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Vincent Ah-Chuen: «Nous constatons un laisser-aller dans les services publics»
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Vincent Ah-Chuen: «Nous constatons un laisser-aller dans les services publics»
ABC Foods, société fondatrice du conglomérat ABC, vient de fêter ses 85 ans. Le Managing Director du groupe revient sur la situation économique du pays, notamment au niveau de la croissance et de l’investissement. Il estime que les services gouvernementaux gagneraient à améliorer leur efficience.
ABC Foods vient de célébrer ses 85 ans ; quel bilan faites-vous de ces huit décennies dans le paysage économique local ?
C’est un grand succès. Lorsque mon père a ouvert une boutique il y a 85 ans, je ne crois pas qu’il imaginait qu’on en arriverait là un jour. Surtout que cette boutique est devenue un grossiste – celui-ci est par la suite devenu distributeur et importateur, ce qui est une évolution logique. Aujourd’hui, il s’agit d’un conglomérat qui emploie plus de 1 300 personnes et nous sommes 23e dans le classement des Top 100 Companies. Nous sommes tous très satisfaits.
Quel constat faites-vous du secteur de la distribution et de son évolution ces dernières années ?
Je crois que la grande distribution a bien évolué à Maurice. Il faut dire qu’on a une industrie de distribution qui est au même niveau que celle des grands pays. Le fait que les Mauriciens étudient dans d’autres pays et voyagent souvent y a apporté de la valeur ajoutée. Car c’est en appréciant ce que font les autres que nous pouvons nous améliorer. Il ne faut pas non plus oublier que le niveau de vie des Mauriciens a beaucoup augmenté, surtout avec l’expansion de la zone franche, ce qui a donné un coup de pouce aux ménages, qui ont pu augmenter leurs revenus.
Je crois aussi que cette amélioration du niveau de vie a incité des enseignes internationales comme Monoprix, Jumbo, Super U, Shoprite ou encore Intermart à s’implanter à Maurice tout en encourageant d’autres enseignes locales, comme les Grandes Surfaces Réunies et London à se développer. Et avec la réussite de la grande distribution sont venus les shopping malls, tels qu’il en existe dans les grands pays.
Qu’en est-il de la consommation générale ?
Beaucoup d’opérateurs parlent d’un ralentissement à ce niveau… Je crois que la baisse générale dans la consommation est due à la croissance, qui n’a pas augmenté dans le pays. S’il n’y a pas de croissance, les consommateurs n’ont pas plus d’argent pour dépenser. Il est donc normal qu’il y ait une baisse au niveau des ventes. Cela dit, la croissance n’est pas quelque chose de constant. Mais quand il y a stagnation, le gouvernement doit trouver des moyens de stimuler l’économie.
Donc, si des opérateurs de la grande distribution déplorent une baisse des ventes, c’est surtout dû au manque de pouvoir d’achat. Mais il faut en examiner la cause. Actuellement, nous observons une stagnation de la croissance. L’exportation, le textile et autres vont sûrement diminuer avec l’augmentation du coût de la main-d’œuvre. Nous devons donc explorer d’autres créneaux comme les services financiers que nous pourrons offrir aux compagnies étrangères.
Mais les mesures budgétaires prises jusqu’ici sont-elles suffisantes pour faire remonter la croissance ?
Il faudrait surtout accélérer la mise en place des mesures. C’est bien de prendre des décisions, mais si l’on met dix ans à les exécuter…
Vous étiez en Chine avec la délégation mauricienne en novembre. Quelles sont les avenues de développement entre les deux pays, d’autant plus que le ministre des Finances a annoncé la mise en œuvre d’une étude de faisabilité en vue de créer un accord de libre-échange ChineMaurice…
Je salue cette initiative. Je pense qu’elle est judicieuse. La Chine est la deuxième plus grande économie du monde et Maurice est l’une des plus petites, mais tout de même assez efficace ! Notre pays a tout à gagner à signer un tel accord. Même si nous n’avons pas beaucoup de produits «physiques» à exporter vers la Chine, nous avons les services financiers, entre autres, qui peuvent intéresser les Chinois.
Leurs investissements en Afrique peuvent passer par Maurice. Nous avons des atouts, un secteur privé dynamique, un bon niveau de vie et aussi notre bilinguisme. Les Mauriciens peuvent aider les Chinois.
