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Mario de l’Estrac: 40 ans d’aventures humaines intenses

20 août 2016, 16:17

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Mario de l’Estrac: 40 ans d’aventures humaines intenses

Lorsque l’on regarde ce benjamin de la famille de l’Estrac, qui tient une forme extraordinaire pour ses 64 ans, on a du mal à croire que quatre ans plus tôt, il avait frôlé la mort en raison d’artères bouchées qui lui ont valu quatre pontages coronariens. Et avant de se laisser anesthésier, Mario de l’Estrac n’a pas manqué d’insister auprès du chirurgien cardiaque qu’il soit remis sur pied au plus vite pour pouvoir regagner l’île des Deux Cocos, au sud-est de Maurice, dont il est le manager. Une réaction compréhensible quand on sait que l’hôtellerie est toute sa vie et qu’il est un passionné des contacts humains.

Si le manager n’hésite pas à raconter son parcours, on sent qu’il est dans la retenue, qu’il pèse ses mots. Attitude qu’il a acquise dans ce corps de métier. En évoquant, par exemple, son séjour de deux ans à l’hôtel Lémuria, à Praslin, il n’avoue pas que les Seychellois lui ont donné du fil à retordre. Il se contente de la formule: «It was hell in paradise.» Il ne dira pas non plus que les jeunes qui entrent dans l’hôtellerie aujourd’hui veulent gagner gros en travaillant peu. Il préfère dire qu’«ils pensent davantage à la partie sociale de leur vie».

Ce natif de Mahébourg, dont la famille s’est installée sur le plateau central après la démolition de leur maison par le cyclone Carol dans les années 60, a toujours fait un ballet entre la restauration et l’hôtellerie. À l’issue de sa scolarité, il fait son entrée dans la vie active comme représentant des ventes pour une célèbre marque de machines à coudre. Étant chanteur dans la chorale de l’église du Rosaire et féru d’animation, il devient animateur au sein d’un groupe qui fait des spectacles, notamment au Magic Lantern.

L’hôtellerie étant alors à ses premiers balbutiements, Mario de l’Estrac décide de s’y intéresser et tente de se faire embaucher au Club Med qui vient d’ouvrir ses portes. «Mais avec un nom comme le mien, il n’y a pas eu de place pour moi», dit-il en toute franchise. Persévérant, il s’inscrit à l’École hôtelière pour suivre les cours menant au certificat d’aptitudes professionnelles (CAP) de cuisine. «J’ai opté pour la cuisine car je voulais commencer avec la base du métier.» Ces six mois de cours à plein-temps sont assortis de stages les week-ends à l’hôtel Le Saint Géran avec le chef Barry Andrews, de même qu’à La Pirogue.

Après quoi, Mario de l’Estrac embraye avec un CAP en service, toujours auprès de la même institution. Lorsqu’il termine sa formation, il fait ses premières armes à l’hôtel Paul et Virginie en tant que maître d’hôtel avant d’être embauché comme Trainee Restaurant Manager à l’hôtel Paradis Brabant, au Morne. Perfectionniste, son application à la tâche paie et il est nommé très vite responsable du restaurant de la plage qui fait 350 couverts le midi et 250 couverts le soir. Bien que marié à Arianne et père de quatre filles, il habite sur place cinq jours sur sept. Il reste au service de l’hôtel pour une dizaine d’années.

«C’était passionnant. J’ai vu cet hôtel se développer. L’industrie naissait et il fallait tout inventer. Je n’ai cessé d’apprendre. D’abord à maîtriser mes émotions et ensuite être au service des autres. Cela demande une ouverture d’esprit et une positivité.»

À la suite d’un désaccord avec la direction de l’hôtel, il prend le pari de cogérer l’Étoile de Mer, un petit hôtel à Trou-aux-Biches. L’aventure dure un an et demi avant qu’il ne soit débauché pour aller ouvrir le restaurant gastronomique Le Pescatore, qu’il considère comme le meilleur de l’île. Il y travaille sept jours sur sept. Après quoi, il est recruté comme responsable des relations publiques à l’hôtel Berjaya, où il reste trois ans. «Lorsque le manager américain était là, c’était extraordinaire. Les Malaysiens, qui sont venus ensuite, ont une conception asiatique du métier, alors que nous, nous en avons une conception européenne», se contente-t-il de dire.

Il intègre le groupe Naïade et est affecté à la restauration du Pavillon, avant d’aller tâter un peu d’animation à la radio. Mario de l’Estrac est ensuite embauché par le groupe Constance et est envoyé à l’hôtel Lémuria, aux Seychelles, en tant que Staff Facility Manager. Il a 300 personnes à sa charge.

«Mes prédécesseurs ont tenu six mois. J’ai été le seul à être resté pendant deux ans. Ce qui a fait la différence, c’est que j’étais le premier arrivé et le dernier à partir. Et durant les week-ends, je faisais la tournée des quartiers des employés pour leur montrer que j’étais bien avec eux. Même si c’était un bel endroit, au bout de deux ans, j’ai commencé à en avoir ras-le-bol et à devenir malheureux.» Donc il démissionne pour regagner Maurice.

