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Michel De Spéville: «Faire tout pour accompagner les PME»

13 juin 2016, 21:00

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Michel De Spéville: «Faire tout pour accompagner les PME»

 

En tant que président fondateur du groupe Food & Allied, vous faites partie des pionniers dont la passion d’entreprendre a entraîné la première phase de l’industrialisation. Sur quoi se fondait cette confiance en l’avenir économique du pays ?

Si vous me demandez quelles sont mes motivations et passions, je vous réponds : la nature, les animaux et les gens. Qu’est-ce qui entretient l’envie d’entreprendre ? C’est avant tout l’envie de créer, d’innover mais le facteur humain est le moteur le plus important. Il faut faire confiance et avoir confiance. Le respect de l’autre, la reconnaissance mutuelle et la valorisation de chacun sont des éléments essentiels.

Votre passion, c’est aussi le pays, j’imagine. Même quand l’économie inspirait de grandes craintes vous étiez, vous, confiant en ses perspectives de développement.

Je suis très attaché au pays. J’aime l’île Maurice, j’aime le citoyen de ce peuple venu d’ailleurs qui se côtoie journellement. J’ai toujours cru en l’avenir du pays. Nous avons la chance d’avoir une population composée entièrement d’immigrés dans un petit pays et c’est un très grand avantage. On a tous grandi ensemble, on s’est côtoyé sur les bancs d’école. Chacun s’est enrichi de la culture de l’autre. Ce qui a abouti à la culture métissée qui fait notre richesse. Maurice, c’est un microcosme du monde et c’est ça la grande richesse de ce pays. J’y crois profondément. J’y ai toujours cru.

La richesse culturelle est une chose, mais la prospérité économique en est une autre...

Quand l’indépendance est arrivée, je me suis demandé de quelle manière on pourrait contribuer à rendre le pays moins dépendant économiquement. C’est de ce questionnement que naît mon engagement en faveur de l’autosuffisance alimentaire.

Tout jeune, je m’adonnais déjà à l’élevage, principalement l’aviculture. Après mes études – je suis comptable de formation – j’ai conservé cet amour pour l’élevage. Comme je connaissais mieux la volaille, c’est naturellement la filière avicole qui a été mon premier pôle d’activité en tant qu’industriel. Une filière qui peut contribuer à la sécurité alimentaire et qui apporte une valeur ajoutée considérable. Cette filière comprend trois étapes ; en amont la production de la nourriture pour animaux, ensuite l’élevage et en aval l’abattage, la transformation et le marketing. Nous avons structuré les trois et, en plus de nos opérations, accompagné les éleveurs intéressés à tous les niveaux.

Vous démarrez avec l’élevage de poulets et vous êtes aujourd’hui à la tête du groupe Food & Allied, 4e au classement des entreprises du pays. À quoi attribuez-vous ce succès ?

Je quitte DCDM en 1975 et je m’engage dans la construction de la filière avicole. Très vite s’enchaînent l’extension et la diversification de nos activités dans des secteurs tels que les produits laitiers (yaourt, lait homogénéisé, glaces, etc.), la farine (Les Moulins de la Concorde), le marketing (avec Panagora), la logistique (fret et transit), l’hôtellerie (Le Labourdonnais, Le Suffren, Hennessy Park Hotel, etc.) et l’enseignement supérieur avec Charles Telfair Institute.

Votre coeur de métier n’a pas changé pour autant ?

L’aviculture est un domaine que nous maîtrisons bien. Le groupe opère aujourd’hui trois usines de production d’aliments pour animaux dont une à Madagascar. Ce qui débouche sur une production de quelque 200 000 tonnes de nourriture annuellement.

Quand j’ai commencé en 1966, Maurice importait 2 000 tonnes de poulets. Aujourd’hui, la production locale s’élève à 40 000 tonnes, dont environ un tiers par Avipro, un tiers par de petits éleveurs et un tiers par de gros producteurs. Un aspect de grande satisfaction pour nous, c’est d’avoir associé à notre parcours le dé- veloppement des petits éleveurs à qui nous fournissons des poussins, conseils et services divers à travers la «Maison du petit aviculteur».

Ce partenariat avec les petits éleveurs a-t-il une finalité économique ou est-ce un service à la société ?

