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[Vidéo] Drogues dures: le quotidien de ceux qui «fat yen»

22 mai 2016, 22:00

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[Vidéo] Drogues dures: le quotidien de ceux qui «fat yen»

Jeudi après-midi, dans les faubourgs de la capitale. Dans un quartier qui semble avoir été oublié par les autorités. Dans cette cité de la joie perdue, la misère, on la prend en pleine face. Tous les clichés associés à la pauvreté sont bien là : cases en tôle froissée, enfants errant dans les rues, «tabardenn» poussant des gueulantes, adultes désœuvrés, en mal d’attention et d’action. Des volcans prêts à entrer en éruption à la moindre étincelle.

Au milieu d’un terrain vague, l’on joue aux cartes. Mais aussi à un autre jeu. Âgés entre 8 et 11 ans à peu près, des petits «jockeys» font passer les «poket» de drogue. Du «bat dan latet» si l’on se fie aux oreilles indiscrètes que l’on laisse traîner de ce côté-là…

Plus loin, un mouchoir ensanglanté annonce la couleur. Derrière sa bicoque faite de bric, de broc et de bric-à-brac, Marie. Accroupie, pantalon baissé, elle s’injecte une de ses doses quotidiennes de brown sugar, dans le creux de la jambe. Dix secondes plus tard, elle bondit comme un ressort, démonte la seringue, la balance, vient à notre rencontre, un sourire béat et édenté collé sur son visage marqué par les épreuves de la vie. Sur ses bras, ses pieds nus, ses jambes, des taches noires auréolées de gris, comme un morceau de papier qu’on aurait brûlé à l’aide d’une cigarette. Des séquelles physiques causées par des années d’addiction, de «zet dan lavenn».

Mon sey méthadone, pa kapav pran, yak. Gagn vomi ar sa. La, mo pé sey diminyé doz tigit tigit

 

Plus dures à porter : les blessures morales, celles que même le «nissa» ne parvient pas à effacer. «Monn fatigé zanfan, mo anvi sorti ladan», lâche la petite dame attendrissante, âgée de 57 ans. Elle se ressaisit, se recoiffe, nous invite à entrer dans sa maisonnette, impeccablement tenue, sommairement meublée.

Son histoire ? Un roman tragique. Un père violent, une maman qui devait «travay kot Madam» pour les élever, elle, ses frères et ses sœurs. Alors à 8 ans, elle a commencé elle aussi mettre la main à la pâte. «Mo ti pé netoy lakaz dimounn.» Et puis, sont arrivés les «amis». De fil en aiguille, «banla ti pé piké, monn koumansé mo oussi». Marie avait alors 16 ans. Quarante ans et sept années de prison plus tard, opium, brown et autres drogues dures font toujours partie du quotidien de cette héroïne d’un autre genre. «Mon sey méthadone, pa kapav pran, yak. Gagn vomi ar sa. La, mo pé sey diminyé doz tigit tigit

Soudain, un Monsieur caché sous un chapeau de paille toque à la porte ouverte. Il vient réclamer les services de Marie, la «piqueuse». L’amie intime des seringues, qui sait trouver les veines «direk direk, enn sel kout». Interruption momentanée de l’entretien. «Mo vinn donn twa enn touzour ?» lance Marie en direction de l’inconnu.

Reprise. Où, comment obtient-elle de la drogue ? «Mo trasé. Partou gagn sa isi. Kan ban zanfan donn mwa kass pou roul lakaz, mo trik triké», confie-t-elle en riant sous cape. Pour les détails sur les trafiquants, il faudra repasser. «Pa kapav dir sa, danzéré

Et de sortir son sac rempli de seringues déjà utilisées (NdlR, distribuées par les ONG). Avant de s’emparer de son balyé coco et de se mettre à enlever frénétiquement les feuilles mortes qui jonchent le sol en terre rouge. «Bon, mo pé al fer mo louvraz mwa

