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Françoise Baptiste: «Le secteur touristique rodriguais ne pourra se développer si le problème de pénurie d’eau perdure»

21 juillet 2016, 09:00

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Françoise Baptiste: «Le secteur touristique rodriguais ne pourra se développer si le problème de pénurie d’eau perdure»

L’accession de Rodrigues au statut d’île autonome sur le plan politique, en 2001, a incité des opérateurs individuels à se regrouper pour favoriser une meilleure synergie entre eux. Françoise Baptiste, présidente de la Rodrigues Economic Chamber and Industry, donne son avis sur les perspectives de développement économique de l’île.

Quelle est l’utilité de doter Rodrigues d’un organisme de la trempe de la Rodrigues Economic Chamber and Industry?
La création de cet organisme, qui date de deux ans, résulte de la nécessité de regrouper les opérateurs qui évoluent dans les secteurs commercial et agricole, ainsi que dans d’autres secteurs économiques émergents. Ces opérateurs étaient dispersés. Il fallait les mutualiser. Une démarche indispensable pour mobiliser la synergie qu’un tel regroupement est en mesure de susciter.

Ce regroupement est essentiel lorsqu’il est question de négocier avec les autorités compétentes et de réaliser des projets d’échanges avec d’autres organismes. Avec cette initiative, on a jeté les bases pour asseoir ce qui devrait constituer le futur secteur privé de Rodrigues. La création de cet organisme nous a permis d’établir des contacts avec d’autres organisations, telle la Chambre de Commerce de l’océan Indien. La relation développée avec la Chambre de Saskatoon, la plus grande cité de la province du Saskatchewan, au Canada, nous a permis d’explorer les possibilités de formation et d’échanges pour nos membres et pour les jeunes intéressés à émigrer au Canada.

Quels sont les secteurs qui sont représentés au sein de cette Chambre de commerce et d’industrie?
La cinquantaine de membres de la Chambre représente les secteurs agricole et commercial, la filière construction, les producteurs de miel, les opérateurs engagés dans le secteur de la location de voitures et les opérateurs touristiques. Nous essayons d’inculquer une culture propre à des opérateurs d’un secteur privé en devenir.

Quelles ont été les difficultés que les opérateurs rodriguais ont rencontrées pour perdurer dans les secteurs dans lesquels ils se sont lancés?
Rodrigues est une jeune démocratie si on prend en compte que ce n’est qu’en 2001 que l’île a obtenu le feu vert du gouvernement central pour une gestion de certains secteurs des affaires de l’île par les fils et les filles du sol. C’est un apprentissage qui a eu des hauts et des bas. C’est dans ce contexte que la Chambre a pris naissance.

La recherche d’un terrain d’entente avec les autorités pour créer une plateforme où nous pourrions échanger n’a pas été chose facile. Nos sollicitations pour des rencontres n’ont pas toujours été gérées comme nous le souhaitions. Il faut savoir ménager la sensibilité politique susceptible de réagir de façon excessive devant l’évocation de problèmes qui empêcheraient le secteur privé d’avancer et de progresser. Loin de nous démotiver, ces difficultés de départ ont créé en nous la conviction que la recherche d’un dialogue permanent avec les autorités est une voie indispensable si on veut avancer.

Quels sont justement les sujets qui, de l’avis de la Chambre, auraient nécessité un échange permanent avec les autorités locales?
Le développement économique de Rodrigues ne pourra se faire si les contraintes qui ont jusqu’ici bloqué le progrès de l’île perdurent. Ces contraintes sont, principalement, la pénurie d’eau potable, l’absence d’accès routier pour relier certaines localités entre elles, l’érosion de la terre, qui contribue à la disparition des plages naturelles, la lourdeur des formalités pour le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée pour les équipements importés, démarche qui nécessite un déplacement à Maurice.

Ne pensez-vous pas que le projet de dessalement d’eau de mer pourrait contribuer à résoudre le problème de pénurie d’eau?
J’ose me demander si le recours au dessalement de l’eau de mer est la solution à ce problème de pénurie d’eau potable. La fréquence de la distribution d’eau n’est pas suffisante. Si nous voulons accélérer le développement du secteur touristique, cela ne pourra se faire, avec un problème de pénurie d’eau sur les bras. Il arrive que nos robinets soient à sec pour une période allant jusqu’à deux mois.

Heureusement qu’en temps de pluie, nous avons recours à la collecte d’eau. L’île reçoit suffisamment d’eau de pluie annuellement pour subvenir à nos besoins. La presque totalité du volume d’eau pluviale va à la mer, provoquant au passage l’érosion de la terre vers la mer, occasionnant à certains endroits une eau boueuse qui défigure les zones côtières capables d’être exploitées en plages publiques. La pénurie d’eau résulte, en grande partie, d’une mauvaise gestion des ressources en eau dont on dispose actuellement.

Outre les produits- phares du terroir, quels sont les autres produits prometteurs qui ont un potentiel certain pour l’émergence de nouveaux opérateurs?
L’île dispose de pas moins de 3 000 hectares de forêt. Le bois issu de ce patrimoine pourrait être exploité pour la fabrication de meubles de haute qualité pour le marché de l’exportation. Parallèlement, on devrait mettre en place un programme de remplacement d’arbres qui seront abattus dans le cadre de la mise en place de ce projet de fabrication de meubles haut de gamme.

