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Crise conjoncturelle- Afrique : quand deux géants économiques piquent du nez

7 septembre 2016, 19:45

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Crise conjoncturelle- Afrique : quand deux géants économiques piquent du nez

 

Simple coïncidence, effets de la conjoncture internationale ou conséquences d’une mauvaise gouvernance ? Les raisons ne manquent pas pour expliquer le recul de deux géants africains qui ont longtemps rivalisé pour prendre le leadership économique du continent, plus particulièrement en Afrique sub-saharienne. L’Afrique du Sud et le Nigeria sont effectivement à la traîne depuis un certain temps, leurs principaux indicateurs virant au rouge.

Aujourd’hui, des questions se posent au sujet de la crise économique à laquelle ces deux pays sont confrontés. C’est le cas de l’économie sud-africaine qui s’enlise, avec une croissance en panne – à 0 % actuellement – alors qu’elle s’élevait à 1,3 % en 2015. L’estimation de 1,2 % en 2017 est loin de donner à cette puissance économique le souffle nécessaire pour incarner l’espoir de ses 55 millions d’habitants.

Le faible taux de croissance, couplé  à un taux de chômage atteignant 26,7 % de la population active et aux effets négatifs de la mauvaise gouvernance du président Jacob Zuma, explique d’ailleurs la défaite subie par le gouvernement de l’African National Congress (ANC) le 6 août, lors des élections municipales à Pretoria. Et ce, face au principal parti d’opposition, l’Alliance démocratique que dirige Mmusi Maimane, devenu son principal challenger. Cette défaite vient s’ajouter à celle enregistrée à Nelson Mandela Bay, sixième métropole du pays, où se trouve Port Elizabeth.

«Il est évident que cette défaite électorale est lourdement ressentie par la population sud-africaine qui cherche désespérément des lendemains meilleurs. Du coup, de nombreuses familles, voire des professionnels, tentent de fuir ce pays pour s’installer en Australie, en Angleterre et même à Maurice», constate Gerald Lincoln, Managing Partner du cabinet d’audit Ernst & Young, qui fait partie du réseau E&Y d’Afrique.

Faut-il pour autant faire une croix sur l’Afrique du Sud comme géant économique du continent ? Absolument pas, rétorque le patron de ce cabinet d’audit, qui maintient que ce pays, malgré ses revers, saura se ressaisir pour retrouver son rôle de leadership économique dans cette partie du monde. «Ce pays reste une puissance difficilement détrônable par d’autres États en Afrique. Tôt ou tard, avant les prochaines élections, il deviendra cette force économique, d’autant plus qu’il possède d’énormes ressources minérales et un des meilleurs centres financiers mondiaux abritant les quartiers généraux de grandes multinationales», ajoute Gerald Lincoln.

Et quid des implications pour Maurice dans la mesure où l’Afrique du Sud demeure un partenaire commercial privilégié ? Gerald Lincoln ne prévoit pas de répercussions commerciales directes. Au contraire, dit-il, on peut en prendre avantage car le malheur des uns peut faire le bonheur des autres. Une analyse que partage Afsar Ebrahim, Deputy Group Managing Partner de BDO. «Nous pourrons tirer avantage de cette situation si nous adoptons une approche plus conviviale face à l’ouverture de l’économie. L’Afrique du Sud demeure néanmoins une grosse pointure et il y aura toujours des opportunités pour y investir. Les problèmes politiques peuvent également créer des opportunités pour les investisseurs avisés.»

(Voir l’entretien ci-dessous).

Le géant d’Afrique de l’Ouest, le Nigeria, se retrouve également dans la même situation, victime de la chute des prix de l’or noir mais aussi de l’insécurité liée à la présence de groupes armés qui font régner la terreur en explosant les installations pétrolières. Le pays vient de perdre son rang de premier exportateur de pétrole du continent.

