cela renforce cette impression d’impunité.

A-t-on accompli un progrès avec la création d’un ministère de la Bonne gouvernance ?

C’est une bonne initiative mais cela ne suffit pas. Pour moi, les institutions ne jouent pas suffisamment leur rôle de vigie. Surpolitisées, elles sont fragilisées et contournées. Si à la tête des institutions clés vous ne placez pas des gens compétents et indépendants, les choses n’avancent pas.

À quelles institutions pensez-vous ?

À aucune en particulier et à toutes en général. Le niveau de défiance des Mauriciens à l’égard des institutions est devenu alarmant. Leur politisation à outrance est un fléau qui affaiblit et qui fait le lit du clientélisme.

Le fait qu’un permis EIA se monnaie en million, est-ce pour vous une nouvelle ?

Je ne crois pas qu’il faut généraliser. Le «tous pourris» est un discours dangereux qui ouvre la voie à toutes les tentations populistes… (On coupe)

Comment ne pas être emporté par ce discours ?

Déjà, en réagissant vite et fort – ce qu’a fait le Premier ministre dans le cas du ministre Dayal. Ensuite, en rétablissant le contrat de confiance entre les décideurs publics et les citoyens. C’est la base de la démocratie. Même si cela ne va pas se faire du jour au lendemain, le renouvellement de la classe politique est plus que jamais indispensable. L’enjeu consiste à «recrédibiliser» les institutions.

Prenons l’analogie d’un match de football : si l’arbitre refuse d’arbitrer les situations délicates, le match va mal tourner. C’est ce qui se passe, l’arbitrage est absent. En plus, l’arbitre est désigné par l’une des deux équipes.

Dans plusieurs pays, Transparency a pris l’habitude d’envoyer un questionnaire aux candidats avant chaque élection. Elle leur demande s’ils sont prêts à rendre publique leur déclaration de patrimoine, d’intérêts et de revenus, et elle met en ligne les réponses pour que les électeurs puissent en tenir compte dans leur choix. N’est-ce pas une idée ?

On y arrive petit à petit. Aux dernières élections, nous avions demandé aux entreprises donatrices d’exiger une transparence sur les fonds distribués pour qu’elles sachent où va l’argent.

Sur la déclaration de patrimoine, pensez-vous que les candidats joueraient le jeu ?

Ils ont tout intérêt à le faire. L’exigence de transparence augmente, ce critère va peser de plus en plus dans le choix des électeurs. Et puis, tout va plus vite. L’information circule en temps réel. Il n’y a aucune chance que nous allions vers plus d’opacité.

Qu’est-ce qui vous fait dire que l’exigence de transparence augmente ?

Je le vois lors des campagnes que nous menons sur le terrain, surtout auprès des jeunes. Ils expriment tous la même intolérance à la corruption. On l’a vu aussi aux dernières élections : les objectifs de transparence et d’intégrité ont été affirmés et affichés comme des priorités.

Mais aujourd’hui les «nettoyeurs» sont perçus comme des «salisseurs»…

Parce qu’il y a souvent un fossé entre les intentions affichées et le résultat final. Prenez le Freedom of Information Act : cela fait dix ans qu’on en parle mais c’est toujours au stade de promesse. Les électeurs sont en droit de savoir comment leurs élus utilisent l’argent public, sur quels critères les contrats sont alloués, afin de disposer d’une véritable traçabilité. Même chose pour le financement des partis politiques. Ce sont les deux priorités.

Une nouvelle loi anticorruption est-elle nécessaire ?

On peut toujours améliorer le Prevention of Corruption Act mais l’arsenal légal est déjà costaud. C’est l’une des raisons qui fait que le pays est relativement bien placé dans le classement Transparency international (NdlR : sur 168 pays notés, Maurice occupait le 49e rang en 2014 et le 46e en 2015).

Vous travaillez dans la finance. Les prêts en euros à 1,5 %, ça court les banques ?

Disons que c’est un taux relativement généreux…