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Rapport Ease of Doing Business 2017: pourquoi Maurice est loin d’être sorti d’affaire
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Rapport Ease of Doing Business 2017: pourquoi Maurice est loin d’être sorti d’affaire
Maurice n’a perdu que sept places – au lieu de 17 – au classement «Ease of Doing Business», suivant une révision effectuée par la Banque mondiale. Le pays n’a pas pour autant tiré son épingle du jeu. Les opérateurs estiment que la priorité est à la concertation entre le secteur privé et le gouvernement pour trouver des solutions concrètes à court et long termes. Comment ce rapport est-il compilé ? Pourquoi est-il si important ? Éclairage.
Compilation des données: l’empreinte du monde des affaires
L’on imagine parfois des experts installés dans un bureau de Washington, rédigeant des rapports sur des contrées lointaines où ils n’ont jamais mis les pieds. Peut-être même est-ce la vision que nous avons de ceux qui ont écrit le rapport Ease of Doing Business 2017 de la Banque mondiale (BM). Or, ce document résulte d’un vaste exercice de consultations réalisées dans chaque pays auprès des acteurs impliqués directement dans les filières d’activités qui constituent l’ensemble des éléments analysés par la BM.
En effet, des questionnaires ont été envoyés à 67 représentants opérant dans différents secteurs d’activités. Parmi ces secteurs figurent, entre autres, la filière spécialisée dans la prestation de conseil auprès des hommes d’affaires, des banques, des organismes parapublics comme le Central Electricity Board (CEB) et la Waste Water Management Authority (WMA), des cabinets d’avocats, des firmes d’audits, des études de notaires, la Banque centrale, des cabinets d’architectes, des ingénieurs…
«La réalisation de cette enquête se fait sur une base scientifique. Ses méthodes sont très rigoureuses», explique Arvin Halkhoree de Juristconsult Chambers dont sept membres ont répondu aux questionnaires de la BM. «Cette rigueur se manifeste par le souci de revérifier les informations fournies sur les formulaires en cas de doute. J’ai été consulté par des experts de la BM directement du siège de la maison-mère. Ce qui m’incite à indiquer que le contenu de ce rapport reflète fidèlement ce qui se passe sur le terrain.» Une des leçons que le pays devrait tirer de cet exercice, selon lui, c’est qu’il faut veiller à ce que «les promesses faites en grande pompe se traduisent dans les faits et dans la pratique».
Tout en reconnaissant que le rapport de la BM révèle l’existence de problèmes réels, Daniel Ng Cheong Hin, Chief Executive Officer de Mauritius Cargo Community Services Ltd (MCCS) estime que la BM devrait apporter davantage de rigueur dans la répartition des questionnaires. «Il n’est pas impossible que, dans certains cas, des réponses fournies ne reposent pas sur les faits empiriques mais sur la base d’ouï-dire et de perception. L’ignorance ou la réticence à recourir à des faits peut fausser les résultats finaux des données.»
Manque de coordination
Daniel Ng Cheong Hin, regrette que la BM n’ait pas jugé utile de se fier à ses données pour statuer sur la filière de l’embarquement et du chargement des conteneurs – le MCCS est une des premières illustrations de la volonté du gouvernement mauricien à moderniser les services d’importations et d’exportations au port et à l’aéroport dans le but de faciliter la conduite des affaires dans le pays. «Donnez-moi, le numéro d’identification de n’importe quel conteneur et je vous dirai combien de temps, on a pris pour le débarquer ou l’embarquer. La BM peut facilement avoir accès à nos données.»
Par contre et Arvin Halkhoree et Daniel Ng Cheong Hin s’accordent à dire qu’il y a un manque considérable de coordination entre les organismes d’État. Ce sont parfois des pratiques banales qui peuvent envenimer la situation. Comme par exemple, le report de la vérification d’un conteneur parce qu’un des deux services impliqués dans l’exercice ne s’est pas présenté. Ou bien l’investisseur emballé par des déclarations ministérielles décide de lancer un business mais bute sur une bureaucratie lourde et encombrante.