Rodrigues a encore la possibilité de se doter d’un secteur d’activité basé sur le potentiel de la fibre de coco. On peut apprendre beaucoup de l’expérience acquise par l’Inde et le Sri Lanka dans ce secteur. Ces activités pourraient s’articuler autour de la plantation de cocotiers, de l’extraction de la fibre de coco pour l’exportation ou pour servir de matière première à une industrie locale de fabrication de divers produits. Les possibilités sont immenses. Pour ne citer que quelques exemples, avec la fibre du coco, on peut envisager la fabrication de contreplaqué, de balais, comme cela se fait au Sri Lanka et qui sont vendus sur le marché local; les déchets découlant des opérations de défibrage du coco pourraient servir d’engrais pour le secteur agricole.

En raison de sa spécificité, comment Rodrigues pourrait-elle trouver sa place dans le commerce international?
La spécificité de Rodrigues, caractérisée entre autres par son éloignement géographique des principaux marchés internationaux, ne devrait pas constituer un handicap pour se frayer une place dans le commerce international. Il existe certainement une possibilité dans les pays qui souscrivent aux valeurs du commerce équitable. Des États qui sont prêts à créer les opportunités pour les produits en provenance des pays qui sont économiquement en situation de désavantage par rapport aux autres opérateurs.

Nous faisons actuellement l’expérience de l’intérêt grandissant d’un palace parisien pour le limon de Rodrigues. La demande est là. Il suffit de monter en gamme au niveau de notre production, dans le souci de satisfaire les exigences et les normes de ces marchés niches.

Quels sont donc les produits qui peuvent servir d’éclaireur pour la destination Rodrigues sur le marché international?
Ce sont ses limons pays, son petit piment reconnu pour sa saveur piquante, son miel ayant fait une percée sur le marché mondial, ses achards, ses confiseries. Les produits en provenance de Rodrigues ont une certaine cote auprès des consommateurs extérieurs vu que la production n’y est pas sujette à une utilisation intense de produits chimiques. Tout ou presque est naturel.

Il faut sans doute renforcer cette image en développant Rodrigues comme une source de produits bio et où il n’y a pas de pesticides ou d’herbicides chimiques, de fertilisants de synthèse ou de semences dont le patrimoine génétique n’est pas naturel mais a été modifié par l’intervention humaine. Ce qui présuppose le recours à une stratégie de valeur ajoutée sur tous les produits susceptibles de permettre à Rodrigues de percer sur le marché du commerce mondial.

Les produits en provenance de Rodrigues sont très prisés à Maurice. Le problème est qu’il est pratiquement impossible de trouver ces produits dans un endroit spécifique. Que faudra-t-il pour remédier à ce problème qui, du reste, relève de la politique marketing de ces produits?
L’idéal aurait été de créer une Maison de Rodrigues à Maurice qui devrait se situer dans un endroit stratégique fréquenté par une bonne partie de la population mauricienne. Tous les produits de l’artisanat et du secteur de la production alimentaire pourront y être exposés et vendus.

La Maison de Rodrigues devrait être ouverte à tous ces Rodriguais vivant à Maurice et qui ont conservé les mêmes traditions en termes de production artisanale et alimentaire. L’animation culturelle devrait être présente au programme d’activités de ce point de vente. Ainsi, la Maison de Rodrigues devrait constituer le lieu par excellence de la promotion de la vie culturelle et touristique de Rodrigues.

Le développement de Rodrigues a toujours été compromis par l’exode de compétences développées tant à Maurice qu’ailleurs en raison de l’absence d’opportunités pour les absorber localement. Que prévoit la Chambre pour remédier à ce problème ou, du moins, en atténuer les effets sur l’économie naissante de l’île?
Si la source de cet exode provient de l’absence d’opportunités d’emplois dans l’île, il faut commencer par créer les opportunités d’emplois dans l’île. Le secteur public ne peut pas être un secteur pourvoyeur d’emplois et de croissance. La Rodrigues Economic Chamber and Industry partage la vision de l’Assemblée régionale qui consiste à créer suffisamment d’emplois afin d’absorber les chômeurs.

Nous voulons, dans la mesure du possible, apporter notre humble contribution sur ce plan. La création d’emplois devrait provenir des initiatives du privé. D’où la nécessité pour la Commission chargée entre autres de l’Entrepreneuriat de développer un partenariat soutenu avec nous. Cette commission devrait consolider son rôle de facilitateur.

La connexion de Rodrigues à des réseaux de câbles optiques pourrait favoriser l’émergence de nouveaux secteurs d’activités comme celle associée à l’externalisation et bien d’autres activités découlant des potentiels du secteur de la technologie de l’information et de la communication. On a là la possibilité de placer Rodrigues sur la carte de l’économie globale et d’absorber les compétences qui ne trouvent pas d’opportunités sur le marché du travail.

Il n’est pas impossible d’imaginer qu’une forme de partenariat puisse voir le jour entre les investisseurs venus d’ailleurs et les membres du secteur privé de Rodrigues. Ce qui devrait contribuer à un transfert de savoir-faire dans les domaines où de tels partenariats sont envisagés. Il faut revoir le Youth Employment Programme et le Back to Work programme de sorte que les membres de la Chambre puissent en tirer profit.