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Dr Samuel Lemitre: «L’enfant est ce qu’on lui dit qu’il est»

11 avril 2016, 20:32

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Dr Samuel Lemitre: «L’enfant est ce qu’on lui dit qu’il est»

Ce sont les adultes qui génèrent des individus dangereux, selon le Dr Samuel Lemitre, psychologue spécialisé en criminologie clinique. Ce, parce qu’ils disent à un enfant, quand ils ne savent plus le contrôler, qu’il est dangereux. Un angle d’analyse qui aide à comprendre le problème récurrent des Rehabilitation ou Correction Youth Centres, encore sous les feux de l’actualité.

 

Vous venez d’assurer une formation traitant des mineurs auteurs de violences sexuelles. Mais ici, les mineurs on les enferme pour bien moins que cela, dans des Correctional ou des Rehabilitation Youth Centres. L’enfermement, est-ce une solution pour ces mineurs?

Non, très clairement. C’est l’accompagnement qui est une solution. Effectivement, à un moment donné, il faut pouvoir contraindre des sujets dangereux à une privation de liberté s’ils menacent de manière trop explicite la vie des citoyens. Mais l’autre réalité, c’est que les prisons sont criminogènes.

 

Quand on vit en prison, on est entouré de gens qui partagent un système de valeurs défiant face aux lois. On peut aussi être victime de traumatismes qui vont aggraver le déséquilibre de la personnalité. Du coup, lorsqu’on en sort, on devient peut-être encore plus dangereux que quand on y est entré.

 

La vraie problématique, c’est l’accompagnement. C’est la raison pour laquelle, en France, à la sortie de prison, il y a une série de mesures prises afin de contraindre l’auteur de violences à informer les autorités du lieu où il se trouve et à suivre des programmes d’action d’insertion à la fois sur le plan social, professionnel et psychologique.

 

Vous avez présenté un colloque sur la dangerosité des mineurs… qu’entendez-vous par là?

 

Le sens de mon intervention c’était «dangerosité des mineurs ou mineurs en danger?» Si on voit, en tant que communauté d’adultes, un enfant comme quelqu’un de dangereux, c’est peut-être qu’on doit s’interroger, nous, avant de le montrer du doigt et de le qualifier de dangereux. Car, après tout, peut-être n’avons-nous pas les bons codes pour comprendre sa conduite, ses signaux d’alerte. Peut-être aussi que nous n’avons pas les bons référentiels pour comprendre d’abord que c’est un enfant. Un mineur, on doit essayer de l’écouter, lui donner du temps, le canaliser, l’aider à intégrer un certain nombre de règles. L’échec de cela renvoie plus à une défaillance des adultes qu’à une dangerosité constitutionnelle de l’enfant.

 

Que pensez-vous du concept de «Child Beyond Control», qui permet à des parents d’envoyer leurs enfants dans des centres de réhabilitation?

 

Ce n’est pas comme un abandon, mais c’est presque une façon de légitimer l’abandon quand on est en échec éducatif. Le débat que l’on pose en France, c’est qu’il faut responsabiliser davantage les parents en les contraignant à se faire accompagner, pour qu’on optimise leurs compétences parentales. Ce serait la voie à suivre plutôt que de démissionner et de référer l’enfant à un tiers à qui on confierait son éducation. Derrière, il y a la question de l’attachement, de l’identité, de la filiation. Et un tiers ne peut pas répondre à ces besoins.

 

Dans le transgénérationnel, il se produit quelque chose du côté de l’appartenance, de l’identification et quand on confie un enfant à un étranger, tous ces processus psychologiques qui permettent de construire l’identité sont entravés. C’est faire de ces enfants des sujets en devenir qui seront déstructurés et potentiellement très problématiques pour le social.

Plus on fait comprendre à un sujet qu’il est menaçant et plus il va se constituer une identité autour de ça si on ne lui offre pas autre chose comme alternative identitaire. Donc, nous pouvons générer des individus dangereux parce que nous disons à un petit, quand on ne sait plus le contrôler, qu’il est dangereux.

 

Il n’y a pas de tares génétiques. Par contre, scientifiquement, on a démontré qu’un enfant, qui est en rupture d’attachement, qui n’arrive pas à se situer dans une filiation, dans une descendance, qui n’est pas aimé par ses parents, ni par le social, va se coincer et va devenir potentiellement plus difficile à gérer, plus instable.

 

On produit l’effet inverse de ce que l’on voudrait: en les enfermant avec des gardiens, on les rend encore plus déviants, finalement?

 

Ce qui va permettre à l’enfant d’intégrer le social, c’est l’amour et la disponibilité qu’on va lui accorder. Et des limites évidement. Si un enfant se sent détesté, il va rejeter le social, le système d’appartenance. Si un enfant grandit dans un environnement où on lui dit juste qu’il faut qu’il se tienne tranquille, où il est menotté et où on ne lui donne pas le sentiment qu’il est une personne importante, qu’il peut avoir une place à jouer dans le social, qu’il peut partager un système de valeurs, quand il va grandir, il va se construire en faux face à cela.

 

L’expérience que j’ai c’est que lorsque les sujets sont enfermés, pas soutenus dans leur devenir de citoyens et qu’ils ont le sentiment de ne pas être aimés, ils deviennent potentiellement une menace pour le social. C’est un des éléments clés de l’intégration. Intégrer c’est donner une place. Ce n’est pas exclure dans un coin en attendant que ça passe, parce que cela ne passera pas.

Il y a aussi un élément d’identification important. Si on dit à un enfant qu’il est nul, toute sa vie, sauf s’il a une résilience incroyable, il y a peu de chances qu’il soit très brillant. L’enfant est ce qu’on lui dit qu’il est. Et il devient ce qu’on lui dit qu’il est. Ça c’est un point important parce que tout reconstruire chez lui, c’est du boulot. Alors qu’accompagner la construction, c’est beaucoup plus facile: accompagner l’enfant dans son évolution, lui donner un peu de temps, une attention exclusive de temps en temps, être à l’écoute… tout ce qui est important va venir. C’est beaucoup moins difficile d’accompagner le développement d’un enfant, d’accompagner des parents qui ont des difficultés à être parents et les aider à améliorer leurs compétences parentales, qu’après coup de vouloir tout reconstruire. Plus on s’occupe de quelqu’un et plus on le réhabilite.

 

Mini-bio

 

Le Dr Samuel Lemitre est docteur en psychologie, psychothérapeute et président d’EIDO, centre de soin des traumatismes et des violences à Paris, depuis trois ans. Auparavant, il a travaillé pendant plus de dix ans auprès des mineurs auteurs et victimes d’agressions sexuelles, dans le service du Dr Roland Coutanceau, psychiatre expert spécialisé dans l’approche en criminologie clinique.

 

France 2 a consacré un documentaire, en 2014, «Jeux criminels», à la pratique du Dr Lemitre. Il était à Maurice du 4 au 6 avril dans le cadre d’une formation à laquelle ont assisté une trentaine de psychologues et thérapeutes, du privé mais également du public, comme la Child Development Unit. Cette formation, à l’initiative de laquelle se trouve Pédostop, s’est tenue à l’hôtel Veranda, partenaire aux côtés d’HSBC.