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Rezah Badal: «Outre le pétrole, l’on s’intéresse aux minéraux rares»

14 novembre 2016, 11:11

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C’est l’homme derrière tous les développements liés au plateau continental. Terme encore méconnu mais présenté comme un nouveau pilier potentiel de l’économie mauricienne. Chargé du dossier au Prime Minister’s Office (PMO), Rezah Badal, directeur du plateau continental, de l’administration et de l’exploration des zones maritimes, nous éclaire sur le sujet.

Vous êtes le directeur du plateau continental et de l’administration et de l’exploration des zones maritimes, un nouveau poste, créé fin 2015. Expliquez-nous ce qu’est le plateau continental.
On peut le décrire comme un territoire. Une prolongation de la partie terrestre d’une île ou d’un pays qui continue sous la mer. Un peu avant les années 2000, on s’était vu imposer un deadline de l’Organisation des Nations unies (ONU). Elle était venue de l’avant avec une convention, l’article 76 de la loi de la mer, qui prévoit que chaque État côtier a le droit de délimiter son plateau continental.

Avec l’obtention de la recommandation de l’ONU, nous avons pu avoir un territoire qui fait à peu près 400 000 km2. Cela va au-delà de la Zone économique exclusive (ZEE). Nous avons des droits de souveraineté sur la ZEE portant sur l’eau, une partie du sea bed et le sub soil ; trois zones définies sur une distance de 200 miles nautiques. L’article 76 va au-delà de notre territoire ZEE et au-delà des 200 miles nautiques. Seulement, il fallait pouvoir le prouver. De façon scientifique.

Comment Maurice a-t-elle donc procédé ?
Tous les pays qui ont ratifié la convention avaient l’obligation de soumettre un document technique qui démontrait les limites du plateau continental. Le deadline à l’époque était de quatre années, soit en 2004. Alors, qu’a fait Maurice ? Nous avons dû amasser des données techniques pour présenter notre dossier devant l’ONU. Il fallait, par exemple, démontrer à la commission des Nations unies l’existence d’un prolongement du territoire.

Dès 2002, Maurice a entrepris une Marine Survey. Par la suite, nous avons compris qu’il nous fallait des données additionnelles pour consolider notre motion auprès des Nations unies. Et l’Inde nous a aidés avec une autre étude.

À quel moment les Seychelles sont-elles entrées en jeu ?
Vous savez, un des critères déterminants pour démontrer qu’il existe une extension réelle est de pouvoir mettre des jalons. Ce qu’on appelle des «bornes». Dans le cas de Maurice, nous avions plusieurs possibilités : l’extension du Plateau des Mascareignes ou l’Archipel des Chagos. Le Plateau des Mascareignes est une entité géologique qui ressemble à une montagne sous les eaux. De Maurice jusqu’aux Seychelles, cette «chaîne de montagnes» connecte les deux pays. Dans le langage technique, tou lé dé assiz lor mem plato !

Les Seychelles et Maurice ont les mêmes arguments techniques auprès de l’ONU. Nous avons donc approché les Seychelles pour travailler une joint submission. L’ONU a repoussé l’échéance jusqu’en 2009, ce qui nous a donné du temps pour compiler notre dossier.

Après plus de 20 séances de travail technique et diplomatique, avec le soutien du Commonwealth Secretariat, nous sommes allés à New York pour déposer notre dossier en 2008. C’était une course contre la montre. En 2010, on a obtenu la recommandation de l’ONU, qui a reconnu la délimitation de notre plateau continental sous une joint sovereignty entre Maurice et les Seychelles.

Comment se passe cette souveraineté partagée dans la pratique ?
Il a fallu créer un cadre légal pour permettre les activités futures dans la zone. Il faut aussi savoir que la recommandation de l’ONU ne nous donne des droits que sur le sea bed et le sub sea soil. Pas l’eau. Concrètement, nous pouvons explorer et exploiter éventuellement les fonds marins et la croûte terrestre.

Pour en revenir aux Seychelles, nous avons signé deux traités, dont le Joint Management Area (JMA) où nous avons établi les structures pour gérer la zone. Ceux-ci sont à trois niveaux : un comité interministériel, la Joint Commission composée du secrétaire au cabinet mauricien, de deux Special Advisors to the Vice President seychellois, de moi-même, du Special Advisor au PMO ou encore du Sollicitor General (SG). En tout, autour d’une dizaine de membres.

Le troisième niveau c’est le Joint Technical Committee. La dernière visite remonte à deux semaines, et la tâche la plus importante consistait à revoir les soumissionnaires pour entreprendre une étude des fonds marins, et détecter éventuellement si on peut prospecter. Nous avons déjà short list certaines compagnies et la prochaine réunion, en janvier, nous permettra de prendre une décision finale en ce qui concerne le choix de la compagnie.

