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Analyse: Les nœuds, les coups de chapeau et… les confettis
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Analyse: Les nœuds, les coups de chapeau et… les confettis
J’ai écrit, sous le surtitre «Impression», mes premiers commentaires dans l’heure qui a suivi la présentation du Budget 2016-17, vendredi dernier. Le titre du document d’aujourd’hui reflète, je le pense, une meilleure appréhension de ce que ce Budget, que j’ai, entre-temps, relu attentivement, représentera dans les faits. On peut maintenant parler d’analyse.
D’abord, disons-le tout net, c’est un «bon» Budget dans le sens qu’il ne heurte pas grand monde, si ce n’est les fumeurs, les buveurs et les amateurs de sucre. En revanche, il fera plaisir à beaucoup, tant sous la forme de confettis, que de mesures solides.
Plus de 70 mesurettes
À ceux qui ne comprennent pas ce que «confetti» veut dire, expliquons qu’il s’agit de mesurettes, nombreuses et éparpillées, qui visent des personnes ou des secteurs particuliers sans qu’il n’y ait un impact vraiment matériel sur les affaires du pays (sauf peut-être cumulativement ?). À titre d’exemple, j’en ai compté plus de 70… de «rupture», qui veulent être «bold», qui veulent «break with the past», qui veulent «set a new course». Permettez-moi de suggérer que ces «confettis», souvent électoralistes, trouveraient plus leur place en annexe, plutôt que d’être ainsi saupoudrés.
En effet, ils diluent fortement un discours dessinant un «new era of development and prosperity», qui s’égrène pendant plus de deux heures. J’y inclus, par exemple, les «trade fees» suspendus pendant trois ans pour les PME. Cela fera 75 000 heureux propriétaires de PME, pour sûr, mais cette mesure incitera combien de nouvelles PME et combien d’emplois nouveaux ? Autres exemples : la réouverture de l’ancienne usine de thé de Dubreuil (paragraphe 77), la «clarification» que les films produits pour l’exportation sont «zero-rated» pour la TVA (112), les deux drones qui voient la nuit (207), le «survey» des 31 sites identifiés pour l’aquaculture (117), le «setting up of a high level committee» pour la réforme du plan de pension (414 – quoi, il n’y a pas eu assez de rapports déjà sur la question ?) ou les diverses mentions d’études pour les artistes (259), un musée de l’esclavage (256) ou la formation des policiers (202).
Mesures solides
Les mesures solides, parfois imaginatives, paraissent plus nombreuses et plutôt bien pensées, à la relecture. Les mesures pour accueillir les investisseurs étrangers ne semblent pas plaire à Lalit, mais le contraire eut été étonnant, voire inquiétant ! La subvention de 40 % sur le fret aérien, sur deux ans, aidera certes le textile exportateur. Peut-être même à mieux valoriser les soutes d’Air Mauritius. Les mesures pour l’économie verte (10 000 toits solaires, emmagasinage de l’électricité intermittente, projet waste-to-energy de 30 MW, dé- taxe pour voitures hybrides et électriques) sont bienvenues. Le début du plan Marshall contre la pauvreté est prometteur – avec des allures du Bolsa brésilien – et pourrait, finalement, avoir un réel impact si les bureaucrates jouent le jeu. Pour une meilleure connectivité, un troisième câble sous-marin pour compléter SAFE et LION, un réseau de fibre optique entre les îles, le FTTH (Fibre to the home) avant décembre 2017 sont encourageants.
Le Metro Express est une bonne décision (mais on va encore perdre du temps et de l’argent pour, maintenant, raccorder Heritage City au réseau ?). La Regional Training Academy pour l’aviation est une belle idée. Un accès plus efficace à l’eau mérite bien que l’on augmente les tarifs au-delà des 6 m3 . Le début annoncé de la réduction de gaspillages publics (mergers divers – espérons que les gains productifs (les licenciements) sont réels – plans de redressement à être soumis avant fin octobre pour les «public sector bodies» qui saignent) (364) va enfin s’attaquer à un os qui nous coûte déjà très cher ! Bonne chance ! La proposition d’effacer les intérêts si le capital est repayé entièrement crée un lourd précédent, mais est un «one off» qui peut aider. Les mesures pour encore faciliter l’accès au logement vont ouvrir des portes.