Cercle vicieux

Elle est maigre comme un clou, haute comme trois pommes, fragile comme le bibelot brisé qui se trouve dans sa case. Mais Marie a tout de même eu cinq enfants. Deux filles qui vivent en France, un fils qui est parti voir ailleurs si l’on a bien compris et deux autres, qui vivent toujours avec elle. «Seki ounn trouvé deor-la li pa trouv kler. Li oussi ti dan la drog, li pé swiv tretman pou sorti ladan

Et puis, il y a le petit dernier (ci-contre). Aldo (prénom modifié) a 22 ans. Il a lui aussi sombré dans l’enfer des drogues dures. Après avoir essayé le sirop contre la toux, les psychotropes, les drogues synthétiques et à peu près tout ce qui permet de planer, il a commencé à se shooter. «Akoz mo mama ti dan yen, banla inn amenn mwa dan sant, Bambous. Laba, mo ti korek, ti pé al lekol. Monn fer ziska Form IV», précise le jeune homme, qui n’en est pas peu fier.

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Mais depuis qu’il est majeur, depuis qu’il est retourné au bercail, il suit une autre voie, sa route ayant croisé celle du brown sugar et de l’héroïne, qui sont devenus ses meilleurs amis. Il y a également les autres «potes»; les drogues chimiques, avec lesquelles il y a une alchimie. Leurs noms : bat dan latet, murder, vegas, white sensation, cocktail, etc.

Pourquoi cette quête permanente de nissa ? Pourquoi est-il passé de la cigarette à la seringue ? «Kan mo flashé, mo rant dan enn lot monde. Kan enn dimounn koz ar mwa, mo interessé ar seki li pé dir. Kan mo get enn film, mo rant ladan net. Kifer monn koumans pran li ? Linflians kamarad. Zot tout konsom ladrog isi. Monn les mwa tanté.» Plus il grandit, poursuit-il, plus le corps «demann ene pli bel yen»

À tel point que c’en est devenu une obsession. «Mo bizin pran ladrog 4-5 fwa par zour. Koumma gagn enn ti kass, samem premyé zafer mo pansé. Li vinn dan lespri, koumma dir enn dimounn ou kontan, enn kopinn

Avec ses cheveux en bataille, sa barbe hirsute, clairsemée, il est le portrait type du jeune qui s’est brûlé les ailes en voulant, trop vite, devenir adulte. Tout comme les autres enfants qui habitent le quartier, d’ailleurs.

«Mwa, o mwin, monn gagn sans al lékol. Trwa kar bann zanfan isi pa koné ki été sa.» Résultat des courses : dès l’âge de 12 ans, certains se laissent prendre dans les filets des revendeurs de drogue. Travaillant comme livreur afin de pouvoir obtenir enn ti pitay.

Un problème que connaît bien Aldo, qui est actuellement au chômage. «éna zour, kan  mo tro fat yen, pa kapav travay», souligne le jeune homme, qui s’y connaît en maçonnerie et  travaux électriques, entre autres. Mais pour la «dose» d’héroïne, il faut compter quelque Rs 500. Alors, parfois, quand les poches trouées sont complètement vides, il «demann enn ti krédi bann dealer-la. Ou byen mo kit mo portab ek zot, mo dir zot gard li ziska mo gagn kass pou ranbours zot»

Aldo a bien conscience du fait qu’il se détruit, à petit feu. Raison pour laquelle il essaye de s’en sortir, avant de toucher le fond. Mais «mari difisil sa».

«Mama»

Difficile également pour celle que l’on surnomme «Mama» de sortir de ce trou où elle s’est engouffrée. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Et si elle a tenu bon pendant quelques années, elle a toujours rechuté. «Pou bliyé problem ki mo fer sa», chuchote cette grand-mère de 50 ans, qui tient un bébé dans ses bras. «Dé zan li ena, mo baba sa. Mwa ek mo tifi nou finn adopté li, so mama oussi ti pé drogué.» Est-ce qu’elle se shoote devant le petit ? «Non, zamé

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Dans les yeux de Mama, de l’amour pour son petit homme, mais aussi de la tristesse.

«Mo ti anvi koné ladrog dir kouma été, aster mo regrété. Mo pé rod areté. Lopital, banla dir mwa pa pou kapav donn mwa suboxone, akoz mo laz ek mo bann problem lasanté.» Il ne lui reste plus donc que sa volonté vacillante.

