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Gerald Lincoln: «Le Budget crée un ‘feel-good factor’ pour la communauté des affaires»

3 août 2016, 17:31

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Gerald Lincoln: «Le Budget crée un ‘feel-good factor’ pour la communauté des affaires»

Le Managing Partner d’Ernst & Young estime que le ministre des Finances a frappé fort avec une politique de détaxe qui doit en théorie encourager la consommation et relancer la croissance. Il refuse toutefois l’idée que le Budget 2016-2017 soit un budget de rupture. Selon lui, cet exercice s’inscrit dans la continuité pour rassurer la communauté des affaires.

Le Budget de Pravind Jugnauth est qualifié de budget confetti qui manque cruellement de ligne directrice. Partagez-vous cette opinion ?

Absolument pas. De toute façon je n’ai jamais compris ce qu’était un budget confetti. Par ailleurs, il est faux de dire que cet exercice budgétaire manque de ligne directrice. Je le trouve très structuré, centré sur une douzaine de stratégies pour répondre aux diverses attentes de la population.

 

Il y a visiblement une réflexion derrière la préparation de ce document. À titre d’exemple, le combat contre la pauvreté, où je vois des mesures concrètes et ciblées pour s’attaquer aux racines de ce problème. Ou encore des mesures de relance pour donner confiance à la communauté des affaires.

Le Budget 2016-2017 se veut un budget de rupture. Estimez-vous qu’il a réussi dans sa mission ?

Un budget de rupture par rapport à quoi ? Est-ce par rapport à l’exercice précédent de Vishnu Lutchmeenaraidoo ? D’ailleurs, je note que le ministre des Finances n’a fait aucune mention, dans son discours, de smart cities.

Ceci dit, ce qui m’inquiète le plus dans un budget, c’est le mot rupture. Car un pays a besoin de stabilité économique et politique pour planifier son développement. Un budget doit s’inscrire dans la continuité et non dans la rupture – ce qui ne devrait pas rassurer les investisseurs. Imaginons… S’il y avait des changements de politique fiscale chaque année avec des taux d’imposition différent, cela aurait été dramatique pour le pays.

Or, je note dans le premier Budget de Pravind Jugnauth sous le nouveau gouvernement est une forme de continuité dans la politique économique et fiscale. Il faut continuer dans cette voie pour favoriser un environnement fiscal et sain susceptible d’attirer des investissements locaux et étrangers.

Le Budget 2016-2017 propose que Maurice passe à un nouveau palier de développement axé autour d’une dizaine de stratégies. Comment évaluez-vous la pertinence de ces stratégies dont certaines ont déjà été mises en place sans résultats probants ?

Ces stratégies ont le mérite de répondre concrètement aux urgences économiques et sociales du moment. Je note que la Budget Team de Pravind Jugnauth a bien identifié les priorités du moment en dégageant des solutions pratiques pour y répondre. Le plan Marshall pour lutter contre la pauvreté absolue, annoncé l’année dernière par Vishnu Lutchmeenaraidoo, figure cette année encore dans le Budget de Pravind Jugnauth. Avec la différence qu’il est cette fois-ci bien ficelé, concret avec les objectifs précis portant notamment sur la liste de 6 400 familles vivant dans la pauvreté absolue.

Une autre stratégie qui a fait ses preuves dans le passé est la réforme de la Business Facilitation. Le nouveau ministre des Finances va plus loin dans sa démarche en introduisant de nouvelles mesures visant à alléger au maximum les lourdeurs administratives auxquelles sont confrontés les investisseurs, plus particulièrement celles liées aux permis. Ce qui va certainement contribuer à la croissance du pays.

En parallèle, il y a un train de mesure concernant le secteur des petites et moyennes entreprises (PME) : le gouvernement compte, comme l’année dernière, mettre les bouchées doubles pour créer l’environnement nécessaire susceptible de motiver les jeunes à se lancer dans les projets de PME.

Un axe important du Budget est l’ouverture d’un grand chantier sur le front de l’emploi. Pensez-vous que les mesures annoncées répondent à la problématique du chômage, plus particulièrement des jeunes ?

Disons qu’à 7,6 %, le niveau du chômage n’a pas encore atteint un seuil critique qui puisse déboucher sur une crise. Le ministre a listé une série de mesures pour accompagner les jeunes chômeurs et les aider à se former afin de devenir employables et de pouvoir éventuellement intégrer le monde professionnel.