Une dégringolade aux conséquences désastreuses
<p>Même si le <em>Board of Investment</em> (BoI) peut affirmer que la chute dans le classement n’est pas vertigineuse – Maurice n’ayant perdu que sept places –, les failles notées et relevées dans le rapport sont néanmoins prises très au sérieux par les opérateurs économiques.</p>
<p>Ces derniers estiment que sans une tentative de corriger ces manquements mis en évidence dans le rapport de la Banque mondiale, la situation pourrait se corser davantage en 2017 avec les risques d’une plus forte dégringolade.</p>
<p><em>«Il n’y a pas mille solutions. Il faut que Business Mauritius et les instances appropriées du gouvernement se rencontrent régulièrement, peut-être une fois chaque trimestre, pour analyser les tracasseries administratives auxquelles les entreprises font régulièrement face»</em>, explique Tim Taylor, Chairman du groupe Cim. Et d’ajouter que dans le passé, ces réunions étaient organisées d’une manière structurée, avec pour résultats que les contraintes liées aux affaires étaient grandement assouplies.</p>
<p>Azad Jeetun, économiste et ex-directeur de la défunte <em>Mauritius Employers’ Federation</em>, pense que cette baisse peut avoir des conséquences désastreuses pour l’investissement étranger vu que <em>l’Ease of Doing Business</em> est devenu le premier critère pris en compte par les investisseurs. <em>«Estimez-vous normal qu’un investisseur se voie contraint d’attendre 81 jours pour que son entreprise soit raccordée au réseau électrique après qu’il a accompli toutes les démarches et déposé tous les permis nécessaires»</em>, s’indigne l’économiste.</p>
<p>De son côté, André Bonieux, Country Partner chez PwC, estime qu’il est assez difficile de donner une explication à cette chute de Maurice dans le classement de la BM. <em>«Peut-être que d’autres pays ont fait davantage d’efforts que Maurice pour améliorer le cadre de facilitation des affaires»</em>, s’interroge-t-il.</p>
<p>Qu’à cela ne tienne, Priscilla Pattoo, avocate spécialisée dans les services financiers, Partner et cofondatrice de la firme G&P Legal pense que Maurice, dans son positionnement en tant que Hub dans l’océan Indien, en fera les frais. <em>«Lorsque nous vendons notre juridiction pour attirer les investisseurs, les classements de Maurice sur les différents indices jouent un rôle prépondérant. Maurice travaille dur afin d’être en accord avec les standards internationaux. Il est vrai que les raisons de cette perte de points sont notamment l’électricité, la protection des minorités et la gestion des conflits d’intérêts, mais l’impression qui malheureusement demeure, c’est que le pays perd un peu de ses attraits»</em>, avance-t-elle.</p>
<p>Pour Gilbert Seeyave, Partner Tax auprès du cabinet comptable BDO, le recul de Maurice dans le classement ne devrait pas avoir de conséquence énorme sur l’investissement. <em>«Maurice n’est pas en compétition au niveau des investissements avec les pays classés avant lui. Il n’y a aucun pays africain ou petite île de l’hémisphère sud avant Maurice dans le classement. En fait, il y a eu une amélioration au niveau du pointage comparativement à 2015 pour Maurice mais les autres pays qui nous ont dépassés ont eu une meilleure amélioration au niveau des facilités pour encourager l’investissement»</em>, observe-t-il.</p>
<h3>Climat fiscal</h3>
<p>Commentant le positionnement de Maurice lors des précédents rapports, Gilbert Seeyave avance que notre bon classement était dû à certaines mesures prises par le gouvernement, à l’instar de la déclaration et le paiement des impôts par voie électronique. Mais l’on s’est quelque peu <em>«endormi sur nos lauriers car il n’y a pas eu d’autres mesures pour améliorer le climat fiscal des entreprises ces dernières années»</em>, déplore-t-il.</p>
<p>Selon Gilbert Seeyave, le dernier exercice de la BM comprenait de nouveaux critères fiscaux qui nous ont fait chuter dans le dernier classement. Si ce recul ne devrait pas avoir d’impact sur le monde des affaires, notre interlocuteur soutient toutefois que le pays a intérêt à améliorer ce classement s’il souhaite continuer à se targuer d’être une destination où il est facile de créer et de faire fonctionner une entreprise.</p>
Comment remonter dans le classement
<p><em>«Il ne faudrait pas se cacher derrière la nouvelle formule de calcul de la Banque mondiale. Cela représente un signal fort qu’il faut se retrousser les manches et attaquer les problèmes de front. L’électricité et l’eau sont des choses essentielles pour être considéré comme un pays développé»</em>, soutient Priscilla Pattoo. Elle se demande dans la foulée comment faire accepter aux investisseurs que l’eau soit rationnée dans certaines régions de l’île et que plusieurs routes ne soient pas éclairées la nuit.</p>
<p>Pour Gilbert Seeyave, la solution est simple : d’apporter des changements là où le bât blesse et où Maurice a chuté. Toutefois, il y a un équilibre à trouver <em>«entre les mesures à être prises pour faciliter le monde des affaires et les contrôles à garder par les autorités pour la bonne marche des affaires»</em>, avance-t-il. Pour améliorer notre classement en ce qui concerne le critère Paying taxes, par exemple, il faudrait raccourcir le délai pour le remboursement de la TVA ou l’impôt sur le revenu payé en trop, propose notre interlocuteur. <em>«Mais il y a un risque qu’on ne remonte pas dans le classement l’année prochaine car la loi a été amendée cette année concernant le remboursement de l’impôt sur le revenu où le délai a été étendu»</em>, prévient Gilbert Seeyave.</p>
<h3>Accès aux crédits</h3>
<p>Par ailleurs, d’autres spécialistes trouvent qu’il faut privilégier des actions concertées sur chaque critère : traitement de permis, dont celui de la construction, raccordement au réseau électrique, administration fiscale, accès aux crédits et enregistrement de titres de propriétés, entre autres. <em>«À l’époque, sous le tandem Raju Jaddoo-Rama Sithanen, des efforts notables s’étaient déployés pour améliorer le climat d’affaires, ce qui avait permis au pays de progresser au niveau du Ease of Doing Business tout en dopant les investissements étrangers à Maurice»</em>, analyse un observateur économique.</p>
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