Quand on parle du plateau continental, on pense au pétrole, aux minerais… Cette étude pourrait-elle dire si nous avons du pétrole ou d’autres richesses ?
Cette étude concerne surtout les compagnies qui ont l’habitude de faire des explorations oil and gas. Elle va établir s’il y a possibilité de prospecter. En gros, elle va chercher la présence d’hydrocarbures. L’on se souviendra de l’exploration faite par la compagnie Texaco dans les années 70. Mais les résultats finaux démontrent qu’ils n’ont pas pu établir s’il y avait, ou pas, du potentiel. À l’époque, la technologie dont ils bénéficiaient ne leur a pas permis d’aller au coeur du plateau. Nous lançons donc la première étude après plus de 40 ans…

Le plateau continental prend une nouvelle importance. La Vision 2030 en parle. Que pouvez-vous nous dire sur l’avenir de ce secteur ?
C’est un secteur très prometteur pour l’avenir économique du pays. Il comprend des enjeux importants. On s’est toujours plaint du fait que Maurice n’a pas de ressources naturelles. Maintenant, on va explorer, on va chercher.

Supposons que l’on découvre la présence d’hydrocarbures. Qu’est ce qui va se passer ?
Pour savoir si nous avons des ressources, il faut d’abord faire de l’exploration. Nous travaillons avec le Commonwealth Secretariat pour établir un cadre légal. Un Petroleum Offshore Bill est en préparation. Ce projet de loi définira les paramètres – toute compagnie qui fera de l’exploration devra s’appuyer sur cette loi. Elle viendra établir tout l’arsenal nécessaire pour permettre à une industrie pétrolière d’exister. Déjà, avec cette étude, les activités économiques sont lancées.

Combien de temps cette étude prendra-t-elle ?
C’est un contrat étalé sur dix ans. Dix ans d’exploration au minimum permet d’affirmer s’il y un potentiel ou pas. Cela dépend aussi du territoire. La compagnie récoltera des données qui seront remises à d’autres firmes pour des analyses plus approfondies. Le cadre légal devra aussi permettre de démarquer la région en plusieurs blocs. D’autres appels d’offres seront lancés pour l’exploration de ces blocs.

Outre le pétrole, quelles autres ressources pouvonsnous explorer, voire exploiter ?
Il y a autre chose qui nous intéresse : des minéraux rares. Des seabed minerals. Pour l’instant, au niveau international, on a commencé à explorer trois types de minéraux uniquement. La Nodule Polymétallique, le Cobalt Crust et le Massive Sulfide. Ces trois minéraux se situent dans des milieux marins différents. Ils sont utilisés dans la fabrication de gadgets électroniques et se vendent très cher. En même temps que l’exploration menant à la présence d’hydrocarbures, nous cherchons à mettre en place un Seabed Mineral Bill et lancer cette exploration parallèle.

Le gouvernement a-til l’intention de former ou de recruter des professionnels ?
Oui, il nous faut commencer dès maintenant en termes de capacity building. Pas plus tard que ce matin (NdlR : jeudi matin), je suis allé à l’université de Maurice. On met en place un cours de Marine Technologies. J’ai dit qu’il faut y inclure l’exploration marine.

Avons-nous des professionnels de ce secteur en ce moment à Maurice ?
Je peux les compter sur les doigts de la main. Heureusement, nous avons un minimum de ressources qui pourra nous aider à débuter. Aux Seychelles, avec deux géophysiciens, un département pour l’exploration a été créé.

Peut-on dire que nous sommes à la traîne ?
Disons que nous avons été prudents. Nous avons entendu la mise en place du cadre légal. Quelques postes ont été advertised déjà. Nous cherchons deux autres directeurs pour le plateau continental – un pour l’exploration, un autre pour l’océanographie – et un troisième pour s’occuper des données. Il y a peu de gens qui ont cette expertise ici, nous espérons quand même les trouver.

A-t-on l’intention de recruter dans ce secteur, dans un avenir proche ?
Oui nous avons un plan déjà établi. Pendant les cinq prochaines années, nous recruterons des personnes spécialisées dans ce domaine. Quand je dis spécialisées, je parle de détenteurs de Masters et de PhD.

Ce secteur pourrait-il devenir un pilier de l’économie mauricienne ?
Définitivement, c’est un secteur qui a d’énormes potentiels. Le plus urgent, c’est de renforcer les ressources humaines et de fixer les structures légales. Il faudra aussi établir une connexion avec ces institutions qui ont déjà un track record dans le domaine.

Quelle est votre vision ?
Je suis confiant. J’espère que pendant les cinq prochaines années, nous lancerons au moins deux études.