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Serge Lebrasse: «Je ne veux pas mourir sur scène»
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Serge Lebrasse: «Je ne veux pas mourir sur scène»
Partira, partira pas ? À 86 ans, Serge Lebrasse a (encore) fait ses adieux à la scène, la semaine dernière. Paroles d’un ségatier qui a connu Ti Frer, et qui a poussé Jean-Claude Gaspard à se lancer.
C’est définitif, vous quittez vraiment la scène?
Oui. J’ai décidé de quitter la scène parce que j’ai bien travaillé. J’ai 55 ans de carrière. Monn bien fatigé, bien vwayazé. J’ai rencontré tellement de gens. À mon âge, c’est l’heure de se reposer un peu. Je suis né en 1930, j’ai donc 86 ans.
Qu’allez-vous faire maintenant?
J’ai dit que j’arrête la scène, d’accord, mais sans réfléchir à ce que j’allais faire après. J’ai dit ça comme ça. Je vais faire tout mon possible pour rester loin de la scène, parce que quand on est connu comme ça, il y a une partie qui est bien. Si enn zour mo tonbé dan simé, san konésans, pou bizin éna enn dimoun ki pou rékonet mwa. Quelqu’un me portera secours, j’en suis sûr.
Vous avez bien une petite idée de ce que vous allez faire, non?
Je resterai à la maison avec ma femme. (NdlR, Gisèle est là, toujours prête à donner des précisions).
Rester à la maison après une vie aussi active?
Si je ne peux pas, je retournerai sur scène (sourire). Mais je ne veux pas mourir sur scène. Je préfère quitter la scène avant qu’on ne me dise de ficher le camp. Il peut arriver que des gens, qui m’ont entendu des centaines de fois, ne soient pas satisfaits de ma prestation sur scène ce jour-là. Zot pou dir: «Éta alé ta!» Jusqu’à l’heure, je n’ai pas entendu ça, mais on ne sait jamais.
Au début de votre carrière, vous avez dû vous battre contre les préjugés…
À l’époque, quand on disait à certains membres de la famille de ma maman qu’il y a un Lebrasse qui chante du sega, qui fait des progrès, qui se rend populaire, est-ce que c’est un parent à vous? Au début, ils répondaient par la négative. Ils ont dit, ça c’est un type de Rivière-Noire, du Morne-Brabant, de Chamarel par là-bas. Quand j’ai commencé à être vraiment connu, ils sont revenus vers moi.
La blessure est toujours là ?
Oui, je suis rancunier… Ils sont tous partis maintenant. Plus tard, certains m’ont approché. Je les ai fréquentés mais je ne suis pas allé chez eux. Je me souviens un jour, j’étais dans la rue et j’ai vu une de ces personnes. J’ai pris un autre chemin. J’ai attendu qu’elle poursuive sa route avant de rebrousser chemin. Quand les amis qui m’accompagnaient m’ont demandé pourquoi j’avais fait ça, j’ai répliqué que «mo pa lé trouv figir sa dimoun la dévan mwa». C’était un parent qui m’avait rejeté.
À cette époque-là, parmi les Mauriciens, chacun croyait qu’il valait plus que l’autre. On disait, «ah je ne peux pas fréquenter untel ou untel», sans savoir qui étaient vraiment ces personnes qu’ils rejetaient. Kitfwa séki li pa lé frékanté la, enn pli bon dimoun ki li. Maintenant je crois que c’est fini. Je n’entends plus parler de cette histoire de ne plus reconnaître des membres de sa famille.
Samedi dernier, vous aviez à nouveau votre chemise aux bandes rouge-bleu-jaune-vert. C’est important pour vous?
Je suis fier d’être Mauricien. Quand j’étais au Canada pour l’exposition universelle de 1967, des visiteurs sont entrés dans le petit pavillon de Maurice en pensant que c’était la Mauritanie. Alors je leur ai expliqué que Maurice, c’est dans l’océan Indien, que nous sommes des descendants d’esclaves. J’allais partout avec une ravanne. Certaines personnes croyaient que j’étais Mexicain.
Et le pantalon trois quarts à rayures ?