Ainsi que le soutien de ses quatre enfants, âgés de 23, 27, 29 et 37 ans respectivement. Ils sont tous «clean», souligne Mama. «Zot ki donn mwa kass pou fat yen. Zot bon dir mwa arété, mé zot léker feb, zot pa kapav guet zot mama dan sa léta-la

Ce qui la chagrine aussi, c’est le nombre de jeunes qui se laissent happer par les drogues dures et les drogues synthétiques. «Lot fwa-la, mo tifi inn trouv enn zeness lopital. Li ti pé kriyé, apré linn mor. Li ti fim syntétik.» Ce qu’elle espère par-dessus tout, c’est que son «bébé» ne se laisse pas à son tour prendre au piège, quand il sera plus grand.

Mama garde aussi un mince espoir. Celui de pouvoir sortir de ce brasier, histoire de voir grandir ce petit être qu’elle chérit tant.

 

 

 

Christian, 53 ans, ancien dealer «Des enfants de 12 ans s’injectent de la drogue de nos jours»

Il a passé dix années en prison. Cet ancien toxicomane, qui habite Rose-Hill, était également un trafiquant de drogue.

Comment êtes-vous tombé dans la marmite de la drogue ?

 Je me suis laissé influencer par des amis. J’avais 25 ans. Monn fer alé vini dan prison, j’ai divorcé, ma femme est partie avec mes deux enfants. Même si aujourd’hui, j’ai refait ma vie, ce n’est pas facile pour moi d’oublier ce calvaire.

A quel moment êtes-vous devenu dealer ?

Quand je n’avais plus d’argent pour me droguer. Je me suis mis à en revendre. Je me faisais entre Rs 15 000 et Rs 20 000 par jour…

Où et comment obteniez-vous la drogue ?

Je connaissais des «gens». Qui commandaient la marchandise, essentiellement de l’héroïne, de Madagascar.

Oui, mais comment passaient-ils à travers les mailles du filet ?

 Cela dépendait – et cela dépend toujours – des quantités que l’on importe. Certains en avalaient, d’autres dissimulaient la drogue dans les chaussures ou ailleurs. Mais pour les grosses cargaisons, de 10 kilos par exemple, il faut être un VIP. Bizin ena boukou dimounn zot lamé ladan…

Quel parcours suit-elle, cette drogue ?

Elle peut venir d’Afrique, transiter par Madagascar avant d’atterrir chez nous. Elle débarque en avion mais elle arrive aussi par la mer. Mo tann dir zordi zour sé dan lakanpagn ki pé gagn sa pli boukou la…

Et en prison, comment cela se passe-t-il ?

Il faut le voir pour le croire. Là-bas, certains jeunes acceptent de se prostituer pour pouvoir avoir leur dose. Avec la complicité de certains...

Vous dites que les jeunes sont plus nombreux à succomber à l’attrait des drogues dures de nos jours. Qu’en est-il ?

Oui, il n’y a qu’à voir, ici, devant ma porte. Je vois des enfants de 12 ans qui viennent chercher leur drogue, qui se shootent avant d’aller à l’école. Je ne vous parle même pas de la drogue synthétique… Ena fer «zockey» ziss pou gagn enn bout sokola ou byen enn ti kass.

Êtes-vous «clean» aujourd’hui ?

Oui, grâce à la méthadone, je suis clean depuis 7 ans maintenant.

 

 

 

 

% Pas une vaine lutte

Les statistiques sont encourageants. Elle démontrent que nombre de consommateurs de drogues dures (par voie intraveineuse) ayant contracté le VIH est en constante baisse depuis 10 ans. Les seringues, utilisées par Marie, Aldo et les autres, sont distribuées par des ONG, dont CUT.

 

«L’héroïne» des sondages

Selon un sondage de TNS Analysis, commandité par l’association PILS, l’héroïne est perçue comme étant la drogue la plus dangereuse par les Mauriciens. Les résultats ont été publiés il y a quelques semaines.