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Olivier Tyack: «Sur un plan écologique l’impact du Benita est bénin»

27 juin 2016, 12:40

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Olivier Tyack: «Sur un plan écologique l’impact du Benita est bénin»

«La quantité de fuel qui s’est échappé du bateau est minime», selon le biologiste marin et ancien président de la Mauritius Marine Conservation Society (MMCS) Olivier Tyack. La moins bonne nouvelle, c’est que le cargo libérien pourrait rester durablement au Bouchon. Explications.

On raconte que vous êtes un serial couleur d’épaves…

(Rire) C’est vrai, j’en ai coulé six pour créer des récifs artificiels et attirer des poissons.

Le Benita va-t-il finir comme ça ?

C’est possible. Cela impliquerait un gros ménage à bord, vous ne coulez pas un bateau comme ça. Il faut le dépolluer et éliminer les objets flottants, c’est la règle.

Comme biologiste marin, votre expertise a été sollicitée sur plusieurs naufrages. Que vous inspire celui du Benita?

Déjà, cet accident aurait pu ou dû être évité. Un monstre d’acier de 45 000 tonnes n’a pas été détecté au radar, c’est inquiétant. L’entrée dans les eaux territoriales se situe à douze milles nautiques de la côte, soit une distance de 22 kilomètres. Or, personne n’a vu venir le danger, il faut que cela nous serve de leçon. Le second point, c’est que nous sommes extrêmement chanceux. C’est un vraquier vide qui s’est échoué, pas un pétrolier ou un navire transportant des déchets nucléaires. Là, ça aurait été un désastre. Tous les jours, des bateaux remplis de matières dangereuses circulent dans la région, je n’ose pas imaginer les conséquences d’un naufrage. Adieu le tourisme, adieu la pêche... Le cas du Benita est un avertissement sans frais qui doit servir de signal d’alarme.

Sans frais, ça dépend pour qui…

Effectivement, ça va coûter cher au propriétaire, ou plutôt à son assureur. Pour avoir travaillé avec des sociétés de sauvetage, je sais que les tarifs grimpent vite.

Vite comment ?

Là, au Bouchon, la journée est facturée autour de Rs 2 millions, moyens de l’État compris. C’est particulier comme business, c’est un monde de requins. Ces sociétés savent que l’armateur risque gros, surtout en cas de dégâts environnementaux, elles jouent là-dessus. Cela dit, les moyens déployés sont énormes, aussi bien en termes d’expertise que de matériels. Ce sont des équipes ultra-rodées. À Saint-Brandon, c’est une véritable armada qui a débarqué l’année dernière.

Vous faites référence au naufrage du Kha Yang?

C’est ça. L’assureur avait anticipé une demande d’indemnisation de l’État mauricien. J’ai été sollicité pour chiffrer l’impact environnemental, sur le corail notamment.

Parce que le corail détruit a un prix?

Oui, il existe une jurisprudence internationale. On peut mettre des valeurs sur des surfaces détruites.

Concrètement ?

Le mètre carré s’indemnise entre 150 et 300 dollars, cela dépend de la qualité du corail, s’il se trouve dans une zone protégée ou non, etc.

L’État est donc en droit de réclamer une compensation?

Complètement. Rien que pour le corail, il y en a pour plus d’un million de dollars. Les impacts du fioul se calculent aussi. D’autres matières toxiques, comme la peinture de la coque ou des résidus dans les cales, tout cela peut nuire aux écosystèmes et faire l’objet d’une indemnisation.

Il y aurait donc un petit pactole à récupérer?

Oui, mais si c’est pour remplir les caisses de l’État ça a peu d’intérêt. Une gestion intelligente serait de mettre en place, là, tout de suite, un mécanisme d’évaluation et de suivi des dégâts environnementaux. Ensuite, monter un dossier d’indemnisation. Et quand l’argent tombe, l’utiliser pour améliorer le milieu marin dans la région du Bouchon. Par exemple, faire de la restauration des coraux, former les pêcheurs, les équiper.

Dix jours après le naufrage, quel est l’impact environnemental?

Sans étude préalable, difficile d’être précis. Mais à partir du moment où un bateau de cette taille est en contact avec le récif, il y a forcément des dommages. Des dégradations physiques sont en cours. Elles auront des conséquences sur la vie marine, mais des conséquences bénignes et très localisées. Nous ne sommes pas en présence d’un empoisonnement à long terme de la région.

Pourquoi tant d’optimisme ?

La quantité de fioul qui s’est échappée est minime, c’est quelques centaines de litres.

Ce fioul serait un résidu de moteur, selon les autorités. Y a-t-il une raison objective de douter de cette version?

