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Secteur bancaire: la SBM dans la tourmente
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Secteur bancaire: la SBM dans la tourmente
Deuxième institution bancaire du pays, brassant des actifs de Rs 136 milliards, la State Bank of Mauritius (SBM Ltd) subit actuellement une succession de crises qui risquent de nuire à sa réputation, voire à sa crédibilité. Il y a d’abord eu les conditions obscures entourant un prêt de 1,1 million d’euros accordé à l’ex-ministre des Finances Vishnu Lutchmeenaraidoo. À présent, c’est au tour des finances de l’institution de créer la polémique, plus spécifiquement ses bénéfices nets réalisés pour la période se terminant au 31 décembre 2014.
Il se trouve que les bénéfices nets ont été surévalués, en 2014, à Rs 3,1 milliards. Résultat des courses: le marché ainsi que les actionnaires, dont le gouvernement qui participe à plus de 50%, ont tous été convaincus que la SBM avait réalisé des profits nets de cet ordre.
Or, la surprise est venue à la fin de la semaine dernière quand les résultats financiers au 30 décembre 2015 ont été communiqués. SBM Holdings, l’entité qui détient toutes les filiales – et dont le Chairman est Kee Chong Li Kwong Wing –, a révisé à la baisse ses bénéfices nets pour 2014 de Rs 1,29 milliard. Ceux-ci se montent désormais à Rs 1,86 milliard.
Raison avancée : des provisions de Rs 1,2 milliard pour des dépenses encourues en 2014. Elles sont principalement liées à l’échec de l’exécution du projet de migration informatique du groupe, connu comme «Flamingo», et aux coûts additionnels relatifs aux initiatives de transformation du business qui ont été passés en charges. La direction de SBM Holdings estime que ces coûts additionnels ne répondent pas aux critères de dépenses en capital sous l’IAS 38 (Intangible Assets ou actifs incorporels).
La différence de l’investissement total dans ce projet informatique, soit Rs 1,2 milliard, a été capitalisée comme actifs incorporels.
Ce projet informatique, négocié par l’ancienne direction auprès d’un consortium de sociétés informatiques étrangères, aurait englouti plus de Rs 2,5 milliards. Les détails y relatifs ont été gardés secrets jusqu’à ce que la nouvelle direction décide de les rendre partiellement publics. Ces informations comptables ont été également relevées par la société d’audit Ernst & Young, qui assure depuis peu l’audit de SBM Holdings. Ernst & Young remplace Deloitte.
LE PROJET FLAMINGO
Il n’est sans doute un secret pour personne que l’actuel Chairman de SBM Holdings, Kee Chong Li Kwong Wing, n’était pas à l’aise avec ce projet informatique baptisé Flamingo, au vu des conditions dans lesquelles l’ancienne direction les avait négociées. Il n’était pas non plus à l’aise par rapport aux investissements financièrement lourds nécessaires pour sa mise en œuvre qui s’est avérée partiellement un échec.
Le nouveau Chairman menaçait jusqu’à tout récemment, nous dit-on, de faire éclater cette affaire qui mettrait en mauvaise posture certains membres de la nouvelle direction.
C’est en 2012 que la direction de la SBM a décidé de se lancer dans ce vaste programme de transformation technologique de tous les services bancaires du groupe. Initialement, ce projet devait être opérationnel en août 2012 mais il a été retardé au niveau de son exécution et sera finalement lancé en septembre de cette année. Un retard considérable de trois ans qui a occasionné des charges financières auprès des fournisseurs de ces services technologiques.
Dans le rapport financier audité du groupe pour l’année financière se terminant au 31 décembre 2015, publié en ligne sur son site, on peut lire à la page 57 à l’article 39(b) que la direction a attribué ce retard d’exécution «aux inefficacités du développement d’un nouveau logiciel informatique dans sa phase de lancement, soit avant le 31 décembre 2014».
La direction ajoute que conformément aux directives préconisées dans le cadre de l’IAS 38, elle a décidé de les passer comme des dépenses. Ces directives excluent la capitalisation des coûts liés aux inefficacités. Celle-ci est considérée comme un ajustement de l’exercice précédent. D’ailleurs, dans le rapport financier de 2014, la direction souligne que «ces surcoûts ont eu lieu durant les années précédentes et devraient être pris en compte en conséquence».
Problématique financière
Panna Jhugroo, expert-comptable, président Mauritius Institute of Professional Accountants (MIPA) apporte son éclairage sur cette problématique financière. Tout en rappelant que les actifs incorporels comprennent un certain nombre d’éléments qui ne sont pas tangibles (goodwill d’une société, droits des actionnaires, services liés à la propriété intellectuelle ou encore à un développement de logiciels), il explique qu’on les capitalise avec l’idée qu’ils vont générer des revenus pour la compagnie à l’avenir. Ces actifs, dit-il, peuvent être acquis ou autogénérés par une compagnie.
Dans le cas précis, l’acquisition d’actifs immatériels, soit la mise en place d’un développement logiciel pour un nouveau projet informatique, n’a pas généré de revenus, selon les hypothèses établies. Au contraire, il y a des surcoûts enregistrés qui ont influé négativement sur sa profitabilité et ses actifs. «Étant donné que c’est une compagnie cotée sur le marché officiel et qu’elle a l’obligation de rendre publics ses résultats tous les trois mois, la SBM aurait dû tirer la sonnette d’alarme dans un de ses rapports trimestriels sur l’échec de l’exécution de ce vaste projet informatique et les incidences que ces Intangible Assets auraient eu sur la performance financière du groupe. Tel n’a pas été le cas», déplore un autre analyste financier.
Les cours boursiers de la banque inexacts
Le prix par action (share price) de la SBM a chuté drastiquement. Du 6 avril 2015 au 5 avril 2016, il est passé d’une roupie à 67 sous, soit une baisse de 33%. Doit-on comprendre que le marché était au courant de ce qui pourrait, à tort ou à raison, être qualifié de «manipulation» de chiffres? Oui, répond un spécialiste, estimant que le cours n’aurait dû baisser que maintenant, suivant l’annonce des profits nets révisés à la baisse pour 2014 et non auparavant…
Pire, soutiennent d’autres spécialistes, beaucoup d’opérateurs se sont plantés dans leur stratégie d’investissements par rapport à ce groupe. «Ils ont investi sur la base des bénéfices nets surévalués pour 2014. Le manque à gagner pourrait être lourd pour certains gros traders», analyse un spécialiste.
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