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Drogues synthétiques: les limites de la Dangerous Drugs Act
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Drogues synthétiques: les limites de la Dangerous Drugs Act
En général, c’est sous forme de poudre ou de liquide (NdlR, sa forme originelle) que le cannabinoïde de synthèse arrive à Maurice. Ce produit ainsi que ses dérivés figurent, depuis un amendement survenu en 2013, dans la Dangerous Drugs Act (DDA). Sauf que si l’Anti-Drug and Smuggling Unit (ADSU) a, jusqu’ici, mis la main sur les drogues synthétiques déjà préparées et prêtes à être consommées, elle ne les a jamais saisies sous leur forme originelle. Et tout changement de molécule de ces stupéfiants peut facilement les faire passer au travers des mailles du filet de la brigade antidrogue.
«Si le produit est artisanal et pas listé dans la DDA, nous ne pouvons pas procéder à une arrestation, reconnaît l’inspecteur Aassad Rujub, qui compte 20 ans d'ancienneté au sein de la force policière, dont 16 à l’ADSU. Je vous donne l’exemple des enfants qui inhalaient de la colle dans des sacs en plastique. On savait qu’ils le faisaient mais ce produit n’étant pas listé nous ne pouvions arrêter personne.»
En général, le cannabinoïde de synthèse est fabriqué dans un laboratoire clandestin à l’étranger. Les dealers vaporisent cette drogue de synthèse sur n’importe quelle feuille ou herbe séchée. Cela peut être de la paille de thé, des herbes de Provence, de la sciure de bois, de la terre… Une fois que celles-ci sont sèches, le résidu est roulé en cigarettes et vendu. Lorsque la drogue est en poudre, elle est diluée dans un solvant. Une fois évaporé, le résidu est ajouté aux feuilles susmentionnées et vendu.
Danny Philippe, coordonnateur de Leadership and Empowerment for Action and Development, qui connaît bien le terrain, fait ressortir que «si la molécule en question ne figure pas dans la DDA, la personne sera certes soupçonnée de consommer ou de dealer, mais lorsque le Forensic Science Laboratory (FSL) analysera le produit et verra qu’il n’est pas répertorié dans la loi, le Directeur des poursuites publiques recommandera l’abandon des poursuites». De faire remarquer que si la brigade antidrogue va de l’avant avec des accusations provisoires, de tentative de dealing par exemple, «avec un bon avocat, la personne peut s’en tirer».
Qui plus est, constate Danny Philippe, «des gens mélangent des produits hallucinogènes naturels avec de la poudre à rat, des insecticides et de l’herbe sèche et la vendent. Comment la police pourrait- elle arrêter une personne qui fume ce mélange non répertorié par la DDA ? C’est impossible.»
Mais l’inspecteur Aassad Rujub n’en démord pas. «Quelle que soit la manipulation de la molécule de cannabinoïde de synthèse, elle sera décelée par le FSL et nous procéderons alors à une accusation formelle du suspect.»
Selon notre interlocuteur, une des nouvelles portes d’entrée des drogues synthétiques est l’achat en ligne. D’ajouter que la brigade antidrogue et les douaniers veillent au grain. Mais il reconnaît que tout arrivant n’est pas fouillé, ni tout colis contrôlé.
Et les chiens renifleurs, sont-ils formés pour flairer les drogues de synthèse ? «Ils le sont pour l’héroïne et le cannabis. Si on les entraîne à dépister des produits de synthèse, ils le feront.»
Études: des ados de 13 ans touchent aux stupéfiants
Deux rapports récents touchent au phénomène de drogue chez les jeunes. Le premier, commandé par le ministère de la Jeunesse et des Sports en 2014, est actuellement étudié par la Commission d’enquête sur la drogue. Le second est l’oeuvre du Mauritius Research Council (MRC), effectué pour le compte du ministère de la Sécurité sociale en 2015. Les deux rapports notent un rajeunissement des consommateurs de drogue, avec des jeunes de 13 ans qui sont de plus en plus directement concernés.
La commission d’enquête sur la drogue est en présence du rapport intitulé Research Report Determinants of Youth Behaviour in Mauritius. Réalisé en 2014, ce rapport dresse un constat de terrain sur les méfaits de la drogue chez les jeunes. Le président de la commission d’enquête sur la drogue, Paul Lam Shang Leen, note ainsi avec inquiétude que des jeunes de 13 ans ont accès aux stupéfiants et ont déjà essayé plusieurs types de drogues.
Ce constat rejoint celui du rapport effectué par le MRC en juin 2015. Le ministère de la Sécurité sociale voulait cerner la problématique du suicide. Et sa corrélation avec la consommation de drogue. Une certaine tendance a été notée chez les victimes du suicide en ce qu’il s’agit de l’exposition à la drogue. Selon le rapport, la tranche d’âge 16-17 ans, parmi les sondés, est la phase où la drogue est la plus consommée. Mais 6,7 % de ceux âgés entre 13 et 15 ans affirment en avoir déjà consommé.
Beaucoup de ces personnes ayant fait des tentatives de suicide avaient déjà pris de la drogue au moins une fois dans leur vie. Le rapport note que 4,6 % en usent régulièrement. Alors que 8 % de ceux interrogés affirment avoir essayé au moins une fois.