Vous savez, la notion d’équilibre social est pour nous la clé d’un développement durable. C’est une philosophie et un sens que nous donnons à la vie. Ce que nous entreprenons est construit autour de ce principe. Prenez l’exemple de Chantefrais, basé sur le concept de franchise. Le groupe accompagne de petits entrepreneurs qui gèrent, avec notre accompagnement et notre label, leur propre entreprise. Dans le même esprit, LMLC développe, depuis 2014, en tant que facilitateur, un réseau de mini-boulangeries répondant au nom de «Tamam».

Je pense que le même principe peut s’appliquer à faire revivre la tradition de petites unités d’élevage de vaches laitières avec un service d’accompagnement. C’est, à mon avis, le seul moyen de créer une véritable industrie laitière à l’échelle nationale. La technologie pour favoriser l’élevage de races à haut rendement laitier est un des aspects importants. L’État et le secteur privé peuvent réfléchir ensemble à la manière d’accompagner les éleveurs au niveau du fourrage et de l’amélioration génétique des vaches laitières. Nous sommes branchés pour être impliqués comme facilitateur dans ce secteur. La tradition laitière est incrustée dans des familles et l’élevage peut être une passion qui s’épanouit avec un accompagnement structuré.

«L’horizon d’une entreprise est de contribuer à l’équilibre social.»

Pour l’homme d’affaires que vous êtes, réussir signifie quoi ?

La tendance est de mesurer la réussite par l’argent, le profit. Notre but a toujours été de réussir mais une réussite qui ne se mesure pas qu’au succès financier. Certes, une entreprise a autant besoin de profit qu’un être humain, d’air. On ne vit pas que pour respirer mais on a besoin de respirer pour vivre. De même, l’entreprise ne doit pas exister que pour réaliser des profits. L’horizon d’une entreprise est de contribuer à l’équilibre social et pas qu’à ses bénéfices.

Si vous aviez un conseil à donner à un jeune entrepreneur…

La passion, l’engagement et la détermination sont des traits de caractère cruciaux pour entreprendre. Je le dis souvent aux jeunes qui veulent se lancer dans le business : il faut être convaincu du bien-fondé de son projet et savoir convaincre les décideurs. Si tu ne réussis pas à convaincre, tu seras le convaincu.

Quels sont les problèmes auxquels l’entrepreneur mauricien doit faire face aujourd’hui ?

Le développement économique et social de Maurice s’est fait à une vitesse grand V. De ce fait, on est tellement gavé d’informations que ce n’est pas toujours facile de s’y retrouver. Je pense que ce qui peut être amélioré, c’est un accompagnement bien encadré avec un personnel engagé et des structures adéquates.

Il est évident que la mise à la disposition d’emplacements pour les petites entreprises est un atout important mais il serait utile d’étudier également l’opportunité de créer des «common facilities centres» qui facilitent l’apprentissage, la disponibilité d’équipements et la croissance graduelle de la petite entreprise. J’ai visité, il y a plus de 20 ans, de tels centres en Inde et je crois sincèrement que ce modèle profiterait aux jeunes entrepreneurs. J’en ai parlé aux autorités, il y a des années, mais il n’y a pas eu de suite.

On voit bien que vous êtes un optimiste invétéré. Il vous arrive parfois de vous laisser aller au découragement ? La corruption, la bureaucratie et l’attitude dilettante envers le travail vous agacent-elles ?

Découragé? Jamais. Il m’arrive parfois d’être perturbé face à des décideurs qui n’assimilent pas le bien-fondé de nos projets. Cependant, les problèmes font partie du système et il faut vivre avec. Je dirai même que les problèmes sont des moteurs de solutions.

Écoutez, nous sommes 7 milliards d’individus sur cette planète et il n’y a pas deux qui ont le même ADN, les mêmes empreintes. On ne peut s’attendre à voir la même attitude chez tous les humains et c’est cela la splendeur de l’humanité.

Humaniste et homme d’affaires, ce n’est pas très compatible ?

L’un n’exclut pas l’autre. Le respect et la dignité n’ont pas de hiérarchie. Nous avons des conseils d’entreprises dans toutes nos compagnies où les salariés, à tous les niveaux, siègent et participent au management, c’est efficace et valorisant.

