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Rita Venkatasawmy, Ombudsperson for Children : «Il faut fermer les centres de réhabilitation pour mineurs»

17 octobre 2016, 20:00

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Rita Venkatasawmy, Ombudsperson for Children : «Il faut fermer les centres  de réhabilitation pour mineurs»

Dix mois après sa prise de fonction, l’«Ombudsperson for Children» lance un cri d’alarme sur la situation des enfants délinquants. Et jette ce pavé dans la mare : «Les ‘Rehabilitation Youth Centres’ sont plus propices à la récidive qu’à la réhabilitation». Interview sans barreaux.

Vous avez publié mercredi un rapport sévère sur la manière de traiter la délinquance juvénile. Pourquoi ce sujet ?

Parce qu’il me semble relever de la plus grande urgence. Je ne sais pas si ce rapport est «sévère». C’est un diagnostic, une analyse profonde de la situation des enfants en conflit avec la loi. Je me suis efforcée de regarder la réalité en face, sans faux-semblants.

Qu’avez-vous vu de plus choquant ?

L’enfermement, la souffrance. Un enfant de 12 ans enfermé dans un centre de détention, c’est choquant. Les RYC et les CYC (NdlR, Rehabilitation Youth Centre et Correctional Youth Centre) sont des prisons qui ne disent pas leur nom. Les conditions de vie y sont parfois déplorables, proches de celles d’un «vrai» prisonnier. Les enfants sont privés de leurs droits fondamentaux, loin de leur famille. Ils perdent les années les plus importantes de leur vie derrière des barreaux. Ils n’ont plus accès aux loisirs, à l’école. Sans une scolarité normale, toute entreprise de réinsertion est vaine.

Qu’entendez-vous par «scolarité normale» ?

De la Form I à la Form IV, tout le monde est dans la même classe. C’est ce que j’appelle «l’école à l’agaléenne». Ceux qui ont le plus besoin d’école sont ceux qui en ont le moins.

Comment en est-on arrivé là ?

Le législateur mauricien n’a toujours pas défini l’âge minimum de la responsabilité pénale. Il est grand temps d’établir ce seuil.

Cela changerait quoi ?

Admettons que nous fixions ce seuil à 14 ans (NdlR, la fourchette est comprise entre 7 et 16 ans selon les pays), eh bien, en dessous de cet âge, aucun enfant ne pourrait être poursuivi pénalement.

Ce seuil n’est-il pas une obligation ?

Si, la Convention internationale des droits de l’enfant l’exige. Maurice a signé ce texte mais n’applique pas l’article 40. Régulièrement, les Nations unies nous rappellent à l’ordre à ce sujet.

Vous avez multiplié les échanges avec les jeunes des centres de détention. Que vous ont-ils dit ?

J’ai vu de tout ; des jeunes brisés, complètement perdus ; d’autres qui font preuve d’une maturité déconcertante. Beaucoup ont été victimes avant d’être coupables, ils ont subi des abus en tout genre. Tous veulent sortir, retourner à l’école et, plus que tout, retrouver une famille, même si ce n’est pas la leur.

Après avoir lu votre rapport, on se dit que ces centres ne sont peut-être plus LA solution pour les mineurs délinquants…

Au cours de mon enquête, j’ai effectivement constaté de nombreux dysfonctionnements. On a d’abord un problème de locaux, de structure. Ce que l’on appelle «centre de réhabilitation», en réalité, n’est pas un lieu adapté à la réhabilitation. Parfois, c’est même un lieu propice à la récidive. On a aussi un problème d’encadrement, avec un personnel peu formé et mal rémunéré.

Sur le taux de récidive, a-t-on fait des études chiffrées ?

Non, les RYC et les CYC n’ont jamais été sérieusement évalués. Personne ne connaît leur impact sur la récidive et  la réinsertion.

Pour vous, ces centres sont-ils voués à l’échec ?

Il y a certainement mieux à faire…

Cessons de tourner autour du pot : faut-il les fermer ?

(Hésitante) Je ne le dirais pas de façon  aussi directe.

Vous le diriez comment ?

Il faut créer de petites unités thérapeutiques.

Ce qui revient à fermer les centres actuels, non ?

Oui, il faut les fermer.

«Les RYC et les CYC sont des prisons qui ne disent pas leur nom.»

Lesquels en priorité ?

Les RYC. Pour les CYC, c’est plus compliqué, on parle de délits plus graves. On ne peut pas lâcher ces jeunes dans la nature.

Pourquoi un mineur est-il placé dans un RYC ?

Pour vol, petit trafic ou parce qu’il est uncontrollable. C’est le terme juridique, celui qui est mentionné dans l’article18 de la Juvenile Offenders Act. Cette loi date de 1935, elle n’est  plus adaptée aux  réalités actuelles.

C’est-à-dire ?