Certains secteurs, comme le tourisme, les services financiers ou encore le Business Process Outsourcing offrent aujourd’hui de meilleures perspectives d’emploi pour ces jeunes. Le gouvernement a créé des conditions favorables, avec une multitude de programmes pour permettre l’emploi des jeunes. Il faut que chacun en prenne avantage. À commencer par les jeunes eux-mêmes.

Dans le même registre, le gouvernement se propose de créer 7 200 emplois pour suppléer dans une certaine mesure à l’incapacité du secteur privé d’en faire autant. Est-ce la bonne stratégie, à notre étape actuelle de développement, de créer des emplois non productifs ?

Je ne crois pas que ce soit une bonne idée pour le gouvernement de surembaucher. Il ne faut pas se limiter au nombre de personnes qu’on recrute mais bien évidemment à la qualité des effectifs. Le rôle de l’État n’est pas de multiplier les recrutements mais de créer les conditions en tant que facilitateur pour permettre au privé de créer des emplois productifs. Pensez-vous qu’il faille doubler le nombre d’effectifs de la police pour réduire le nombre de crimes et éliminer le banditisme ? Certainement pas. Il faut surtout capitaliser sur les intelligences et autres services de renseignement de la police. Et là, c’est un autre type de recrutement qu’il faut privilégier.

Le Budget annonce une série de détaxes sur 398 produits liés aux ménages et couvrant d’autres secteurs économiques du pays, dont la filière automobile. En ce faisant, le ministre compte-t-il relancer la consommation et, par ricochet, la croissance économique ?

La détaxe de produits de consommation se poursuit dans ce Budget. C’est nécessairement une bonne chose car la finalité de cette démarche est de favoriser la consommation. Qui elle-même peut relancer la croissance. Dans beaucoup de pays, la consommation est devenue un vecteur de croissance.

Mais vu que nous importons presque 95 % des produits que nous consommons localement,  relancer la croissance à travers la consommation risque d’influer négativement sur la balance du compte courant, ce qui serait financièrement insoutenable dans le temps. Qu’en pensez-vous ?

Je ne sais pas si nous importons 95 % de tous ce que nous consommons. La balance des paiements liée aux marchandises est certes déficitaire mais quand on y ajoute la composante de services, la balance est excédentaire.

Le ministre a limité ses mesures budgétaires par rapport aux conséquences post-Brexit à un rabais de 40 % sur le fret aérien destiné aux opérateurs du textile. Est-ce suffisant quand on connaît l’importance du marché britannique pour les exportations mauriciennes ?

Au-delà de cette mesure budgétaire, il faut dire que le sujet du Brexit n’est pas bien compris par beaucoup de personnes, même ceux qui sont directement concernés. Le Royaume- Uni est notre principal marché et le restera, qu’il soit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Union européenne. Pour le moment, la livre sterling s’est lourdement dépréciée par rapport à l’euro et au dollar et accessoirement vis-à-vis de la roupie. Du coup, il est clair que les exportateurs de textile vers ce marché enregistreront un manque à gagner important. Ce qui a poussé la Mauritius Export Association à tirer la sonnette d’alarme. Mais il faut bien comprendre que la livre sterling ne va pas rester éternellement dans cette posture. Elle retrouvera sa valeur quand la situation s’éclaircira par rapport à son calendrier d’exit et aux mesures prises pour se repositionner au sein de l’Europe.

Le ministre des Finances a annoncé le démarrage du projet de Metro Express financé par des investissements indiens. Est-ce une priorité, à cette étape, pour notre système de transport en commun ?

Je pense que oui. D’ailleurs, ce projet aurait dû se matérialiser depuis longtemps. Un pays comme Maurice qui se positionne dans la modernité doit avoir un mass transit system qui correspond à son ambition.

Personnellement, c’est une des mesures qui m’ont particulièrement plu, vu qu’elle agira également sur la croissance avec le démarrage d’un grand chantier de construction.

Tout compte fait, peut-on dire que le premier Budget de Pravind Jugnauth sous ce nouveau gouvernement est venu à nouveau comme un «feel-good factor» pour les opérateurs économiques? Est-ce que cet exercice est venu répondre à leurs attentes ?

Face au climat d’incertitude suivant l’avènement d’un nouveau gouvernement et la nomination de trois ministres des Finances, on était dans l’expectative par rapport à ce Budget qui est présenté 14 mois après le dernier exercice.

Le Budget de Pravind Jugnauth est certainement venu rassurer la communauté des affaires en créant un nouveau feel good factor. Du reste, c’est une nouvelle fois un No-Tax Budget. Il a créé les conditions, il faut que les fonctionnaires et le privé prennent le relais pour faire aboutir cette nouvelle étape de développement.