Maurice est un petit pays qui n’est pas doté de ressources naturelles. Pouvons-nous, avec réalisme, espérer un jour jouer dans la cour des grands aux côtés de Dubaï et Singapour ?

Notre potentiel de développement repose grandement sur les services financiers, la technologie informatique, les services consultatifs juridiques, etc. mais aussi, dans une mesure appréciable, sur l’enseignement supérieur et la production locale. J’y crois beaucoup étant donné la qualité de la population, de «l’intelligence du bon sens et du cœur» qui prévaut à Maurice.

En revanche, je ne connais pas bien le sujet mais j’ai l’impression qu’il y a un peu d’exagération par rapport à ce qu’on a qualifié de «catastrophe» – la fin du traité fiscal avec l’Inde tel qu’il existait. La vraie question est : est-ce que la situation qui existait jusqu’ici pouvait continuer éternellement ? Le plus important, il me semble, est que Maurice ne soit pas désavantagé par rapport aux autres pays concurrents.

Plus ou moins la même chose s’est passée pour le protocole sucre qui, malgré tout, ne pouvait pas exister pour toujours. Le pays s’est bien développé grâce à lui, mais c’était logique, le protocole allait fatalement être résilié un jour.

Les infrastructures inadéquates sont considérées comme des entraves à notre progression vers un palier économique supérieur. Qu’en pensez-vous ?

Pour que le potentiel de développement se réalise, des infrastructures adéquates sont essentielles. Je pense que le gouvernement en est bien conscient et je suis convaincu que les projets annoncés pour les divers secteurs (électricité, eau, routes) se concrétiseront bientôt. Les dirigeants veulent résoudre les difficultés du transport public, ils envisagent d’introduire le métro léger. C’est bien et même nécessaire. Le mouvement des gens, le déplacement des masses, dynamise et facilite l’économie d’un pays. Je note que le gouvernement a une volonté de faire ce qu’il faut.

2015 a été une année pendant laquelle le pays était au point mort sur le plan économique. Pourquoi ?

À mon avis, c’est, en grande partie, le climat d’incertitude qui a prévalu qui est responsable de cette stagnation. Il y a eu des soubresauts de parcours. Il manquait un peu de cohésion à la suite des élections. Le suspense dans l’affaire Pravind Jugnauth a pesé lourd. Maintenant les choses se mettent en place. SAJ a une vision. Avec lui, les choses sont claires et nettes. Grâce à l’association «BoI et Business Mauritius», il y a une bonne cohésion public/privé. Les problèmes sont abordés en commun. La volonté de coopération, la volonté de bien faire, est présente. Même si au niveau politique cela bloque parfois, je suis très confiant que le pays continuera à progresser.

Vous disiez récemment que des masses monétaires sont engagées dans des mouvements spéculatifs sans valeur ajoutée par le travail et l’innovation. Qu’entendez-vous par là ?

Ce qui est troublant, c’est que l’argent dont la vocation première était de faciliter les échanges est devenu un produit par lui-même et est sujet à de vastes spéculations qui déséquilibrent le jeu de l’offre et de la demande. Exemple : le prix de certains produits agricoles augmente et baisse résultant de la spéculation de fonds d’investissements. La valeur de la monnaie ne reflète plus nécessairement l’état de l’économie du pays qu’elle représente.

Si vous aviez le ministre des Finances en face de vous en ce moment où il est en train de finaliser le Budget de la nation, que lui diriez-vous ?

Je lui dirais ce qu’il sait déjà, que le développement repose sur la confiance. L’entrepreneur et l’investisseur sont encouragés à prendre des risques calculés quand la confiance règne et que le climat social est serein. Dans les années 80, le boost est venu du tandem SAJ-Vishnu avec une baisse drastique de la taxe et la dé- mystification du profit. Si la confiance n’est pas présente, les gens placent leur argent ailleurs et n’ont pas la volonté d’entreprendre. Par contre, je partagerais avec le ministre des Finances une profonde conviction : faire tout pour encourager et accompagner les petites et moyennes entreprises qu’elles soient dans l’IT, l’entreprise artisanale, l’agriculture et je partagerais avec lui des idées à ce sujet.