Bypass les contraintes
Dans l’Annexe, les leçons apprises de la débâcle BAI mènent à modifier le Banking Act et le BoM Act (encore que la rotation obligatoire des auditeurs va créer de nouveaux problèmes – que seuls le tandem d’auditeurs – style MCB – peut tempérer ?), l’Occupation Permit est fluidifié, l’industrie de la retraite (idée qui rôde pourtant depuis 20 ans !) est enfin encouragée. En général, les permis seront traités plus rapidement, le Freeport sera moins contraignant, le marché foncier plus ouvert aux étrangers – ce qui va créer des opportunités nouvelles. Le cri du cœur de vouloir «free our economy from the stifling bureaucracy and get it out of the constraining mould of laws, regulations and administrative procedures that have not been able to adapt to the new exigencies» (149) ainsi que les mesures proposées en conséquence font chaud au cœur. Encore que l’on choisit de «bypass» ces contraintes en s’appuyant sur le Board of Investment, plutôt que de les éliminer complètement. Pourquoi ?
Le nœud principal de l’investissement sera-t-il desserré en conséquence ? Cela dépendra sans doute de la vitesse avec laquelle les mesures annoncées peuvent être concrétisées et aussi de l’intérêt suscité par le Budget chez les investisseurs, y compris, crucialement, chez les étrangers.
Problèmes de base
Mais il reste les autres nœuds, c’est-à-dire les problèmes de base de l’économie auxquels l’on ne s’attaque pas et qui peuvent, d’une manière ou d’une autre, contraindre les bonnes mesures et les bonnes intentions.
Comment fait-on, par exemple, pour justifier, au coût (initial ?) de Rs 2,7 milliards, un nouveau Parlement, des bureaux flambant neufs alors qu’on n’en manque pas (383) et que la stratégie 6 de l’infrastructure est de «make investments that would strengthen growth and raise productivity» ?
Comment croire que l’on va enfin améliorer la productivité des services publics avec 7 200 emplois de plus ? Le diagnostic est-il donc que c’était le… manque d’employés qui était la contrainte véritable ?
Ce Budget ne parle d’ailleurs ni de méritocratie, ni des services du Welfare State que nous aurions intérêt à focaliser sur ceux que l’on veut sortir de la misère (réelle et relative), ni de solutions pour le fonds de pension national, ni de la guerre ouverte nécessaire contre tout le fatras qui ralentit la productivité nationale, ni d’une politique salariale en adéquation avec celle-ci, ni d’un changement fondamental de curriculum dans l’éducation, ni… Le Premier ministre résume tout cela en disant que le Mauricien a besoin de «changer de mentalité»… c’est vrai, mais il faudra bien plus que d’en parler…
Le pari est peut-être que l’on parlera de ces nœuds quand l’économie sera à nouveau sur les bons rails ? Peut-être ! Mais si l’on rate cette occasion – c’est pour cela qu’il faut donner à ce Budget sa chance – il faut bien comprendre qu’il n’y aura plus «Mother India» pour nous tirer de là dans quatre ans et qu’à la sortie, sans croissance au-delà de 4 %, avec un baril de pétrole à nouveau à 100 dollars et sans les Rs 12,7 milliards encaissées cette fois de l’Inde – il n’y au- ra pas une 2e compensation post-DTAA –, nous aurons ouvert un trou béant qu’il nous sera bien difficile de reboucher avec les emplois publics additionnels, les subventions et détaxes de toutes sortes, notre «work ethic» pas toujours à la hauteur, notre productivité nationale en berne, l’avenir du plan de pension menacé.
Remarquez que nous aurons alors un Parlement tout neuf dans lequel on pourra en débattre et duquel émergera apparemment une lumière tellement forte (alimenté par le soleil, dit-on) qu’elle sera visible sur toute l’île ! Si seulement… Si seulement…
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