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Tiphanie Prosper: braver le grand vide au quotidien

17 décembre 2016, 15:10

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Tiphanie Prosper: braver le grand vide au quotidien

Imaginez que votre lieu de travail est un pont suspendu, long de 128 mètres. Et que le travail en question consiste à aider des gens à se jeter d’une plateforme située à 40 mètres au-dessus d’une vallée pour un maximum d’adrénaline. C’est le quotidien de Tiphanie Prosper, 21 ans.

Cette Rodriguaise est la seule fille de son équipe. Elle en est aussi le plus jeune membre. Sur le pont qui tangue à cause des vents, elle se déplace avec une habilité déconcertante. «C’est juste une question d’habitude», dit-elle avec le sourire.

Mais elle avoue qu’il y a dix mois, à ses débuts à Rodri Jump, c’était loin d’être aussi simple. «J’ai appris que cette société recrutait et c’est mon papa qui m’a dit de postuler. Je ne voulais pas mais il m’a convaincu en me disant que j’allais m’occuper uniquement de l’administration et que je n’allais même pas devoir aller sur le pont. J’ai postulé et j’ai été retenue», raconte la jeune fille, les yeux remplis de fierté, en se rendant compte qu’elle fait un métier unique.

D’ajouter qu’elle s’est surtout laissée tenter parce qu’elle avait besoin d’un travail permanent. «J’ai dû travailler au marché parce que je n’arrivais pas à décrocher un emploi stable. Ici, je touche Rs 5 000 par mois. À Rodrigues, j’ai l’impression que c’est très difficile pour les jeunes de trouver de l’emploi», soutient-elle.

La jeune «guide», comme elle se présente, avance que, dès ses premiers jours, son employeur, Manu Picard, lui a proposé de faire des essais à Tyrodrig, le parcours de Tyrolienne qui se trouve à Montagne-Malgache. «Il y a dix mois, le projet était justement de lancer la nouvelle activité de saut pendulaire et celle de la marche sur un pont suspendu. Donc, il a fallu faire des calculs et prendre des mesures dans la vallée. Et c’est moi qui suis descendue», raconte-t-elle. «Au départ, évidemment j’avais très peur mais j’ai dû surmonter cette crainte. Maintenant ça va, j’aime énormément mon travail», ajoute-t-elle.

Et cela fait quoi d’être la seule fille de l’équipe ? «C’est comme dans tous les autres domaines. Ce n’est pas toujours évident mais de manière générale, on s’entend très bien», dit la jeune femme, en lançant un regard complice à ses collègues masculins qui rient et confirment qu’elle est «très douée».

Enfant, après ses classes à l’école primaire St-Esprit à La Ferme, Tiphanie raconte qu’elle n’avait pas peur de grimper aux arbres avec ses compagnons de jeu. Aujourd’hui, même si elle reconnaît qu’il y a des jours plus difficiles que d’autres, la jeune Rodriguaise ne regrette pas les risques qu’elle prend au quotidien. «Je suis là depuis la construction de la structure, je sais exactement où je mets les pieds et j’essaie autant que possible de rassurer les clients. Tout ce qu’il faut, c’est un peu de courage», indique la demoiselle.

Grâce à son métier, Tiphanie Prosper raconte qu’elle affronte la vie avec beaucoup plus d’audace. «Je me dis qu’il y a plein de choses que je peux surmonter et j’essaie de transmettre ce courage aux autres.»

Nous avons testé

Tiphanie finira par nous convaincre d’essayer le pont suspendu. À première vue, cela semble l’étape la plus facile à surmonter. Il suffit de respirer un bon coup, de se concentrer et d’ignorer le vent qui fait bouger la structure. Un pied devant l’autre, nous nous laissons guider par un des collègues de Tiphanie. Parce qu’elle, évidemment, est déjà arrivée à la plateforme et nous attend. «Asterla, sinp sa, pass anba kab», lance-t-elle avec un enthousiasme qu’elle est la seule à afficher à ce moment précis.

«N’y a-t-il aucun risque ?» demandons-nous. «Il n’y a jamais eu d’accident depuis l’ouverture et nous faisons tout pour que cela n’arrive jamais. Vous allez faire un saut de 28 mètres alors que la profondeur de la vallée est de 40 mètres», répondt-elle. Et c’est censé nous rassurer.

Une fois de l’autre côté du câble, c’est le grand vide. Tiphanie fixe un premier crochet, un deuxième puis un troisième. Elle nous demande de ne pas trop réfléchir et de lâcher ce câble précieux pour lequel nous éprouvons comme une soudaine affection.

«Mettez les deux mains sur ce câble-ci et comptez jusqu’à trois», dit-t-elle gentiment. Là, il y a un long moment d’hésitation. «Pa reflesi monn dir ou. Ou zis bizin enn ti couraz. Ou pa pou régrété», insiste notre téméraire jeune femme.

Finalement, nous commençons à compter et sans surprise, au bout de deux, c’est déjà la chute. Elle sera suivie d’un hurlement à faire trembler la vallée et ses alentours. Une sensation indescriptible. Un peu comme si on tombait et que la chute ne s’arrêterait jamais. La vue y est époustouflante. De grands arbres sont sous nos pieds. Puis le câble se tend. Ça y est, nous sommes sûrs d’être attachés et nous nous balançons dans la vallée. Nous repérons un bœuf au loin. Puis un homme. Lui, il est là pour nous aider à remonter la pente… littéralement, à l’aide d’une corde.

Une fois en haut, c’est Manu Picard qui vient prendre une réaction à chaud. Les jambes et les bras tremblent encore mais nous recommencerons bien volontiers.