De mon temps, quand j’ai commencé à chanter, il y avait Ti Frer, Francis Salomon et Roger Augustin. Ces trois-là se produisaient avec leurs vêtements de ville. Moi, j’avais pensé à mettre ce pantalon trois quarts à rayures. Et puis, Jean-Claude Gaspard a fait pareil. Jean-Claude et moi, c’est Venpin qui sortait nos disques. Au début Jean-Claude jouait de la guitare dans mon orchestre. Il ne chantait pas. Un jour, sans qu’il le sache, j’ai donné son nom pour qu’il participe à un concours. Nous étions là pour accompagner les concurrents. Ala Jean-Claude tann kriyé so nom. Et voilà qu’il gagne le concours. Venpin lui a proposé de faire un disque, accompagné par le Police Band. Pour la pochette, Jean-Claude, qui était inspecteur à la municipalité, a fait la photo avec son uniforme.
C’est le sega qui vous a fait connaître Ti Frer ou c’est Ti Frer qui vous a fait connaître le sega?
(Longue anecdocte pour raconter qu’il a connu l’épidémie de poliomyélite, a perdu une bourse d’études alors qu’il était à l’école primaire avec Gaëtan Duval. Ado, il a raboté des cercueils, est allé à la pêche aux cabots, a travaillé au moulin «goni» où il a été gravement blessé au pouce droit). C’est Ti Frer bien sûr. Je suis devenu apprenti garde forestier à l’âge de 15 ans, à Vuillemin, Quartier-Militaire. Ti Frer était mon voisin. Ma maison était plus haute que la sienne. Kan mo ouver mo laport, mo trouv kot li. Li ti kontroler bis. Il finissait sa journée à 17 heures. Il rentrait, prenait sa ravanne, al kot laboutik. Le dimanche, quand il allait à la chasse, il me demandait de l’accompagner pour al met tchoule dan lasas.
Racontez.
Le groupe de chasseurs se met sur des miradors. Nous, les metteurs tchoulé, Ti Frer nous plaçaient sur trois côtés. Nou tap séki nou gagné, en avançant. Après la chasse, Ti Frer tap so ravann fer sega.
Quel genre de bonhomme était Ti Frer?
Il était très connu à Quartier-Militaire. Très sympathique, li tap so ti zafer tou lé tanto.
Que vous a-t-il appris ?
J’ai appris à chanter et à jouer de la ravanne avec lui. Après je me suis engagé dans l’armée. (Longue anecdote sur son passage dans l’armée au sein des Royal Signals, où il s’est engagé à 17 ans, après une altercation avec son chef alors qu’il était garde forestier. Il a passé un peu plus de trois ans en Égypte).
Votre premier disque, «Madam Ezen» est sorti en 1958. Si vous deviez faire une reprise de ce morceau, que changeriez-vous?
Je ne changerais rien. Avant qu’on me le demande, je dis que Madam Ezen, ce n’est pas ma belle-mère. C’est un nom fictif. Mo belmer pa konn lougarou. Elle vivait sur la propriété sucrière de Réunion, à Vacoas, elle ne connaissait que son ménage et s’occupait de ses enfants. (NdlR, Gisèle, son épouse, nous confiera que pour ses 100 ans, sa mère n’a pas voulu que Serge Lebrasse chante Madam Ezen). Je dis tout le temps que c’est la meilleure belle-mère que j’ai eue. Quelqu’un m’a demandé un jour, «bé komié belmer tonn gagné?» (sourire).
Le sega vous a valu d’être décoré, de serrer la main de la reine d’Angleterre, de côtoyer des hommes politiques. Le sega et la politique font-ils bon ménage?
Non. Je n’ai jamais chanté dans un meeting.
On vous l’a demandé ?
Oui, mais si je chante, mettons, pour le Parti travailliste, zot pou krwar mo enn partizan travayis. Je ne veux pas me mêler de la politique. Le jour des élections,on me demande pour qui je vais voter. C’est secret. Mo pa lé lézot dir mwa bizin met untel ou untel déor. C’est dans l’isoloir que je décide pour qui je vote. Même Gisèle ne sait pas pour qui je vote.
Les artistes doivent-ils rester loin de la politique?
Oui, parce qu’on a besoin de tout le monde.
Comment voyez-vous le sega aujourd’hui?
C’est devenu un business. Aujourd’hui, on va sur Internet, on copie des chansons et on les vend. À l’époque où je faisais du sega, s’il y avait trois frères, tous les trois auraient acheté un disque chez Venpin. Avec l’évolution de la technique, un seul disque suffit.
Vous pensez quoi des textes ?
Zéro. Le rythme est bon, mais les paroles, non. Moi je suis plutôt porté vers les paroles. Jean-Claude Gaspard est un bon compositeur. Certains écrivent quatre lignes et répètent la même chose. Une chanson doit vouloir dire quelque chose.
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