Au sujet de l’accessibilité à divers types de drogue, 56,9 % affirment qu’il est facile d’avoir du sirop contre la toux ; 33,8 % trouvent facilement de la colle pour sniffer ; 15,5 % savent comment avoir du cannabis ; 10,1 % du Brown Sugar ; 3,8 % de la cocaïne ; 3,2 % de l’héroïne et 0,8 % de l’Ecstasy. Mais il faut noter que ces réponses reposent davantage sur la perception que sur le vécu.
MRA: nouvelle stratégie contre les trafiquants
Mener la vie dure aux trafiquants de drogues. C’est l’objectif de la Mauritius Revenue Authority (MRA). Pour ce faire, plusieurs mesures ont été adoptées. Une hotline, une nouvelle embarcation et la signature d’un accord avec la police en font partie.
Grâce à la hotline (8958), déjà opérationnelle, le public peut fournir des renseignements aux douaniers. «Les informations sont traitées de manière confidentielle. Même si notre rôle est d’intercepter la drogue à son entrée sur le territoire, il est nécessaire de connaître son parcours», dit un douanier.
Un accord sera signé prochainement avec la police pour que l’ADSU et la National Coast Guard travaillent officiellement avec des douaniers de l’Anti Narcotic Unit.
Après l’acquisition d’un bateau rapide le mois dernier, la MRA entamera des démarches pour acheter un autre fast interceptor boat. L’idée est de permettre aux douaniers de fouiller toute embarcation avant même qu’elle n’arrive au port.
Les consommateurs de plus en plus «jeunes»
<p>De 2013 à 2016, l’ADSU a procédé à 239 arrestations pour possession de drogue synthétique. En 2013, 16 des personnes arrêtées étaient âgées entre 12 et 17 ans. En 2014, un seul mineur a été interpellé pour ce délit. En 2015, ils étaient neuf, âgés de 12 à 17 ans. Et depuis le début de l’année au 10 juillet, six mineurs ont été trouvés en possession de drogue synthétique. De 2013 à 2016, la brigade antidrogue a retrouvé de la drogue dans 29 écoles secondaires. Danny Phlippe avoue ne «jamais avoir autant vu de drogue synthétique et de Brown Sugar à Maurice que ces temps-ci». L’inspecteur Aassad Rujub le prend à contre-pied. «Si la drogue était aussi répandue à Maurice, nous aurions eu plus d’arrestations. J’estime que le fait qu’il y ait du synthétique explique qu’il y ait moins de Subutex sur le marché.</p>
Ils ont dit
Le Premier ministre, sir Anerood Jugnauth
«C’est connu de tout le monde que les jeunes garçons et filles préparent leur propre drogue synthétique. Ils le font dans leur maison où ils vivent avec leurs parents. Je ne peux mettre la police dans chaque maison pour contrôler la drogue synthétique. J’ai toujours dit que c’est la responsabilité des parents…»
La ministre de l’Éducation, Leela Devi Dookun-Luchoomun
«S’il y a vraiment des jeunes qui sont en train de se droguer, c’est surtout en dehors de l’école (…) C’est vrai qu’on a appris qu’il y a des écoliers qui ont été retrouvés sous l’influence de la drogue, mais celle-ci a été consommée ailleurs.»
Le ministre de la Santé, Anil Gayan
«Est-ce que les jeunes ont accès facilement à la drogue de synthèse ? Je ne sais pas dans quelle mesure c’est vrai (…) La situation n’est pas alarmante.»
Après la méthadone: le traitement à la codéine stoppé
Le traitement à la codéine à l’intention des toxicomanes pourrait-il être interrompu ? En tout cas, au ministère de la Santé, cette possibilité est envisagée. La raison évoquée : cela pèse lourd sur les finances de l’État. Sauf que cette décision ne ferait guère l’unanimité. «Le ministère distribue plus de 100 000 cachets par an, ce qui représente un coût considérable, explique un préposé au ministère. Pendant les prochains mois, ce traitement sera surveillé de près et une décision sera prise en conséquence.»
Mais selon des sources internes au ministère, l’arrêt pur et simple du traitement, sans le remplacer, serait en fait privilégié. Les patients sous codéine seraient alors placés dans d’autres programmes existants. À l’inverse, lorsque le traitement à la méthadone avait été arrêté, il avait été remplacé.
Notre source au ministère va plus loin en ajoutant que cette décision ferait suite à la déclaration de plusieurs travailleurs sociaux. Ces derniers auraient, dit-elle, eux-mêmes remis en question l’efficacité de la codéine dans le traitement de sevrage des toxicomanes.
Addiction récente
Autre son de cloche du côté du centre de désintoxication Idrice Goomany, à Plaine-Verte. «Nous n’avons jamais remis en cause l’efficacité de la codéine auprès des patients ayant une addiction récente aux opiacés, lâche le directeur Imran Dhannoo. Nous avons simplement mis en avant le fait qu’elle ne convient pas à ceux qui ont une utilisation fréquente de l’héroïne et d’autres drogues.»
Imran Dhanoo fait ressortir que la toxicomanie est un problème complexe. «Le gérer simplement, en mettant tous les patients dans le même panier, est une erreur. Les toxicomanes réagissent différemment au traitement.» Il estime qu’«actuellement, aucun traitement ne doit être supprimé».
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