De plus, cette première participation à une expo internationale en Chine démontre que c’est important d’être présent physiquement. Plus les gens connaissent Maurice, plus ils viendront chez nous en tant que touristes. D’ailleurs, le tourisme est, pour moi, une industrie importante à Maurice et je pense qu’on a trop souvent sous-estimé son importance.
C’est-à-dire ?
Je connais beaucoup de Français qui, en venant à Maurice en tant que touristes, découvrent qu’ils peuvent venir y implanter leur business. L’industrie du tourisme ne doit pas consister qu’à vendre nos plages ; il faut aussi vendre le pays. Celui-ci doit être propre et sécurisé : tout cela va faire bonne impression aux touristes. Pour les Chinois, c’est d’autant plus important qu’ils aiment voir le pays où ils vont investir.
Vous parlez d’attirer les investisseurs étrangers, mais n’oublions pas que le pays a dégringolé dans le dernier classement «Doing Business» de la Banque mondiale… En tant que conglomérat, quelle lecture faites-vous de cette chute ?
Ce que je peux vous dire c’est que parfois c’est théorique et que les choses se passent différemment dans la pratique. Les services gouvernementaux doivent augmenter leur efficacité et leur efficience. Prenons un bon exemple : le département des passeports. Aujourd’hui, le passeport peut être renouvelé en trois ou quatre jours, ce qui est impressionnant. Pourquoi les autres services n’en feraient-ils pas autant ?
Je crois qu’il y a un laisser-aller dans les services publics. Car pour obtenir un permis il faut aller à un ministère. Et il y en a beaucoup qui ralentissent le développement. Aujourd’hui pour la «déclaration» d’une voiture, il faut se rendre sur place. Au Kenya cela se fait par voie électronique ! Il y a beaucoup de choses que l’on peut activer.
Pour un Certificate of Character, je dois faire la queue une heure durant. Tout cela représente une contrainte. Il faut voir comment on peut améliorer les services. Ce sont de petites choses qui font perdre du temps à un businessman.
Qu’en est-il de l’investissement privé, le principal pilier de croissance, dont le taux a reculé ces dernières années ?
À notre niveau, nous continuons à investir. Mais une fois de plus, il faut en voir la cause. S’il n’y a pas de projets, dans quoi va-t-on investir ? Si on ne peut plus vendre des appartements, qui va investir dans l’immobilier ? Ce n’est pas la faute au secteur privé, tout de même ! Mais dans tous les autres pays, quand il y a un ralentissement, le gouvernement met en place des projets d’infrastructure publique pour stimuler l’économie afin qu’entre-temps, les autres pôles de production continuent d’opérer et prennent la relève par la suite.
Après 85 années d’existence, quelles sont vos ambitions pour le groupe ABC ?
Nous essayons d’étendre nos activités à d’autres secteurs. Nous sommes maintenant dans le secteur financier. Nous examinons aussi les possibilités d’expansion de notre base clientèle. Si nous allons dans le secteur financier, c’est surtout pour l’offshore. Et maintenant, nous essayons de voir comment pénétrer le marché africain, ce qui n’est pas aisé.
Nous sommes déjà présents aux Seychelles et sur le continent africain. Il faut dire que le business environment y est très différent de celui de Maurice. Il en va de même pour ce qui est de la culture ou encore du cadre régulateur. Il y a aussi un manque de personnel qualifié dans certains secteurs.
Justement, en ce qui concerne le secteur financier dans lequel vous souhaitez davantage vous positionner, que pensez-vous de la vente d’IFS à une société anglaise, annoncée la semaine dernière ?
Je crois que cela va augmenter la visibilité de Maurice sur les marchés financiers britannique et européen. Les grandes sociétés européennes commencent à voir que Maurice possède des compagnies qui peuvent les aider à pénétrer en Afrique. C’est un exercice fort louable. Je pense que cela va ouvrir d’autres perspectives pour le secteur offshore de Maurice. Cela vient confirmer que notre service financier peut devenir la deuxième industrie, après celle du tourisme.
Quid du marché indien, après les amendements au traité de non double imposition ?
Nous ne sommes pas directement dans ce secteur. Mais c’est un fait indéniable : il faut donc explorer d’autres opportunités !
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