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Shailen Sreekeessoon: «Relancer la croissance à travers la consommation risque d’être néfaste sur le long terme»
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Shailen Sreekeessoon: «Relancer la croissance à travers la consommation risque d’être néfaste sur le long terme»
Shailen Sreekeessoon, chef de cellule Stratégie, Recherches et Innovation, State Bank of Mauritius, explique que c’est l’incertitude qui entraîne aujourd’hui différentes projections de croissance, la dernière étant celle de la Banque de Maurice estimée à 3,8 %. Selon lui, ces chiffres indiquent que le contexte économique nécessite une attention particulière.
«SBM Insights», que vous dirigez, prévoit un taux de croissance de 3,4 % alors que Statistics Mauritius a projeté un taux de 3,9 % et la Banque de Maurice 3,8 %. Pourquoi autant de variations autour de cet important indicateur économique ?
En un mot, «l’incertitude». Le niveau élevé d’incertitudes implique des scénarios disparates. Comme expliqué dans SBM Insights, nos prévisions sont basées sur l’hypothèse d’un Brexit pas tout à fait souple. On aurait souhaité que ce ne soit pas le cas et que l’impact sur Maurice soit plus mitigé, mais il est très difficile à ce stade de prévoir le mode de sortie du Royaume-Uni.
D’autre part, même s’il y a une variation sur les prévisions de croissance, le message est plus ou moins le même, notamment que le contexte économique est des plus délicats, et nécessite une attention particulière.
Qu’est-ce qui explique que Maurice n’a pu franchir, jusqu’ici, la barre psychologique de 4 % ou plus de croissance économique ?
Depuis plus de cinq ans maintenant, le niveau d’investissement, surtout du côté du secteur privé, par rapport au PIB n’a cessé de baisser, ce qui diminue le potentiel de croissance du pays. Le secteur de la construction a d’ailleurs été une des victimes, avec une forte décroissance sur cette période. Le secteur manufacturier peine aussi à redécoller face à une concurrence globale accrue.
Mais il y a quand même des signes encourageants. Par exemple, les arrivées touristiques ont grimpé de près de 10 % pendant les six premiers mois de 2016 comparé à la même période de l’année dernière, alors que les services professionnels, le secteur financier et celui des Technologies de l’information et de la communication (TIC) continuent à progresser de manière satisfaisante.
À 48 heures de la présentation du Budget de Pravind Jugnauth, comment évaluez-vous sa marge de manoeuvre ?
Le ministre des Finances n’a malheureusement pas une grande marge de manoeuvre. La dette du secteur public, sur une base ajustée, se situait à 56,9 % du PIB au 31 mars 2016, alors que le Public Debt Management Act requiert que ce ratio soit ramené à moins de 50 % du PIB jusqu’au 31 décembre 2018. Cela implique que le déficit budgétaire devrait être contenu à un minimum. Il est souvent difficile de comprimer les dépenses courantes et, parfois, encore plus délicat d’augmenter les impôts, compte tenu de l’effet néfaste que cela peut avoir sur l’activité économique.
Dans sa première conférence de presse, le Grand argentier a déclaré qu’il se trouve devant un important dilemme, à savoir que toute augmentation des investissements publics, pour compenser la baisse des investissements privés, entraînerait une augmentation des dépenses publiques et donc du déficit budgétaire. Par conséquent, la dette publique a déjà dépassé les limites. Comment, selon vous, peut-il sortir de cette situation ?
La tâche n’est certes pas facile. Le marché domestique est restreint. L’épargne au niveau national a atteint un niveau très bas. Dans ce scénario, relancer la croissance à travers la consommation risque d’être néfaste sur le long terme. La clé, selon moi, serait de trouver le déclic pour relancer l’investissement privé, ce qui reste un défi considérable dans le climat d’incertitude qui prévaut.
Quelques pistes à considérer sont proposées dans SBM Insights. D’abord, il y a la stratégie sur l’Afrique. Celle-ci consiste premièrement à encourager les entreprises mauriciennes à investir davantage dans ce continent, surtout dans les domaines où le pays a fait ses preuves. Deuxièmement, à inciter des Africains à venir à Maurice pour les services de santé, d’éducation, voire le tourisme, et troisièmement à promouvoir Maurice comme tremplin d’investissement vers l’Afrique. L’initiative est déjà en place mais requiert un coup de pouce pour atteindre sa vitesse de croisière.
SBM Insights parle aussi de réussir la stratégie de se positionner comme un «hub» à travers plus d’ouvertures. Attirer un grand nombre de talents mondiaux dans le pays aiderait à créer de nouveaux créneaux d’activités et à mieux développer et utiliser le génie et le savoir-faire mauriciens. En parallèle, cela créerait une demande accrue pour les produits et services locaux, que ce soit dans le commerce, le service financier, l’immobilier, entretien, etc., ce qui encouragerait le secteur privé à investir davantage.
De plus, on propose que le Budget favorise la mise en place de nouvelles technologies et l’innovation, que ce soit au niveau du secteur public ou du privé. Le fait que le ministre des Finances était précédemment ministre des TIC démontre l’importance qui est accordée à la technologie comme outil pouvant à la fois permettre d’améliorer l’efficience et la qualité du service. Avec l’évolution rapide de la technologie sur l’échelle globale, il est important que Maurice se positionne parmi les leaders dans ce domaine, tout au moins au niveau de l’implémentation.
