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Père Gérard Mongelard: «des enfants de 11 à 13 ans sont de vrais dealers de drogue»

5 novembre 2016, 21:02

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Père Gérard Mongelard: «des enfants de 11 à 13 ans sont de vrais dealers de drogue»

Le père Gérard Mongelard, curé de Notre-Dame-du-Rosaire, à Quatre-Bornes, a déposé devant la commission d’enquête sur la drogue, le 20 octobre. Il confie être témoin de la souffrance des toxicomanes et de leurs parents.

Pourquoi un homme religieux a-t-il déposé devant la commission d’enquête sur la drogue ?

L’intérêt que je porte au combat contre l’usage de la drogue remonte à 2002, lorsque l’évêque Mgr Maurice Piat m’avait envoyé à la paroisse du Saint-Sacrement, à Cassis. En lien avec la National Agency for the Treatment and Rehabilitation of Substance Abusers (NATReSA), la National Prevention Unit ainsi que d’autres personnes, nous avons commencé un travail de prévention sur le terrain.

Si j’ai été convoqué devant la commission, c’est parce que le juge a cru bon de me demander de venir déposer pour y apporter ma contribution. Il l’a fait après avoir pris connaissance de tout ce que j’essaie d’apporter. Au nom de ma foi, je ne peux pas rester tranquille quand des hommes et des femmes souffrent. Refuser de déposer aurait été une lâcheté de ma part.

Combien de victimes de drogue avez-vous croisées ?

Si en parlant de victimes vous faites aussi allusion aux parents qui souffrent en voyant leurs enfants tomber dans la drogue, je peux vous dire qu’elles sont nombreuses. En parlant de victimes, on pense souvent aux personnes qui sont dans la drogue mais rarement aux parents qui vivent un calvaire.

J’ai vu des enfants âgés de 11 à 13 ans vendre tous types de drogue. Ils sont de vrais dealers. Je vois certains marcher en titubant ou en parlant seuls. La plupart d’entre eux recherchent le plaisir facile. La drogue représente une échappatoire. Mais la drogue touche toutes les couches de la société. Toutes les communautés sont concernées.

Vous dites que les transferts des inspecteurs de police rendent inutile le combat contre la drogue. Expliquez-nous comment.

Je préfère le mot difficile qu’inutile dans ce contexte. Quand j’étais dans la région de Cassis, j’ai eu ce problème. On commence un travail de prévention avec l’inspecteur X et quelque temps après, nous apprenons qu’il a été transféré. Je conviens qu’il s’agit d’une pratique normale sauf que, si le transfert se fait plusieurs fois en quelques mois, le combat devient plus difficile.

La même chose s’est produite à Quatre-Bornes où je suis en ce moment. En 2015, quatre hauts gradés sont venus me faire part de leur détermination à combattre la drogue. Ils ont même rencontré les habitants de la région. Et puis ce n’est qu’après un an que je les ai revus. Ils avaient été transférés. Je ne suis pas en mesure de confirmer si oui ou non ces transferts étaient calculés mais cela vous donne une idée de quoi je parle.

Des policiers trafiquants de drogue ? Cela vous fait quoi ?

J’ai beaucoup de respect pour les policiers mais je constate que certains ne respectent pas l’uniforme et cela me fait mal. Toutefois, cela me rassure que le commissaire dise qu’il n’aura pas de pitié pour les «brebis galeuses».

Vous avez également fait mention des trafiquants qui disparaissent mystérieusement. De quels cas parlez-vous ?

Il y avait, cette semaine dans l’express, une caricature montrant deux filets : un petit avec de petits poissons et un grand vide. Cela en dit long.

Vous avez dit au président de cette commission que les habitants ont peur pour leur sécurité et quelques heures plus tard, il vous a conseillé qu’ils doivent eux-mêmes s’organiser pour combattre la drogue. Vos réactions.

Il m’a suggéré de mettre sur pied une police de quartier. J’ai été étonné qu’il me dise cela. Quel citoyen mettra sa vie en péril ? C’est facile à dire lorsqu’on n’est pas sur le terrain mais c’est impossible. Quand nous avons commencé notre combat, nous étions une vingtaine au total. Au fil de nos rencontres, nous nous sommes retrouvés à cinq ou six personnes. Je vous laisse deviner la raison.

Ces personnes ont été intimidées ?

