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Jean-Louis Lamboray, cofondateur de l’ONUSIDA : «Il faut voir l’humain derrière chaque séropositif»
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Jean-Louis Lamboray, cofondateur de l’ONUSIDA : «Il faut voir l’humain derrière chaque séropositif»
Pourquoi avez-vous démissionné de l’ONUSIDA?
J’ai participé à la fondation de l’ONUSIDA et j’en suis fier. Fier d’avoir contribué à un programme conjoint des Nations unies car à l’époque, c’était la chose à faire. Mais il me fallait démissionner par principe, car je me suis rendu compte que j’avais échoué à faire passer une méthode de travail que j’avais apprise en
Thaïlande et qui était loin des conférences et administrations.
Lorsque j’étais conseiller en santé pour la Banque mondiale, j’avais mis en place, en Thaïlande, l’équipe interpays qui est par la suite devenue le bureau régional pour l’Asie. J’ai laissé la place à un Asiatique et me suis rendu dans le nord du pays, à Phayao, où un phénomène assez étrange se produisait et que je voulais comprendre. C’était en 1992, on était en pleine épidémie du sida mais dans cette province, l’épidémie reculait. 20 % de jeunes étaient séropositifs et quelques années plus tard, ce taux est passé à 7 %. Aujourd’hui, le taux oscille entre 0 % et 1 %. Les Thaïlandais ont fait la même chose que le reste du monde en termes de service, mais ils avaient aussi accepté d’en parler. Alors que nous, nous entendions parler du sida, ils en parlaient et débattaient en public. Lorsqu’il y a l’acceptation d’un problème, il est plus facile de trouver la solution.
Si j’ai quitté ONUSIDA en 2004, c’est parce que j’ai échoué à transférer cette leçon apprise de la Thaïlande. Je ne suis pas arrivé à ouvrir l’espace pour le dialogue et l’action. Nous ne pouvons gagner cette bataille en organisant des grand-messes et en rédigeant des documents stratégiques nationaux, sans se soucier de la mise en oeuvre.
Mais d’où venait ce blocage qui empêchait vos idées de faire leur cheminement ?
Je vais prendre l’exemple d’une mère célibataire avec trois enfants qui vit dans une situation précaire. Il y a 70 services qui s’occupent d’elle mais à la fin, sa situation ne change pas. Ce qu’il faut, c’est la participation de la femme à ces services car sans son apport, sans savoir ce dont elle a besoin selon elle, personne ne pourra l’aider. Il en est de même pour les épidémies. Tant que ceux qui sont concernés ne seront pas écoutés, rien n’avancera.
Donc comment faire pour gagner cette bataille ?
Déjà, il faut recentrer le débat sur l’humain. Au début de l’épidémie, le préservatif était la solution miracle. Aujourd’hui, ce sont les antirétroviraux. Nous nous sommes toujours cachés derrière les objets sans se concentrer sur l’individu. Peut-être que l’abstinence ou la fidélité seraient une partie de la solution? (rires) Au Botswana, par exemple, ils ont eu le financement pour les trithérapies il y a très longtemps, mais ce n’est pas pour cela que le problème n’existe pas. Tous les processus humains, familiaux ou même spirituels ont été abandonnés alors que la solution se trouve là.
La participation citoyenne consiste à consulter le bénéficiaire sur le programme que nous offrons. Il faut passer du People-Centered Care au People- Led Care.
C’est-à-dire ?
Cette bataille ne pourra pas être gagnée tant que la solution ne sera pas adaptée localement. Parlons d’une autre épidémie. Récemment, il y a eu Ebola. Avec toute la mobilisation internationale, l’épidémie avait quand même progressé. Après, il y a l’exemple du Congo, frappé par sept épidémies qui ont duré moins de trois mois et qui ont fait moins de 300 morts chacune car le contrôle a été laissé aux autorités locales en leur donnant les moyens et la logistique nécessaires.
Si nous ne dotons pas les gens de l’information nécessaire pour augmenter et maintenir leur autonomie, nous arrivons à des catastrophes. Nous avons l’illusion du contrôle. Il ne suffit pas de donner les moyens, il faut aussi prendre en considération l’entraide locale et fonder l’action sur ce que la communauté peut faire pour elle-même, car personne ne peut comprendre une communauté comme elle se comprend.
Est-ce le mode de fonctionnement de l’association Constellation ?
En partant avec mon équipe en 2004, nous avons créé Constellation. Nous ne prêchons pas mais nous apprenons de l’expérience d’autrui. Nous ne donnons ni conseils ni injonctions, nous sommes à l’écoute. Nous n’analysons pas les problèmes, nous ne regardons pas ce qui manque. Nous nous concentrons sur ce qui existe, ce qu’il en est et ce qu’il est possible de faire. Il n’y a pas de rapports ni d’analyses. De là, nous offrons un cycle d’apprentissage continu, dont le but est de voir l’humain derrière chaque masque, derrière chaque utilisateur de drogue, derrière chaque séropositif.
En quoi cette approche est-elle différente ?
Déjà, nous reconnaissons que les enjeux nous affectent. Si nous parlons du sida, nous parlons ouvertement et acceptons que cela nous touche. C’est l’essentiel pour commencer le travail.
Nous incluons les séropositifsdans nos actions. Il n’est pas question de les inviter lors de la Journée internationale de la lutte contre le sida et continuer le travail sans eux le reste du temps. Dès que les personnes concernées participent, il y a un débat. Je reprends l’exemple du Congo, où après un tel débat, plus d’un millier d’habitants ont commencé à parler de leur séropositivité car pour une fois, on s’intéressait à eux en tant qu’humains et non en tant qu’objets d’études.
Malheureusement, beaucoup d’organisations croulent toujours sous l’administration. Est-ce qu’il faudrait former les responsables avant d’attaquer le terrain ?
La prise de conscience du dirigeant est cruciale. Sans un travail d’immersion sur le terrain, personne ne peut se rendre compte du besoin d’un groupe, quel qu’il soit. De plus, ce n’est qu’à travers le terrain que le responsable pourra se rendre compte de la manière d’optimiser les ressources du groupe en question.
MINI-BIO
Cofondateur de l’ONUSIDA, puis de l’association Constellation, Jean-Louis Lamboray est aussi l’auteur du livre «Qu’est-ce qui nous rend humains ?» Il est actuellement à Maurice.
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