L’expression «uncontrollable juveniles» n’existe dans aucune autre législation. Prenons un exemple très concret : une jeune fille de 16 ans qui voudrait aller en boîte de nuit. Ses parents refusent, elle insiste, il y a conflit. Les parents n’arrivent pas à imposer leur autorité, elle finit par fuguer. C’est un cas d’uncontrollable juvenile, un magistrat peut l’envoyer  au RYC.

Sans plus d’éléments ?

Le papa peut dire : ‘Enn fay tifi sa, pa kapav kontrol li ditou’, et c’est joué. Les officiers des RYC connaissent ça par cœur. Le parent qui n’a plus d’emprise sur son enfant vient leur dire : ‘Prenez-le, redressez-le, faites en sorte qu’il m’obéisse à sa sortie’. Évidemment, ça ne marche pas comme ça, on ne redresse rien, on abîme. Au RYC, j’ai rencontré une fille-mère de 16 ans, avec son bébé. Elle a été victime d’abus sexuels par son père. Lui est sorti de prison sous caution ; elle non, elle reste à l’intérieur. Cet article 18 est devenu le symbole d’une justice qui échoue.

Vous proposez quoi ?

Abrogeons cette loi et allons vers une Juvenile Justice Act. L’ONU – plus exactement le Comité des droits de l’enfant – nous le demande depuis 1996. Là encore, le droit mauricien n’est pas en conformité avec la Convention.

Ce qui revient à dire que notre justice des mineurs est un domaine où les violations des engagements pris sont nombreuses  et répétées.

C’est dit de façon un peu rude mais c’est le cas.

Cette nouvelle loi, est-ce la priorité de votre mandat ?

C’est fondamental. Sans un nouveau cadre juridique, rien ne changera.

Êtes-vous optimiste ?

(Hésitante) Cela ne dépend pas de moi, mais des décideurs politiques.

Quelle pourrait être la philosophie de cette Juvenile Justice Act ?

Avant de pouvoir répondre, il y a une réflexion profonde à mener sur le type de société que nous voulons. Nous avons un choix à faire entre le punitif et le «réhabilitatif». La balance aujourd’hui penche du côté punitif. Or ce modèle a échoué, on le sait. Les spécialistes de ces questions nous le disent avec force : ‘We need restorative justice’, une justice «réparatrice». L’idée, c’est de passer de ‘Qu’a fait cet enfant ? Comment le punir ?’ à ‘Que faire maintenant ?’ ‘Comment le responsabiliser et l’aider à  s’en sortir’.

Votre rapport se termine avec une image forte (elle coupe)…

On a hésité à la  publier…

Sous des silhouettes d’enfants derrière des barreaux, cette phrase : «Less Court, more Care». N’est-ce pas un peu caricatural et simpliste comme approche ?

Non. Je crois que nous vivons une crise du care, qui va bien au-delà de la protection de l’enfance. Ce qu’il faut, dans le fond, ce n’est pas plus de care mais plus que le care : comprendre que l’humain dépend de l’humain.

Ne craignez-vous pas d’être taxée d’utopiste ?

Je n’ai pas la prétention de changer le monde, j’aimerais juste essayer d’y contribuer un peu.

On vous reproche parfois de faire le jeu de l’enfant-despote barricadé de droits…

Cette critique me fait mal. Je n’ai jamais été une militante de l’enfant-roi tyrannique et je ne le serai jamais. Mon combat, c’est la reconnaissance de l’enfant comme personne, comme individu à part entière. C’est le fait de lui reconnaître des droits, une identité qui ne se réduit pas à celle de «petit». Ces jours-ci, un autre reproche m’a interpellé : ‘Rita, tu y vas un peu fort dans ton rapport, ça pourrait nuire à  certaines personnes’…

Vous a-t-on demandé d’être plus docile ?

Non, c’est plus habile. ‘Tu es sûre qu’il faut développer à ce point ?’, ce genre de petites phrases.

Que répondez-vous ?

L’Ombudsperson n’a pas pour vocation de peindre son rapport en rose.

Puisqu’on est dans les confidences, votre oncle, le Premier ministre, se retirera quand ?

(Elle tique) Ayo, ou enn terib ou ! Je ne me mêle pas de politique, relisez l’Ombudsperson for Children Act.

La loi oblige-t-elle à se boucher les oreilles aux secrets de famille ?

Je participe aux dîners familiaux, aux sorties, ça oui, mais je ne suis pas dans les petits secrets.

Et les grands ?

Non plus ! J’évite les secrets, ça me permet de ne pas avoir à les garder ! (Rires)

Une question plus personnelle. Protéger l’enfance, vous l’avez dit, c’est être confronté à de la souffrance. Et vous, comment vous protégez-vous ?

(Elle joint les mains comme si elle priait) Je médite beaucoup. J’ai des amis, ma fille, ma mère, mais la solitude m’apaise. Le soir, en tête-à-tête avec moi-même, je me ressource. Si je sors, c’est pour contempler un ciel étoilé, un croissant de Lune. Ça me fait du bien, ça me donne de l’énergie. J’ai la solitude heureuse et vivifiante.