Le pays vient de connaître cette année deux trimestres de décroissance. Après une baisse de 0,4 % entre janvier et mars, le produit intérieur brut a enregistré un recul de 2,1 % au deuxième trimestre. Une situation que le Nigeria n’a pas connue depuis plus de vingt ans.

Résultat des courses : la nation s’est enfoncée dans la récession. Et ce pays qui tire 70 % de ses revenus de sa production pétrolière, a laissé la place de leader économique africain à l’Afrique du Sud, selon les derniers calculs des PIB en dollars établisrécemment publiés par le Fonds monétaire international.

Et l’institution financière d’ajouter que la plus grande économie du continent fait face «à des pénuries de devises provoquées par la baisse des recettes pétrolières, à la faible production d’énergie électrique et à une perte de  confiance des investisseurs». Ces révisions apportées à la croissance du Nigeria sont «la principale raison de la rétrogradation des perspectives de croissance du groupe des pays en développement à faible revenu».

La chute de ces deux colosses aux pieds d’argile risque d’être dommageable pour l’Afrique même si les observateurs et autres représentants d’institutions financières estiment que ces deux pays ont suffisamment de résilience pour se remettre d’aplomb.

 

Des colosses aux pieds d’argile
Des colosses aux pieds d’argile

 

 

Questions à… Afsar Ebrahim, Deputy Group Managing Partner, BDO: «L’Afrique du Sud et le Nigeria n’ont pas surmonté la crise de 2008»

 

 

Considérés comme deux géants économiques en Afrique, l’Afrique du Sud et le Nigeria se retrouvent aujourd’hui confrontés à de graves crises économiques menaçant leur rôle de leaders dans cette partie du monde. Comment analysez-vous cette situation ?

Ni l’Afrique du Sud et ni le Nigeria n’ont surmonté la crise financière mondiale de 2008. La chute des prix des matières premières, associée à un leadership inadapté,  à une mauvaise gouvernance et à une corruption grandissante, a paralysé ces économies.

La grande déception est venue de la situation politique en Afrique de Sud. La relation entre le monde des affaires et le gouvernement est dysfonctionnelle. Le revirement en ce qui concerne des politiques de placement et le doute qui a plané autour de la nomination de trois ministres des Finances en quatre jours ont ébranlé la confiance du peuple.

Quand Pravin Gordhan, le ministre actuel, a été nommé, cela a apporté un répit provisoire, mais il fait aujourd’hui face à des enquêtes. Les investisseurs vont bien évidemment rester sur leurs gardes.

C’est une situation qui risque de perdurer…

La lente croissance économique, la menace du downgrade et l’inaptitude du gouvernement à convaincre les investisseurs qu’un redressement est possible continue à réduire la confiance. La situation en Afrique du Sud est le reflet de ce qui se passe quand les gouvernements du tiers monde pensent qu’ils peuvent s’en sortir en mettant en place un plus grand gouvernement, en interférant dans le monde des affaires, en faisant fuir les investisseurs étrangers, en décrétant des politiques sociales qui rongent les affaires, en refusant d’investir dans une infrastructure adéquate et en faisant preuve de népotisme.

Comment Maurice peut-il tirer avantage de la crise sud-africaine ?

Le gouvernement sud-africain s’est embarqué dans une mission délicate. Il y a des entreprises sud-africaines qui sont devenues des first world class companies même si l’Afrique du Sud est un pays du tiers monde. Ces entreprises investissent au niveau international et de fait diminuent leur dépendance de l’économie sud-africaine.

Espérons que nous verrons davantage d’entreprises sud-africaines passer par Maurice pour investir au niveau international. Nous pourrons ainsi bénéficier de cette situation si nous adoptons une approche plus conviviale face à l’ouverture de l’économie.

L’Afrique du Sud demeure néanmoins une grosse pointure et il y aura toujours des opportunités pour y investir. Les problèmes politiques peuvent également créer des opportunités pour les investisseurs avisés. Mais à moins que des politiques propices au commerce ne soient introduites, l’Afrique du Sud peut continuer à sombrer.