Non, mais je comprends que l’on se pose la question. Il faut bien comprendre que tout est compartimenté dans un bateau. La salle des machines a été inondée, cela veut dire qu’à l’arrière de la coque, il y a une brèche, ou plusieurs. L’eau est entrée, elle s’est mélangée aux résidus de carburant avant de sortir par le même chemin. Le moteur est tellement volumineux qu’il y a toujours une petite réserve d’huile dans les carters et un stock-tampon de fioul.

Comment être sûr que ce n’est pas le compartiment du carburant qui fuit?

Si c’était le cas, on verrait de grosses nappes flotter à la surface, l’eau serait noire jusqu’à Mahébourg. La version officielle tient, mais cela ne veut pas dire que tout risque est écarté. Tant qu’il y aura du fioul à bord, une catastrophe est possible.

Quand les cuves seront vidées, que va-t-il se passer?

Des plongeurs iront souder les brèches à l’arrière. Puis, de l’air sous pression sera injecté dans la coque pour en chasser l’eau et permettre au bateau de flotter à nouveau. Viendra alors l’étape la plus compliquée, sortir le Benita des récifs. Ce n’est pas gagné. Le Kha Yang, dont nous avons parlé, était moins lourd. La société de sauvetage a essayé pendant trois mois de le libérer des récifs, en vain.

Il est donc possible que le bateau reste là ?

Ce n’est pas exclu. L’opération s’annonce d’autant plus délicate que le bateau est posé sur du dur. Le tracter demande une puissance phénoménale, un seul remorqueur n’y arrivera pas. Le temps est un facteur important: plus on tarde, moins on a de chance de succès. La houle risque de pousser le bateau un peu plus sur le sec, ce qui augmentera sa résistance au moment du tractage. Donc, il faut agir vite.

Admettons que le tractage réussisse…

Le bateau partira en cale sèche pour des réparations, ou bien il sera coulé dans l’océan pour devenir un récif artificiel.

Et si le tractage échoue ?

Dans ce cas, le bateau reste. Il est éventuellement désossé. L’État fera tout pour se débarrasser de cette verrue. Il y a aussi des solutions intermédiaires, comme le démantèlement partiel.

 

«Je sais que des gens très compétents sont à la barre. Le problème, c’est qu’ils communiquent peu et mal. Du coup, les gens se disent qu’on leur cache des choses.»

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Vous voulez dire que le Benita pourrait élire domicile au Bouchon ?

À Saint-Brandon, ça s’est terminé comme ça: les autorités ont laissé le Kha Yang sur site. Le démantèlement d’un navire a un impact environnemental important. Il faut parfois installer des grues, aménager des routes, faire circuler des camions, tout ça dans le lagon, ce n’est pas forcément la meilleure solution. Si le remède est pire que le mal, à quoi bon?

La situation est «sous contrôle», nous dit-on. Rassurant?

Ce genre de phrase, en général, m’inquiète. Mais pas là.

Pourquoi ?

Parce que j’ai vécu ce genre de crise de l’intérieur. Je sais que des gens très compétents sont à la barre. Le problème, c’est qu’ils communiquent peu et mal. Du coup, les gens se disent qu’on leur cache des choses.

Et ce n’est pas le cas ?

Je ne pense pas. La gestion est bonne mais la communication désastreuse. Exemple, le ministre de la Pêche qui annonce une compensation aux pêcheurs. On n’a aucune idée de l’impact sur les poissons mais l’on parle déjà d’indemnisation, c’est précipité.

Et la com’ du ministre plongeur?

(Il se redresse) Pourquoi la com’ ? C’est facile de critiquer, Alain a eu le mérite d’y aller, il en a même perdu sa voix. Tant qu’il ne perd pas de voies (rire)

Alain ? Vous avez élevé les coraux ensemble?

Non, mais on a plongé ensemble. C’est un ami. Je l’ai même accompagné en bateau dans son tour de l’île à la nage (un défi réussi en 1999, NdlR).

Il est meilleur plongeur que politicien ?

C’est un excellent plongeur. Excellent nageur aussi.

Et en homme politique, vous le trouvez comment?

(Il réfléchit) Disons que le portefeuille de l’Environnement lui va beaucoup mieux. Alain a une vraie fibre environnementale, il connaît bien le milieu marin. Après, il a un défaut partagé par beaucoup de politiciens, mais ne me demandez pas lequel.

On ne le répétera qu’aux lecteurs, promis…

(Hésitant) Il est parfois mal conseillé.

Vous lui conseilleriez quoi, vous ?

D’écouter de temps en temps les vrais experts, pas seulement ceux du PMSD. Mais bon, tous les ministres ont un écosystème à protéger, non?