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Soleman Hatteea: «Les fonctionnaires mettent trop de temps à répondre aux gens»

23 avril 2016, 17:00

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Soleman Hatteea: «Les fonctionnaires mettent trop de temps à répondre aux gens»

Que fait un Ombudsman au juste ?

Le poste est inscrit dans la Constitution de Maurice. En quelques mots, l’Ombudsman s’occupe des doléances du public concernant les problèmes administratifs dans la fonction publique et dans les collectivités locales, ainsi que l’Assemblée régionale de Rodrigues. Notre bureau mène l’enquête et si on constate que la doléance est justifiée, on fait en sorte de régler l’affaire à l’amiable.

Le ministère sur lequel on enquête doit prendre les mesures qui s’imposent pour remédier à la situation. Si le cas n’est pas justifié ou soutenu, nous écrivons à la personne qui croit que ses droits ont été lésés pour lui dire que la décision de l’autorité concernée était la bonne.

L’appellation ombudsman est d’origine suédoise. Et le modèle mauricien est calqué sur celui de la Nouvelle-Zélande. En revanche, le même poste est appelé autrement dans d’autres pays. Par exemple, en Angleterre, le poste c’est Public Commissioner for administration. En France, c’est le Défenseur des droits. Dans certains pays de l’Europe de l’Est, on les appelle les avocats du Peuple. Au Québec, c’est le Protecteur du citoyen.

En parlant d’appellation justement, le leader de l’opposition a suggéré le 9 avril que l’on remplace votre poste par celui de «Public Protector». Quelle est la différence ?

Je vais seulement offrir un éclairage. La différence se trouve dans les pouvoirs qui sont confiés au Public Protector. En Afrique du Sud, ce poste a été créé après le démantèlement de l’apartheid. À l’époque, le Parlement était souverain. Maintenant, c’est la Constitution qui est suprême.

C’est dans ce contexte que le Public Protector a été investi de certains pouvoirs que nous ne possédons pas. Par exemple, enquêter sur les dépenses de l’État. Chose que l’Ombudsman, ici, ne peut pas faire. Nous avons d’autres institutions qui le font. Il y a le bureau de l’Audit, le Public Accounts Committee.

C’est vrai que le Public Protector a été investi de beaucoup de pouvoirs pour protéger les citoyens. Ce n’est pas une question d’appellation. On peut m’appeler Ombudsman mais me donner plus de pouvoirs. Je suis membre de deux associations : l’African Ombudsman and Mediators Association (AOMA) et l’Association des Ombudsman et Médiateurs de la Francophonie, et le Public Protector de l’Afrique du Sud est membre de l’AOMA, sans aucun problème.

Actuellement, quels sont les pouvoirs que vous avez ?

Les pouvoirs d’enquête et de recommandations.

Vous avez combien de personnes dans votre bureau ?

Nous sommes une douzaine. Il y a un Senior Investigations Officer et d’autres fonctionnaires. Ce n’est pas un très grand bureau mais on fait un gros travail.

Alors, pourquoi tant de discrétion ?

On doit être discret de par la Constitution qui dit que «every investigation shall be conducted in private». Cela ne veut pas dire que l’on est méconnu du public. Je dirai le contraire, eu égard au nombre de doléances que nous recevons. Je suis discret également parce que je veux éviter que des gens malintentionnés aillent voir les plaignants pour leur promettre d’intervenir auprès de moi. Ce n’est jamais arrivé. Personne n’a, ne serait-ce qu’une fois, essayé de faire pression sur moi.

En moyenne, combien de doléances recevez-vous par année ?

Nous recevons des centaines de lettres par an. Une moyenne de 350 nouveaux dossiers sont ouverts chaque année. Cependant, il y a des centaines de cas qui ne tombent pas sous nos compétences, mais nous faisons un suivi.

Qui sont les personnes qui peuvent vous solliciter ?

N’importe qui. Du moment qu’il s’agit d’un problème ayant trait à l’administration dans la fonction publique à Maurice et à Rodrigues. S’il s’agit d’un étranger, je peux considérer une doléance sur la base d’un problème qui s’est passé pendant qu’il était à Maurice.

Quels sont les problèmes les plus récurrents dans la fonction publique ?

Je ne sais pas par où commencer. (Il nous montre le rapport de 2014.) Certaines personnes n’ont pas reçu leur pension, d’autres ont des problèmes avec leurs baux.

Quel est le ministère à problème ?

Ça varie. Il y a beaucoup de doléances. Le problème qui me gêne le plus, c’est la lenteur administrative, c’est-à-dire le temps que les fonctionnaires mettent à répondre aux gens. Souvent, ces citoyens écrivent à ces ministères mais ces derniers prennent des mois et des années avant de répondre.

Je viens de recevoir un cas où une personne a fait part d’une plainte aux Infrastructures publiques depuis 2013 mais ce ministère n’a rien fait. Alors, j’ai fait parvenir une lettre au Senior Chief Executive pour lui demander des explications.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?

Les fonctionnaires ne répondent pas dans les délais accordés. Même à moi ! Je ne les brutalise pas au début. Je leur demande gentiment. Mais si ça ne marche pas, à ce moment je tape fort. Je leur dis que si ça continue, je vais les convoquer et rapporter le cas.

Donc, vous pouvez aussi convoquer les fonctionnaires…

Ah oui ! Bien sûr !

Et s’ils vous ignorent ?

Écoutez, il n’a jamais été question que l’on ne me réponde pas. Généralement, quand je tape fort, ils me répondent. Mais j’aurais voulu ne pas avoir à taper fort.

En ce moment, qu’est-ce qui vous occupe ?

Nous avons un cas où une personne touchait sa pension normalement pendant quatre ans et puis, soudainement, on a arrêté de la lui verser.

C’est juste une impression ou il y a pas mal d’histoires autour des pensions ?

Sur les pensions mais surtout sur la Sécurité sociale. Il y a pas mal de doléances contre ce ministère, qui est un de nos clients attitrés. Les fonctionnaires n’apprennent pas assez leurs leçons là-bas.

Est-ce qu’il y a des suites aux rapports que vous soumettez à la présidence ?

La présidence n’a pas à donner suite à notre rapport. Ce sont les ministères qui sont concernés. La présidence ne fait que prendre connaissance de notre rapport. Ce document est aussi soumis à l’Assemblée nationale.

Le cas des Mauriciens au Canada démontre que vous pouvez initier des enquêtes de votre propre chef et sans plainte reçue…

Oui, nous pouvons le faire. Il y a une quarantaine d’enquêtes que nous initions nous-mêmes chaque année. Je vois des cas dans les articles de presse et je les rassemble. Je considère aussi des lettres anonymes qui méritent notre attention.

Y a-t-il déjà eu des enquêtes sur les travailleurs étrangers à Maurice sur la base de ce qu’ont rapporté les médias ?

Généralement, ces personnes s’adressent au ministère du Travail et ils le font en groupe. Donc, non. Il n’y a pas eu d’enquête.

Est-ce qu’il y a un cas en particulier qui vous a marqué ?

Il y en a eu tellement. Mais c’est surtout les problèmes qui touchent à la pension des gens. Encore une fois, c’est la Sécurité sociale. Mais il y a aussi des cas de prisonniers qui ne sont pas traités comme il faut. On les prive de leur liberté, oui, mais ils retiennent leurs autres droits.

Vous recevez des lettres de remerciements par la suite ?

Énormément. C’est ce genre de reconnaissance que l’on a. Cela nous encourage dans notre mission. Et on fait tout ce qu’on peut pour cela.