Après un épisode assez bref dans la restauration au Kapu Kai, centre de loisirs appartenant au défunt groupe BAI, le sexagénaire rejoint à nouveau le groupe Naïade qui lui offre un emploi en tant qu’assistant de l’Island Manager à l’île des Deux Cocos. C’est en 2004. Six mois plus tard, il est nommé Island Manager. «C’était un challenge car c’était un endroit à exploiter de façon phénoménale. Dans ma tête, il fallait faire parler de l’île des Deux Cocos et la rendre aussi populaire que l’île aux Cerfs.»

Avec l’accord de la direction, Mario de l’Estrac travaille sur un plan d’organisation d’excursions, de soirées à thème, de mariages, de fêtes d’entreprises. Il fait du démarchage auprès des Destination Management Companies (DMC), vendant l’île aux groupes et leur donnant la possibilité d’avoir l’exclusivité pour la journée s’ils sont 80 personnes. En haute saison, c’est avec les soirées à thème qu’il cartonne. Il en organise une dizaine par mois. Il estime que la plus belle soirée qu’il a organisée jusqu’ici est celle pour une DMC dont le thème était «Anges ou Démons». «Nous avons déjà des réservations de soirées pour l’année prochaine», souligne-t-il.

Le plus beau mariage qu’il a organisé sur l’île est celui de 30 couples chinois qui se sont dit «oui» simultanément au cours d’une cérémonie baptisée «Amazing Love».

«Je ne suis pas contre les expatriés, mais des Mauriciens sont chefs exécutifs à Dubaï, en France, en Australie, au Canada et s’ils ne retournent pas à Maurice, c’est parce qu’ils savent qu’à compétences égales, ils seront moins bien payés que les expatriés.»

Ce bosseur, qui ne quitte pas l’île tant que le dernier convive n’est pas parti, demeure, même après 40 ans, toujours aussi passionné de son métier. «Si c’était à refaire, je le referais, en essayant de me former davantage. Mais ma famille n’avait pas les moyens.»

En parlant de famille, le fait de vivre dans l’ombre de son aîné Jean-Claude de l’Estrac a-t-il pesé sur lui? «Oui et non. Cela a été extrêmement difficile pour moi de laisser mes marques car j’étais toujours étiqueté comme le frère de… Je répondais: ‘Non, je suis Mario’. Mais c’est en prenant le poste sur l’île des Deux Cocos que j’ai réussi à le faire. Aujourd’hui, on associe l’île à moi. Cela dit, c’est toujours extrêmement difficile de porter le nom de l’Estrac pour des raisons évidentes. On fait les frais des choix politiques de l’autre…»

La retraite n’étant pas si loin, le manager de l’île des Deux Cocos soupèse ses options. Il songe à se mettre à son compte, mais aussi à animer des cours de formation pour transmettre son expérience dans l’hôtellerie, industrie pour laquelle il nourrit quelques craintes. «Le personnel est plus difficile à gérer de nos jours. De mon temps, les jeunes entraient dans l’hôtellerie par obligation car il n’y avait pas d’autres métiers. Et ils travaillaient dur pour un salaire de misère. Il y a 20 ans, le petit personnel travaillait entre 12 et 16 heures et logeait sur place. Aujourd’hui, c’est  inconcevable

Mario de l’Estrac évoque aussi la nécessité d’étoffer les cours offerts par l’École hôtelière. «Le groupe Lux investit énormément dans la formation de ses employés et sa politique sur l’île des Deux Cocos est d’avoir entre une et deux heures de formation hebdomadaires obligatoires. Chapeau à Paul Jones qui a compris que le software est plus important que le hardware; qui dit software, dit l’humain. Mais le jeune qui vient de l’École hôtelière après deux ans d’études tâtonne encore. Il faut, selon moi, revoir les bases de la formation dispensée par cette école.»

Mario de l’Estrac estime aussi que les groupes hôteliers devraient donner la chance aux Mauriciens qui sont allés se perfectionner à l’étranger. «Je ne suis pas contre les expatriés, mais des Mauriciens sont chefs exécutifs à Dubaï, en France, en Australie, au Canada et s’ils ne retournent pas à Maurice, c’est parce qu’ils savent qu’à compétences égales, ils seront moins bien payés que les expatriés. Or, les Mauriciens sont aussi compétents qu’eux et il faudrait leur donner la chance de le prouver

Par ailleurs, il pense que les groupes hôteliers mauriciens ont eu raison d’insérer une touche d’authenticité locale dans leurs offres. «Les groupes étrangers implantent un générique, un concept international uniforme qui n’est pas adapté

Ne comptez pas sur lui pour vous dire quelles célébrités il a croisées au long de sa carrière. Il se contente de dire: «Il y a des gens que tu vois et tu te dis : ‘Ils sont inaccessibles’. Mais leur simplicité s’avère déconcertante. Je parle là de têtes couronnées comme de vedettes. Mais ne m’en demandez pas davantage.» S’il est heureux d’une chose, c’est qu’après 12 ans sur l’île des Deux Cocos, l’organisation est rodée et lui laisse davantage de temps pour parler aux touristes et Mauriciens qui visitent l’île. «Je ne me lasse jamais d’aller à la rencontre de l’autre…»