Je sais que certaines personnes ont reçu des motos, par exemple. Tout est fait pour protéger les fournisseurs de drogue. On dit que les gens ne collaborent plus. Ce n’est pas forcément vrai. Mais ils ne se sentent pas en sécurité. Ils ont peur des représailles.

Pourquoi ce sentiment que les autorités ne font rien pour apaiser la peur des habitants de certains quartiers ?

Dire que les autorités ne font rien serait malhonnête de ma part. Mais je ne peux m’empêcher de me poser certaines questions lorsque j’entends des personnes dire que le trafic se fait à la vue de tout le monde dans certains quartiers. Je le constate aussi.

La situation empire de jour en jour. Rien n’est fait pour apaiser la peur et l’inquiétude des gens. Mais que fait le gouvernement ? Absolument rien. Pourquoi ce silence ? Je me demande s’il a des choses à cacher.

Vous remettez en question la dissolution de la NATReSA. Pourquoi ?

Quand une association qui a fait ses preuves ne fonctionne pas, il faut en connaître la source et essayer d’y remédier. Je regrette aujourd’hui le temps où les ONG, les forces vives, les religions, avec le soutien du gouvernement, travaillaient ensemble pour former des leaders et prévenir contre le fléau de la drogue. Ce partenariat n’existe plus, surtout depuis la dissolution de la NATReSA. Devons-nous comprendre que nous sommes des indésirables, que nous n’avons pas grand-chose à apporter ?

Anil Gayan maintient que la situation concernant la drogue synthétique n’est pas inquiétante. Avez-vous un message pour lui ?

Je n’ai aucune leçon à lui donner. Moi je dis ce que je vois et ce que j’entends. Les cris de souffrance des parents, des enseignants, des jeunes eux-mêmes me fendent le cœur. Comment peut-on rester insensible à tant de souffrance ?

Il peut dire que la situation n’est pas alarmante. Moi, je constate les dégâts de la drogue sur ces familles lorsque je marche dans les rues. D’ailleurs, tout le monde constate ce qui se passe sauf les autorités. Mais c’est chagrinant que ceux qui ont le pouvoir de faire quelque chose pour remédier à cela restent passifs.

Quels sont les cas qu’on vient vous rapporter ?

Permettez-moi de ne pas répondre à cette question par respect pour ces nombreuses personnes que je rencontre. Mais les larmes, l’impuissance devant des situations parlent d’elles-mêmes.

Et la drogue dans les collèges ?

Je dis tout simplement, ne fermons pas les yeux en disant que le trafic se fait en dehors des collèges. Le trafic et la consommation de la drogue se font dans l’enceinte de l’école.

Comment expliquez-vous l’absence d’une action commune de la part des ONG ?

Est-ce que la raison ne réside pas dans le fait que dans certains cas, le lion’s part de l’argent reçu va dans le budget de fonctionnement et que les bénéficiaires, eux, reçoivent des miettes alors que d’autres ONG œuvrent avec leur cœur pour les plus démunis ?

Les travaux de la commission d’enquête sur la drogue ont débuté le 4 novembre 2015 et ont atteint 150 audiences à ce jour. Qu’attendez-vous de la commission ?

Je crois de tout cœur que cette commission arrivera avec des propositions bien concrètes. Surtout, je souhaite que les recommandations soient mises en pratique et donnent ainsi tort à ces personnes qui me disent que la commission est une eyewash. Mais il y a urgence. Les travaux ne sont pas encore finis et le rapport risque de prendre du temps.

Parmi les 150 audiences, il y a eu de nombreuses révélations, les unes plus choquantes que les autres. Mais que font les autorités en attendant ? Elles remettent tout sur la commission de la drogue koumadir zot inn kas enn gran paké mais la commission ne pourra pas tout régler.

Elles peuvent dire que les contrôles ont été accentués au port, à l’aéroport, entre autres. Mais comment expliquer que de l’héroïne qu’on ne produit pas à Maurice arrive en masse ? On vient d’arrêter une personne avec de la drogue à Goodlands. C’est bien mais combien d’autres cas similaires existent ? Il faut agir vite et ensemble.

Êtes-vous optimiste par rapport à ce combat ?

Je n’ai pas le droit de dire le contraire. Sinon, on se bat pour rien. Ce n’est pas un combat facile mais il existe des gens qui sont sortis de cet enfer. La lutte continue.