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Ally Lazer: «Au péril de ma vie, je dénoncerai les barons de la drogue le 18 avril»
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Ally Lazer: «Au péril de ma vie, je dénoncerai les barons de la drogue le 18 avril»
Les dépositions devant la Commission d’enquête sur les drogues s’enchaînent. Quelles sont vos attentes ?
Je suis le premier à accueillir la mise sur pied de la commission. Je l’ai moi-même réclamé à maintes reprises. On a perdu trop de temps. Cela fait 30 ans que la dernière commission présidée par feu sir Maurice Rault avait été mise sur pied. Ce dernier et ses assesseurs avaient fait du beau boulot et ils avaient rendu un rapport solide. C’est dommage que leurs recommandations soient parties aux oubliettes.
Après plus de 50 séances, le président de la commission, l’ex-juge Paul Lam Shang Leen, a eu un coup de sang, menaçant de tout abandonner faute de dénonciation des trafiquants. À qui profitera l’arrêt des travaux de la commission?
Je demande à l’ex-juge de prendre son mal en patience et de ne pas se décourager. C’est au péril de ma vie que je dénoncerai les barons de la drogue à la commission le 18 avril.
Justement, ces barons de la drogue, qui sont-ils ?
Vous seriez étonnée si je vous dévoilais la catégorie de personnes qui introduisent de la drogue dans notre pays. Ce ne sont pas les revendeurs. Bien au contraire, ils ne touchent même pas à ces drogues. Ils n’ont peur de personne et ils ont des facilités. Depuis la mise sur pied de la commission, les statistiques démontrent que la quantité de drogue qui infiltre notre pays s’est intensifiée. Ces marchands de la mort sont conscients qu’avec de l’argent facile, ils peuvent acheter des consciences.
Le profil de ces marchands de la mort diffère-t-il des barons de la drogue des années 70 ou 80 ?
Certainement. Tout comme la consommation, il existe, aujourd’hui, un rajeunissement au sein des trafiquants. Avant, leur profil correspondait à celui d’un ti dimounn, dimounn ninport. Mais aujourd’hui, ce business a changé de mains. Les trafiquants appartiennent désormais à la haute société. Et, autrefois, ils opéraient dans les endroits typiques : Plaine-Verte, Sainte-Croix ou encore Vallée-Pitot. Maintenant, ils sont dans tous les coins et recoins du pays. Je les dénoncerai tous.
Pourquoi certains des témoins qui déposent devant la commission refusent-ils de les dénoncer ?
Je ne les blâme pas. Ils n’ont pas tort. Les trafiquants de drogue ont eu vent de l’identité de certains dénonciateurs anonymes. Je ne suis pas étonné puisqu’il existe des brebis galeuses au sein même de la police.
«UN ÉLÈVE RETROUVÉ DANS UN ÉTAT SECOND APRÈS AVOIR PRIS DE LA DROGUE SYNTHÉTIQUE»
La police ?
Évidemment ! Si après plus de 30 ans, le fléau de la drogue prend toujours de l’ampleur, c’est à cause de la corruption. L’Office des Nations unies contre la drogue nous offre la médaille d’or par rapport à la consommation d’héroïne ! Le comble, nous n’en produisons même pas à Maurice!
Mais l’Anti Drug and Smuggling Unit (ADSU) ne connaît-elle pas l’identité des trafiquants ?
C’est inquiétant. S’il n’y a pas de corruption, c’est la frayeur qui prend le dessus. Il y a une semaine, un haut gradé de la police est venu me rencontrer à mon bureau pour me donner des noms. Vous croyez que cela me fait plaisir qu’il préfère se tourner vers moi pour dénoncer des trafiquants ? Il a avoué lui-même ne pas faire confiance au système et il m’a donné les raisons. Les enquêteurs ont, avant tout, peur qu’un de leurs collègues ne crache le morceau aux trafiquants.
Mais alors, quelle est la solution?
Tout le monde sait où se vend la drogue. Les autorités sont dotées des meilleures technologies, de l’Intelligence Unit, de scanners dernier cri, pour ne citer que ceux là. Il n’y a que deux façons pour la drogue de s’infiltrer dans notre pays, contrairement à l’étranger. Nous avons les chiens renifleurs et malgré tout, ils n’arrivent pas à mettre la main sur les trafiquants ?
Un enfant de huit ans m’a, l’autre jour, orienté vers le lieu où le trafic de drogue se fait. Mais un inspecteur ayant plus de 20 ans d’expérience déclare ne pas être au courant! C’est une blague.
La corruption à tous les niveaux est, aujourd’hui, le plus grand obstacle dans le combat contre la drogue. Depuis que la drogue a été introduite à Maurice, à la fin des années 70, il n’y a jamais eu de pénurie de drogue, ne serait-ce que pour une heure. Il est grand temps que l’État assume ses responsabilités.
Le futur s’annonce-t-il plus sombre avec l’avènement des drogues synthétiques ?
En effet, je suis associé au Centre Idrice Goomany. C’est incroyable le nombre de parents de jeunes qui sollicitent mon aide. Quand j’ai débuté dans ce combat, j’avais affaire aux hommes, aux garçons. Il existe, aujourd’hui, plus de 600 filles, dont la majorité sont encore étudiantes, piégées dans l’enfer de la drogue.
Pire encore, un enseignant du primaire m’a contacté pour me dire qu’un élève du CPE a été retrouvé dans les toilettes dans un état second après avoir consommé de la drogue synthé- tique. C’est alarmant. Ce mal continue à gagner du terrain. Les jeunes préparent de la drogue chez eux, dans les laboratoires des écoles. Ils font toutes sortes de mélanges en se basant sur ce qu’ils lisent sur la Toile mais ils ne réalisent pas que cela risque de leur être fatal.
Vous pensez, comme beaucoup, que la méthode répressive n’a pas de résultat ?
Je suis convaincu que les usagers de drogue n’ont rien à faire en prison. Je ne dis pas qu’ils sont des victimes car ils sont responsables de leur choix. Mais 80 % des prisonniers concernés par la drogue sont les usagers, les consommateurs, alors que 20 % seulement sont les trafiquants. Or, j’aurais préféré que ce soit l’inverse. On doit comprendre que ces personnes sont malades. Elles sont dépendantes et leur place se trouve dans un centre de désintoxication et non pas dans une prison. L’État a le devoir de leur procurer les soins nécessaires pour qu’elles soient productives dans la société. Malheureusement, ce n’est pas le cas actuellement.
Vous affichez un certain pessimisme par rapport à la commission d’enquête. Serait-ce un combat perdu d’avance ?
Sans faire un procès d’intention, je crains que l’histoire ne se répète. La tâche est aujourd’hui plus difficile pour Paul Lam Shang Leem que cela n’avait été pour sir Maurice Rault, compte tenu de la complexité du trafic de drogue dans le pays. C’est un mal qui échappe au contrôle des autorités depuis plus de 30 ans.
Je suis certain que l’ex-juge et ses assesseurs présenteront de bonnes recommandations. Mais, au final, c’est la mise en œuvre des recommandations qui reste primordiale et c’est là où je suis pessimiste.
Malgré tout, je ferai mon devoir, le 18 avril, en dénonçant les barons de la drogue à la commission. Et ce, en tant que patriote, en tant que père et, surtout, en tant que témoin de la souffrance des victimes de ce fléau qui ronge notre pays.
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