SBM Insights évoque également le concept du travail «intelligent» avec une attention particulière à la situation des femmes et des jeunes sur le marché du travail, et aussi à la nécessité d’adapter les horaires de travail à la stratégie de «hub» que j’ai mentionnée précédemment.
Les initiatives citées permettraient d’agrandir le marché consommateur sans nécessairement diminuer le taux d’épargne. Et devraient, à terme, favoriser l’investissement privé, la croissance et l’emploi.
Et quid de l’exécution de ces mesures ?
En même temps, en considérant les difficultés observées dans le passé pour s’assurer de l’exécution efficace des initiatives stratégiques, il est souhaitable qu’une équipe solide soit constituée pour veiller à leur mise en place, avec des paramètres de performance bien établis. Je tiens à souligner ici l’effort d’impliquer et d’engager les citoyens sur les réseaux sociaux à travers Mauritius Finance. Cette initiative devrait maintenant être renforcée et élargie. Une communication régulière sur les progrès accomplis par rapport aux thèmes prioritaires devrait aussi aider à mieux engager le citoyen lambda. En effet, dans ce contexte très difficile, l’apport de tout un chacun est primordial pour aider à l’avancement du pays.
Malgré la conjoncture difficile, je demeure optimiste car une politique propice à la croissance et au développement humain, associée à l’effort collectif, donnerait un deuxième souffle au pays.
Pravind Jugnauth n’a pas de choix. Le Budget 2016-17 aura à contenir une série de mesures post Brexit. D’ailleurs, «SBM Insights» consacre une bonne partie de son analyse à l’impact du Brexit sur l’économie du pays. Quelle est votre lecture de cette situation ?
Le Brexit vient compliquer davantage une situation qui était déjà difficile. En sus des mesures stratégiques énoncées, il faudrait garder une marge de manoeuvre pour réagir de manière rapide à des dangers qui pourraient émaner du Brexit comme des fonds de support temporaires ou le maintien d’une roupie compétitive.
Le ministre des Finances a lancé une réflexion sur le ciblage des bénéficiaires de certains privilèges découlant de l’État providence, dont la pension de vieillesse. Qu’en pensez-vous ?
La responsabilité sociale de l’État concerne surtout les plus démunis. De ce fait, le ciblage pourrait être un moyen efficace et économique de mieux protéger cette classe sociale. Certes, le ciblage comporte des défis comme le coût administratif ou la stigmatisation des bénéficiaires. Ici encore, l’utilisation de la technologie peut être envisagée pour assurer une distribution fiable, peu coûteuse et anonyme. Le système Aadhar en Inde en est un bon exemple.
La révision du traité fiscal entre Maurice et l’Inde devrait, selon certains spécialistes, entraîner la mort dans la forme actuelle du global business. Quelle est votre analyse de cette problématique?Voyez-vous dans le nouveau modèle du global business plus d’opportunités d’affaires ou une menace directe pour la bonne santé de ce secteur ?
Le sujet est discuté dans la dernière édition de SBM Insights, et va au-delà du seul traité fiscal Inde-Maurice. En effet, il semble y avoir un élan de changement assez important dans la fiscalité au niveau mondial, comme l’initiative du Base Erosion and Profit Shifting, ce qui pourrait effectivement être une menace pour le secteur global business dans sa forme actuelle. Mais il ne faut pas s’arrêter aux défis et réfléchir comment générer plus de valeur sur ce secteur, ce qui, une fois de plus, reposerait sur une plus grande ouverture, une adoption judicieuse de la technologie, la diversification des marchés, une meilleure connectivité et une politique de diplomatie économique adaptée. Au final, l’économie deviendrait encore plus diversifiée et résiliente. Je crois que les autorités comprennent les enjeux et sont en train de jeter les bases de cette transformation.
«SBM Insights» vente deux pays d’Afrique, la Côte d’Ivoire et le Kenya, qui recèlent de potentiels énormes d’investissements. Pourquoi le choix de ces deux pays ?
Le choix de ces pays est en conformité avec la stratégie africaine de Maurice. Suivant la fin de la guerre civile en Côte d’Ivoire en 2011, ce pays a entrepris une série de réformes visant à reconstruire son économie. Depuis, les choses se sont considérablement améliorées et le pays a connu une forte croissance économique, tout en maintenant la stabilité. Il vise maintenant à consolider cette situation en se lançant dans un nouveau plan national de développement quinquennal. Nous pensons que des opportunités existent pour les compagnies mauriciennes qui visent à diversifier et à agrandir leur production, ainsi que pour le secteur global business.
De même, le Kenya a lancé son programme Vision 2030 en2008 et est maintenant en train de récolter les bénéfices. L’intérêt des investisseurs locaux et étrangers est en hausse et la croissance économique a été supérieure à la moyenne sub-saharienne au cours des dernières années. Le Kenya est aussi moins affecté par le cycle des matières premières à beaucoup d’autres pays africains.
Ceci dit, il convient de souligner que ces deux pays ne sont pas les seuls qui recèlent d’un potentiel certain et nous nous intéresserons aussi à d’autres pays de la région dans les futures éditions de SBM Insights.
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