Publicité
Fernand Mandarin, les Chagos au futur imparfait
Par
Partager cet article
Fernand Mandarin, les Chagos au futur imparfait
Un demi-siècle depuis que la valise de Fernand Mandarin est prête pour le retour aux Chagos. «Depuis 1966, je ne suis que sur le départ.» C’est avec cette affirmation que s’achève le récit qu’il livre dans «Retour aux Chagos! Fernand Mandarin raconte». Des propos recueillis et rédigés par Emmanuel Richon, conservateur du Blue Penny Museum. L’ouvrage, à la fois biographique et historique, vient de paraître
Cinquante ans que Fernand Mandarin est resté à quai, celui des souvenirs. Un trop plein d’images qu’il livre sans tomber dans l’idéalisation du létan lontan. Une vie d’attente et de misères, qui n’a en rien dilué la farouche détermination de l’homme, remonté face aux tactiques dilatoires de la couronne britannique.
«Il est trop visible que la seule politique britannique nous concernant, depuis le début, ne vise cyniquement qu’un seul objectif: gagner du temps. Dans leur idée, le temps s’écoulant, la mort des survivants de la déportation règlerait sans doute le problème à tout jamais», analyse Fernand Mandarin. Lui qui témoigne haut et fort: «Nous n’étions pas que des habitants (...) nous étions tout un peuple.»
Avec ses traditions, ses légendes, ses spécificités. «C’est en nous replongeant dans l’avant-crime que nous pourrons mieux comprendre l’ampleur de l’inhumanité de l’excision», écrit Emmanuel Richon. Passeur de témoignage, qui ne fait pas mystère de son propre ressenti face à la cause chagossienne, ses points de vue se confondant parfois avec ceux de son interlocuteur. Ainsi, il se fait porte-voix d’une série de questions légitimes. «Comment être certain qu’une exploitation touristique de l’archipel n’est pas actuellement en projet par les occupants actuels? L’archipel est-il toujours un lieu d’accueil pour oiseaux migrateurs? Est-ce que le lagon est toujours source de pêches miraculeuses?»
Nous voilà embarqués pour l’île du Coin, à Peros Banhos, qui a vu naître Fernand Mandarin. «Je suis Chagossien, exactement comme on dit Curepipien.» Exactement ? Pas si sûr. Car à Peros, tout tourne autour de la mer et du coco
Septième enfant de sa fratrie, Fernand Mandarin nous raconte sa grande famille. «Je n’ai pas grandi dans la maison de mes parents, mais dans celle de mes parents adoptifs. La sœur de ma grand-mère et son mari (...) n’avaient pas d’enfants, ils ont souhaité m’adopter comme ils avaient adopté d’autres enfants d’autres branches de la famille. C’était une adoption ‘sur parole’, c’est- à-dire sans papiers administratifs, ce type d’adoption était très courant à travers l’archipel.»
Puis son enfance où le travail est très tôt présent. Ce n’est qu’en 1956 que la première école ouvre ses portes aux Chagos. Né en 1943, «j’étais déjà malheureusement trop vieux et il a fallu que j’attende bien longtemps avant d’apprendre à lire et à écrire, à l’âge adulte». À 12-13 ans, Fernand Mandarin travaille pour Rs 7 par mois et des rations: une livre de riz par journée travaillée distribuée les samedis, des grains secs, une demi-livre de sel, une livre de farine, une chopine d’huile de coco. À 16 ans, son salaire de laboureur est de Rs 18 par mois et des rations. «En tant que laboureur, ma première affectation fut éplucheur de coco. Pendant six mois (1960), j’épluchais chaque semaine 3 000 cocos.» Une vie réglée par l’administrateur du «tablisman». «Nous étions sous leurs ordres. Certains étaient corrects et sympathiques, d’autres étaient des saletés. La vie sur l’île et notre bien-être dépendaient grandement de leur caractère.»
Le quotidien c’est aussi les fêtes religieuses, les mariages où «le séga typique et le séga tambour étaient toujours exclus». Les veillées mortuaires et les «zistwar nam». La cuisine principalement alimentée par la pêche et les «poul lakour». Avec, à l’occasion, des sternes dans du «massala» et des tortues de mer. «Nous vivions dans l’abondance mais nous l’ignorions.»
«C’est pour que tout ne disparaisse pas à jamais avec les derniers des Chagossiens, que ce Mémorial de Fernand Mandarin se devait d’être publié», écrit en préface Philippe Forget. Avant de s’insurger: «Par quelle hypocrisie est-il encore possible qu’en 2016, il soit considéré normal de demander aux Britanniques de décider de leur place en Europe (Brexit), mais que l’on refuse aux Chagossiens de décider de la leur aux Chagos?»
Publicité
Les plus récents